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LET TRE XXVII.

A Monfieur d' Andilly, fur la défaite de notre armée, commandée par Monfieur de Fouquieres le cinquième fuin. Sentimens que doit avoir un Chrétien fur les évenemens publics de l'Etat.

MONSIEUR,

Je penfois n'avoir qu'à répondre aux civilitez & aux témoignages d'affection, dont vôtre derniere Lettre eft toute pleine, mais les nouvelles que Monfieur Chapellain m'a' donnez du malheur arrivé devant Thionville: m'obligent de changer de ftile, &de vous dire que ce coup regardant les interêts de vôtre, Famille, auffi-bien que ceux de la France ileft impoffible que je ne le fente d'une fa-i çon toute particuliere. J'ay affez de zele, ce me femble, pour le bien des affaires publiques, je me réjoüis des heureux fuccez de nos armes, & m'afflige de nos pertes; mais c'eft d'une forte que je crois conforme ! aux maximes Chrétiennes, & principale-, ment à cette vûë que nous devons avoir des jugemens de Dieu fur les Roïaumes. Car puifque nous difons fi fouvent que fa volonté foit faite en la terre comme elle eft dans le Ciel, ne devons nous pas pratiquer ce que

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nous fouhaittons, fi nous ne voulons être injurieux à la Divinité? Or dans le Ciel les Saints lavent les mains dans le fang des pecheurs, & fe réjouiffent de voir la puiffance & la juftice de leur Roi triomphante dans les enfers fur les démons, & Tur les réprouvez. La vûë de ce lieu d'horreur ne leur en fait point: leurs gemiffemens leurs heurlemens, leur rage ne peuvent ni les troubler,ni les attendrir par une pitié qui feroit criminelle, & dont la perfection de leur amour les rend incapables. Nous efperons de regner un jour avec eux; pourquoi donc ne commencerons-nous pas en quelque façon dés la terre à benir tous les jugemens de Dieu fur nous & fur les autres. Il eft vrai,que comme nous n'en connoiffons pas les raifons, & que les cœurs de ceux qu'il châtie, font des abîmes que nous ne pouvons fonder, & que la gloire, qu'il tire de tant d'étranges évenemens que nous voyons, eft un fecret qu'il fe referve, il y auroit de la témerité à paffer de certaines bornes en nôtre aquiefcement;il doit être humble & non pas orgueilleux; il doit être un effet de notre obéiffance, & non pas un Arrêt pour condamner, ou pour abfoudre les heureux & les miferables. Puifque la chofe arrive, il eft certain que Dieu la veut ou la permet, & qu'il en feaura bien tirer quelque glbire pour lui; cela nous doit faffire pour demeurer en re

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pos, & benir cette volonté & cette permifhon, qui font également adorables. Mais il eft encore certain, que puifque toutes chofes cooperent en bien aux prédeftinez, & même les pechez, dit faint Auguftin, nous, qui efperons de l'être par la grace de nôtre Seigneur, nous devons tirer profit de tous les accidens foit publics, foit particuliers, qui arrivent dans le monde. Combien de fruits ne fe peuvent-ils pas cueillir de cette derniere calamité quels actes d'oblation n'y a-t-il point à faire à Jefus-Chrift, de la reputation de fes proches, de l'honneur de fa famille, des efperances de la fortune des interêts domeftiques; des jugemens du monde toujours injufte aux malheureux, du mécontentement des Puiffances, qui ne juftifient gueres les mauvais évenemens pour les autres, de peur que le malheur de l'iflue he faffe reconnoître quelque faute en l'entreprife; certes il ne faut qu'une affliction, comme celle-ci, pour faire beaucoup de Saints; je fuis bien affure, qu'elle vous fera encore avancer dans la route où Dieu vous a mis, d'un entier dégagement du monde. Son image paffe, & ce qui nous paroît un corps fi folide, n'eft qu'une ombre. Qu'il eft bon de le méprifer ce monde ennemi de Jefus-Chrift, & de faire de fon mépris fon principal honneur. Je veux croire, qu'il fera jufte en cette occafion & que l'on ne

voudra pas, qu'un chef puiffe vaincre & combattre tout feul. Je vous prie de me mander les particularitez de cette affaire, qui fe peuvent écrire, & de croire que je fuis parfaitement.

A Graffe le 3. Juillet 1639.

LETTRE XXVIII.

A Mademoiselle Paulet, fur les motifs que doivent avoir les Prêtres & les Auteurs Chrétiens en écrivant.

MADEMOISELLE,

J'ai lû les vers, que vous m'avez envoiez, où j'ay trouvé beaucoup d'efprit; & de grace, & hors quelques affectations qui femblent un peu mal-féantes en un fujet fi Saint, l'ouvrage fe peut dire bon. Je confeille à l'Auteur de continuer à travailler fur ces matieres, qui peuvent l'inftruire & le rendre meilleur, pourvû que la pieté le pouffe, & non pas la vanité. Car l'un des plus grands facrileges que l'on peut commettre, eft de fe fervir du Nom de Dieu pour faire connoître le fien, & de chercher de la gloire dans l'explication des myfteres

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pour

qui ne font révelez qu'aux humbles. Je ne blâme pas ceux qui compofant une Ode pour un homme, fongent autant à gagner des admirateurs de leur efprit,qu'à faire honnorer fa vertu, & qui fous pretexte de l'immortalifer, cherchent à s'immortalifer eux-mêmes. C'eft peut-être l'objet, qu'ont eu les meilleurs Ecrivains des fiecles paffez dans leur Panegyriques, où fans parler d'eux, ils ne laiffoient pas de fe loüer; puifqu'à proportion qu'ils fçavoient l'art de louer leur fujer, ils fe rendoient dignes des louanges de la pofterité. Il femble auffi qu'il étoit bien jufte, qu'aïant ordinairement travaillé des Princes ingrats, ils fuffent païez par leurs propres mains, & que le don qu'ils leur faifoient leur fervit de récompenfe. Mais quand on parle du Roi des Rois, il ne faut rien que de pur & de faint dans ce commerce. On doit trembler en une entreprife qui furpaffe toutes nos forces ; & puis qu'il nous permet de bégaïer en fa prefence il faut du moins bégaier refpectueufement. Or peut-on violer plus cruellement ce refpect que de faire porter à des Vers un tître; qui les lui confacre, & qui en effet les donne au monde, afin que fes applaudiffemens flâtent nôtre vanité; au monde fon ennemi, au monde qui ne le connoit point & ne le peut connoitre; au monde le plus inique juge, qui fe puiffe mêler de prononcer fur les

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