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qu'il y a de plus grand, doit paroître bien petit à une ame née pour poffeder un Dieu. Nous avons trop bonne & trop mauvaife opinion de nous-mêmes. Nous nous donnons pour efclaves au démon, & quelle plus grande baffeffe! c'eft donner à trop bon marché fa liberté : nous ne voulons pas nous foûmettre à Jefus - Chrift, nous refufons la conduite de fa grace & de fon elprit, quel plus ridicule orgueil que la franchife dont nous joüiffons en nousmêmes & pour nous-mêmes eft funefte ! & qu'il eft bien vrai que fi le Fils ne nous délivre, nous ne pouvons être bien libres qu'hors de fa fervitude, il n'y a que tenebres & que captivité. Faifons ce qu'il nous plaira, il faut que nous aïons ou un Maître ou un Tyran, nous ne pouvons vivre fans dépendance, & il faut malgré nous porter des chaînes. Mais puifque nous les pouvons choifir par la lumiere de la grace, feronsnous fi malheureux que de préferer les plus rudes & les plus honteufes à celles qui font fi douces, & fi honorables; & qui pour mieux parler, font moins des liens pour nous charger ou nous captiver, que pour nous empêcher de tomber dans le precipice, & & dont Dieu un jour fera notre couronne dans l'éternité! en paffant à Marseille j'ay voulu voir toutes les galeres. D'abord je confeffe que je fus touché de pitié, voïant

ces miferables qui y font attachez à la rame, qui fains & malades dorment fur un ais, qui font à demi-nuds, & qui ne mangent que ce qui eft neceffaire pour ne mourir pas de faim: mais quand on m'en montra plufieurs, qui aprés avoir fait leur tems ne vouloient pas fortir de cette miferable condition; je fus fi furpris d'un fi grand étonnement, que cela me parut prefque incroïable. Il n'y a rien toutesfois de plus vrai, & les Forçats même me le dirent en fe mocquant de la pitié que j'avois d'eux. Cela me fit faire une autre réflexion plus férieufe fur l'état de ceux qui demeurent dans la fervitude du peché avec tant de joie, & qui font fi infenfibles à tout ce qu'il y a de rude, & de violent. Dieu nous preferve d'un fi grand malheur qui eft le comble de tous les autres ; aimons bien nôtre défert, & tâchons à couler en paix de mauvais jours, comme font tous ceux de la vie humaine; foïons fpectateurs des tragedies qui s'y jouent, mais ne montons pas fur la fcene; elle finira un de ces matins fous les pieds des Acteurs, & plus elle eft éle vée, plus grandes feront les ruines qui les accableront. Je fuis.

A Grassé lë 30. Avril 1639.

LETTRE XXII.

Au Cardinal Bentivoglio. Il fouhaite que fon Hiftoire foit bien-tôt achevée.

MONSEIGNEUR,

Vous me promettez par la derniere de vos Lettres un bien fi fouhaitable & fi fouhaité, que je ne puis m'empêcher de vous preffer de dégager vôtre parole dans peu de tems. Je fuis trop hardi, je le confeffe, de vous demander comme une dette, ce que je dois recevoir comme un effet de vôtre liberalité. Mais accufez-en, s'il vous plaît, la valeur du prefent que vous me faites efperer qui ne peut fouffrir que je l'attende avec patience. Que vôtre Hiftoire foit une Venus, ou une Minerve, mais qu'elle n'ait pas le malheureux deftin d'avoir befoin d'une mainqui l'acheve, & de n'en pouvoir rencontrer. N'ôtez pas à demi la gloire à Theucidide & à Tite-live; arrondiffez vôtre couronne, & gagnez le prix à la fin de la carriere; ouvrez les tréfors de vôtre politique; ploïez toutes les richeffes de vôtre langue, n'y laiffez point d'efforts d'éloquence & de jugement à faire à d'autres qu'à vous. Tout cela veut dire que Vôtre Eminence doit conduire fon

Hiftoire à fa perfection. J'y prens un plus
grand interêt que vous ne penfez; parce que
je fuis plus que je ne puis dire.

A Graffe le 3. Avril 1639.

LETTRE XXIII.

A Monfieur le Comte d' Alais Gouverneur de
Provence, Louis Duc d'Angoulême. Eloge
des vertus Chrêtiennes de ce Prince.

MONSEIGNEUR,

Je baiffe les armes & vous les rends de bon cœur. La langue de la vielle Rome eft triomphante en vôtre plume, & jufques à ce que j'aye confulté long-tems ces illuftres morts, qui la rendent auffi glorieufe, que Les conquêtes, je ne fuis pas d'avis d'entreprendre de vous répondre. Il y a de la gloire à être vaincu, & à tomber d'une main auffi Noble que la vôtre. J'en ay revéré tous les caracteres & n'ai pû garder de moderation dans une joïe fi jufte, que que m'a donné la lecture de vôtre lettre. J'en ai admiré la pureté, & le raifonnement, mais je vous avoue que j'ai pris beaucoup plus de plaifir à y voir le mouvement de l'affection dont il vous plaît de

celle

m'honorer que les lumieres d'efprit, & de doctrine, lefquelles y brillent de tous côtez. Je confeffe qu'en cela je fuis interreffé; mais fi je fais une faute je la trouve fi belle, Monfeigneur, que je proteste de ne m'en repentir jamais. Vous pouvez mettre vôtre bienveillance en un plus digne fujet, mais nou pas plus fidelle pour votre fervice, & plus refpectueux pour vôtre vertu.

Il est vrai que je me ferois une grande violence, fi je n'étois pas paffionné pour vous, à qui mon inclination naturelle m'attache fi puiffamment & fi doucement. Mais je me fens lié par des chaînes plus fortes, que celles de la nature, & quand je ne vous aurois pas des obligations infinies, quand même je ferois affez malheureux pour n'avoir pas vos bonnes graces, je ne pourrois m'empêcher de vous honorer avec un refpect & une tendreffe que je ne puis vous exprimer,comme je le fens. Je vous-ai étudié avec foin, & fi je l'ofe dire avec rigueur ; je vous ai ôté vos fleurs de Lys, votre manteau Ducal, vôtre Gouvernement; j'ai fufpendu tout le mouvement de ma réconnoiffance: mais enfin ma cenfure s'eft terminée en admiration, & j'ai demandé à Dieu d'être auffi bon Evêque que vous êtes excellent Prince. La gra ce Chrêtienne fanctifie chacun en fa condi, tion & n'eft point limitée ni à un peuple ni à un fexe. Mais il eft certain néan

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