nos oreilles fuffent accoûtumées à la liberté des vers Italiens, elle donneroit fans doute plus d'efpace à l'efprit pour s'étendre, & les bonnes chofes ne fe perdroient pas à faute d'une rime ou d'une cefure. Mais dans la répuplique des Lettres,auffi-bien que dans la politique, il faut fuivre les loix que l'on trouve établies, & les changemens font toûjours plus souhaitables que faciles. Pour moi qui ne m'engage point dans de grands Ouvrages, j'ai moins de fujet qu'un autre de me plaindre de la contrainte de nôtre Poëfie. J'aurois volontiers employé tout ce que j'y Içai pour honorer la memoire de Monfieur de Peyrefc, qui m'eft infiniment précieuse. Mais comme vous me marquez qu'il feroit befoin de le faire en diligence, je fuis bien fâché que les affaires de mon Diocéfe dont je fuis accablé, ne me permettent pas maintenant ce devoir. Permettez-moi donc de differer une chofe, où mes inclinations me portent avec plaifir, foit que je confidere ce qui eft dû à la vertu d'un fi grand Homme, foit que je regarde vôtre defir qui m'est comme une loi inviolable. Si vous voulez j'écriraià deux où trois de mes amis qui ont plus de commerce avec les Mufes que moi, & qui fçavent mieux l'art de faire des couronnes pour les teftes auffi illuftres que celle de nôtre ami. J'attens avec impatience vôtre Oraison Funebre, & c'eft une étrange injustice que pas ren au tonner qu'on loüât tous les Auteurs anciens qui ont été ennemis declarez de la Religion Chrêtienne. Je fçai qu'on a blâmé dans l'hiftoire de Monfieur de Thou, les éloges qu'il fait de beaucoup de perfonnes qui s'étoient feparées de l'Eglife,& que leur condition, ou leur conduite ne fembloit dre dignes d'y tenir une place fi remarquable. Mais cet exemple n'a pas de lieu contre vous, qui ne faites pas une hiftoire, dont les Loix font trés-rigoureuses, mais une Oraifon Funebre qui n'eft pas fi contrainte, au contraire qui par l'obligation de louer un mort, impofe fouvent une neceffité de loüer plufieurs vivants, fans confiderer fi en d'au tres chofes , que celles dont on parle, il y a quelque chofe qui leur manque: mais cette difficulté eft digne de l'érudition des gens à qui vous avez à faire ; & ils ne trouveroient pas fi mauvais que vous cuffiez loüé Machiavel. J'attens avec impatience cet effay dont vous me parlez fur l'Hiftoire du Concile de Trente. Le Pere Maître fera un miracle, que peu de gens attendent, s'il ôte le credit à l'Hiftoire de Fra-paolo ; vous fçavez que le Cardinal de fainte Sufanne difoit qu'elle étoit verirable, mais que les confequences étoient fauffes. Je n'en veux pas même dire tant; mais à ne regarder que la forme, il faut avouer que c'eft une grande Piece de jugement & d'efprit. L'Eglife fera obligée à celuy qui fera voir la fauffeté bien clairement, & qui dira la verité d'auffi bonne grace, qu'il a dit le menfonge dont on l'accufe. J'ai lu les Prédications du Pere Maître, fur les Litanies de la Vierge, mais elles ne me font pas efperer cela de lui, & pour vous dire la verité, je ne les trouve nulle, ment dignes de la reputation de leur Auteur. Mais je ne fonge pas que je vous ennuye & qu'il eft tems de vous dire A Graffe ce 15 Avril 1638. LETTRE que je fuis. XI V. A Mademoiselle de Rambouillet. Exhortation a imiter l'humilité de l'Enfant Jefus. MADEMOISELLE, Avec la nouvelle année je vous fouhaite de nouvelles graces du Ciel, car pour celles de la terre vous poffedez les plus fouhaitables en un dégré fi éminent, que vous avez autant de fujet d'en être fatisfaite, que les autres d'en être jaloufes. C'eft donc en la grace de nôtre Seigneur que je defire que vous avanciez, & certes c'eft le feul bien qui merite l'amour, la recherche, & l'infatiabilité d'une grande ame comme lavôtre. Tout ce que le monde vous peut promettre eft indigne de vous, & je fçai combien clairement vous en reconnoiffez la vanité. Vous êtes en un lieu où chaque jour vous fournit de nouvelles raifons de le méprifer, & de dependre avec plus de fidelité & de repos, de la conduite de la Providence. C'eft une guide qui ne manque ni de fageffe ni de bonté, elle applanit les chemins les plus rudes, elle comble les precipices les plus profonds, elle nous donne la main & nous fortifie, quand il nous femble que nous ne pouvons plus faire un pas. Offrons lui donc cette année, & pratiquons le confeil de Jefus Chrift, de vivre fans foin du lendemain c'eft à dire,fans nous mettre en peine de ce qui nous arrivera. Ufons de la grace qui nous eft donnée aujourd'hui, demain nous mettrons en œuvre celle qu'il plaira à nôtre Seigneur de nous départir. Ne fongcons pas dans la fanté à la maladie, ni dans la maladie à la fanté, pour nous inquiéter par des defirs inutiles du changement d'état, au lieu de nous fanctifier dans l'état & par l'état où nous fommes. Comment pourrionsnous refufer de nous laiffer conduire à JefusChrift, lui qui fe laiffe maintenant conduire à fa mere: Ĉar comme il eft dans l'enfance, il en veut porter toutes les humiliations, entre lefquelles je remarque principalement la dépendance du foin d'autrui. Il pourroit |