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larmes. La nature, l'amitié, & mille au tres raisons en tirent des ruiffeaux des yeux de V. M. Il y auroit de l'inhumanité à les blâmer. La pieté Chrétienne même les authorise parce qu'elles viennent d'une fource Chrétienne. Si elles ne procedoient que de la feule tendreffe naturelle, ou de quelque interêt, elle ne les pourroit approuver; & tout ce qu'elle pourroit faire ce feroit de les fouffrir. Les larmes, MADAME, font une chofe plus precieufe que d'ordinaire on ne penfe. Dieu dans l'Ecriture fainte témoigne qu'il entend leur langage & qu'il les met en fa prefence. David ne les emploïoit que pour demander pardon à Dieu de fon peché. Elles font un don du faint Elprit, & un don delicieux & amer tout enfemble, qu'il ne fait qu'aux ames d'élite. Les Chrêtiens peuvent donc pleurer les morts, mais non pasies pleurer toûjours inconfolablement. Vôtre Majefté fçait auffibien que moi cette verité. Elle a doné à la nature en cette occafion ce qu'elle demandoit; mais affuremenr elle fera ce que la pieté Chrétienne & la fermeté de fon cœur defire d'elle. Le Sang de Caftille qui coule dans fes vaines eft tendre, mais il eft genereux. Il fçait s'affliger comme s'affligeoint autrefois les Heros. Il cft vrai, MADAME, la perte eft grande; mais auffi V. M. peutelle faire un grand facrifice en cette occa

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fion. La Reine fon illuftre Tante n'eft perdue pour elle. Les veritables Chrétiennes s'abfentent de la terre quand elles meurent, mais elle ne periffent pas. Elles prennent feulement le devant dans la Patrie Celefte où elles attendent celles qu'elles laiffent dans le monde. Nous avons, MADAME. tout fujet de croire que cette grande Reine que V. M. pleure y eft arrivée. Je n'entreprends pas de faire ici fon Eloge, il furpaffe la force de mon efprit qui eft devenu fauvage entre mes rochers & mes monta gnes. 11 fuffit de dire que fa charité exceffive & veritablement Roïale,lui a preparé tant d'amis dans les Tabernacles éternels, que fans doute ils l'y auront reçûë en triomphe: Et que ne doit attendre V. M. de fa protection en cette bienheureusfe demeure où elle eft toute puiffante auprés de Dieu ? Elle attirera fur fa Roïale Perfonne toutes fortes de benedictions. Elle lui confervera ce grand Roi que la Providence a refervé pour elle, & qu'elle lui a donné par plufieurs miracles. Elle lui gardera ce précieux Dauphin que Dieu lui a donné, fans le lui faire acheter par autant de larmes & une attente auffi douloureufe que la Reine Mere avoit acheté le fien. Elle lui infpirera ce même zele & cette même charité qui brûloit dans fon cœur. Recevant de fi grands bienfaits V. M. peut-elle fe plaindre qu'elle

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fe foit eloignée pour quelque tems de la terre. Elle avoit affez travaillé pour le bien de l'Eftat. Le tems du repos & de la Cou ronne étoit venu, & V. M. doit remercier Dieu qui le lui a donné dans l'éternité. Pardonnez-moi, MADAME, fi j'abuse du loifir de V. M. & faites moi l'honneur de croire que perfonne en France n'eft avec plus de paffion, de refpect & de verité que je le fuis.

LETTRE CXXXI V.

A Monfieur de Vaugelas. Utilité d'apprendre à bien parler. Remarques fur le langage.

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Il y a long-tems que vôtre liberalité m'a fait un grand prefent, en m'envoïant le Livre de vos remarques fur nôtre langue; mais

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il y a fort peu de jours que je l'ay reçû aprés une longue attente. Ce que j'en avois deja vû, ce que j'en avois oui dire à ceux qui en peuvent être les Juges, & qui en font les admirateurs m'avoit donné une étrange impatience de le lire tout entier. D'abord il femble que la matiere non feulement n'est pas fort importante, mais qu'elle eft toutà-fait inutile & indigne d'un homme de vôtre âge, de vôtre condition, & ce qui eft

plus confiderable, de vôtre vertu & de vôtre efprit. La parole eft fans doute ce qui diftingue l'homme des animaux ; mais c'est pour faire paroître une autre diftinction incomparablement plus noble, qui eft celle de la raison, par laquelle il eft auffi éloigné d'eux, qu'il s'approche de Dieu qui eft la raifon furprême, la Souveraine intelligence, & la fource feconde & inépuifable, où toutes les creatures intelligentes puifent la fcience & la lumiere; de forte que le foin principal de l'homme qui fe trouve en ce dernier rang femble devoir être, non pas de parler, mais de raifonner, non pas de travailler à des expreffions éloquentes pour faire entendre fes pensées, mais à bien penfer, & à emporter l'efprit de ceux qui l'écoutent par la force du raifonnement, qui eft, s'il eft permis de parler ainfi, l'Hercule des efprits, & le dompteur des monf tres fpirituels, qui font l'ignorance & la vanité. En effet nous voïons que ces Philo fophes, que l'antiquité a prefque confideré comme des Dieux cachez fous une forme humaine, ont fort negligé ce soin des paroles, & cet Art qui les a pour fon objet,j'entens la Grammaire ; ils l'ont confideré comme l'enfance de toutes les difciplines, où il étoit auffi honteux à un efprit fage de demeurer, qu'à un homme - fait de porter l'habit d'un enfant, & de s'occuper aux exercices & aux

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jeux de cet âge. Les Egyptiens qui ont été les Peres des fciences & à qui les Grecs doivent toutes leurs richeffes, avoient inventé des caracteres hieroglyphiques non feulement pour cacher leurs myfteres au peuple, mais pour abbreger les paroles & fignifier par une feule marque, ce que plufieurs termes devroient expliquer, & ce que fouvent elles affoibliffent. Car il eft certain que l'entendement, comme d'un ordre fuperieur à l'imagination, contemple des veritez, fait des reflexions, tire des confequences & forme des idées que les paroles qui appar tiennent à cette derniere faculté ne peuvent expliquer. Car dependant toutes de l'éta bliffement des hommes, comment pourroiton expliquer ce que l'on trouve de nouveau dans une science, fi on n'invente des mots ? & comment ces mors pourroient-ils repondre à toute l'étendue de la connoiffance de leurs inventeurs, & les faire entendre aux autres qui les peuvent rejetter par la feule raifon de leur nouveauté ? que fi à la peine de trouver des termes propres, il falloit que le Philofophe ajoûtât celles d'en trouver d'élegants, & qui contentaffent les oreilles les plus delicates, il n'y a point de doute que ce fecond travail feroit plus grand que celui les chofes auroient coûté; & que même on n'y pourroit réüffir. Si le choix des termes eft abfolument neceffaire quelque part,

que

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