Imágenes de páginas
PDF
EPUB

amis dans le Ciel plus parfaitement, que je ne puis faire fur la terre, je ne fçaurois quafi me refoudre en cette occafion, où un de ceux que je cheriffois le plus tendrement, n'a pas eu le loifir de nous laiffer des marques de fa pénitence. Il étoit bon, & par la grace de Dieu exempt de Dieu exempt des plus grands. vices attachez à fa profeffion; mais les jugemens divins font fi redoutables, qu'il n'y a point de jufte, qui puiffe répondre un pour mille, comme dit le chef-d'œu vre & le miroir de la patience. Toutesfois la mifericorde prefide à fes jugemens, & nous n'avons pas pour juge le Dieu des batailles; mais le Fils de l'Homme, qui fçait en un inftant operer dans la volonté des fiens des chofes admirables, & une converfion digne du Paradis. Cette efperance me confole, & je fens un mouvement extraordinaire qui me preffe à y acquiefcer, Ce qui eft indubitable, Monfieur, en cette affliction, que je vois commune à tant d'honnêtes gens, gens, mais que la bonté de vô

tre naturel vous rend avec raifon fi fenfible eft que notre Seigneur veut que nous lui facrifions de bon cœur cette victime, qu'il a prife comme le maître de la vie & de la mort de tous les hommes; mais outre cette qualité, il eft Prêtre éternel & par l'autori té de ce divin Sacerdoce, il peut facrifier nos freres, nos amis, & nous-mêmes. Or

il

il faut, s'il eft poffible, que ce facrifice imite le fien, & que comme il l'accomplit fans ouvrir la bouche pour murmurer, nous confentions au nôtre fans proférer d'autres paroles que de benediction. Ne fommesnous pas heureux de lui pouvoir donner quelque chofe, & d'être mis par l'affliction en état de faire des actes meritoires, faifant des actes de juftice & d'obligation. Qu'il regne à jamais fur nous, qu'il difpofe de tout, qu'il nous ôte & le bien & l'honneur, & la vie & la fanté, & les freres & les amis; auffi-bien tout eft à lui, aussi – bien nous doit-il être toutes chofes. Pleurons les morts, mais non pas comme ceux qui n'ont point d'efperance; pleurons plutôt fur nous & de ce que nous ne fommes pas morts, comme nous le devons être enfuite du Baptême. Hélas! en écrivant ceci je ne fais pas ce que je dis; car je ne puis rétenir mes larmes pour ce cher Frere fidigned'être pleuré demain je l'offrirai au faint Autel & demanderai à notre Seigneur qu'il vous fortifie contre tant d'attaques, qui viennent en 'foule heurter vôtre vertu. Elles font terribles, & vous pouvez dire que les eaux font entrées bien avant dans votre ame; mais il faut `ajoûter : falvum me fac Deus, & affurément il Vous conduira au port par ces orages, qui valent bien mieux que le calme de tant d'autres. Je fuis.

A Greffe ce 22. Juillet 1639.
E

LETTRE XXXII.

A Monfieur l'Abbé de Saint Nicolas, fur La mort de Monfieur Arnaud.

MONSIEUR,

Selon la maxime du Sage il n'y a point de maifon en France, où la demeure foit meilleure que dans la vôtre, car elle eft par excellence la Maifon de larmes & de e trifteffe. Il femble que Dieu n'a pour selle que des rigueurs, qu'il la choifit entre les autres pour la combler d'amertume, & qu'il en eft plutôt le Juge que le Pere. Depuis deux ans vous avez pleuré une Bellefœur, un Coufin, un Frere, & un Neveu qui ne laiffe pas d'être mort quoi qu'il foit envie. Vous avez penfé perdre un Allié deyant Thionville; enfin vous êtes les hommes de douleurs : mais ce tître que le mon, de abhore eft précieux devant Dieu. Son Fils l'a porté en la terre & l'a aimé, & il le communique plus parfaitement à fes ferviteurs felon qu'il les aime. La Vierge qui tient la premiere place dans fon amour à été la femme de doulcurs, & nulle d'entre les meres ne fouffrira jamais en mettant un fils au monde ce qu'elle a fouffert

[ocr errors]

quand le fien en fortit. Alors elle para avec ufure le privilege d'avoir enfanté fans tra vail, & fut véritablement une defoleé Ma

& non plus une agreable Noëmi. Lifons toutes les Hiftoires des Saints, nous trouverons dans les plus grands de plas grandes croix, plus de pertes, plus d'infa mies plus de mépris, plus de pauvreté ; ne voudrions-nous pas marcher par un chemin que tant d'illluftres voïageurs ont battu t J. C. eft un divin jardinier, mais il ne feme point de rofes dans le jardin de fon épouse, où elles font toutes environnées d'épines; & elles tirent leur pourpre du fang de ceux qui les cueillent. Il y coule des fontaines

[ocr errors]

our l'arrofer, mais ces fontaines qui ont la pureté du chriftal, ont l'amertume de l'abfinthe; on y eft en feureté, mais c'est parce que des haïes piquantes l'environnent de toutes parts: on y voir meurir des fruits, mais ils ne flâtent point le goût. Mangeonsen toutesfois volontiers, & affurons-nous que nôtre efprit les trouvera infiniment agreables. Les pommes qui croiffent ap bord d'un lac infâme cachent de la cendre fous une peau fleurie, & celles qui naiffent fur le Calvaire, couvrent des fleurs & du miel fous une peau de cendre, C'est à cette figure que fe doivent conformer tous les Chrêtiens. Mais les Prêtres y font principalement obligez,puifqu'ils mangent tous

[ocr errors]
[ocr errors]

les jours à l'Autel ce pain cuit fous la cendre, en la vertu duquel il n'y a point de fi haute montagne à la cime de laquelle on ne puifle arriver. Quoi! ceux qui tous les jours immolent Jefus Chrift à l'Autel & qui annoncent fa mort, ne feront-ils pas eux-mêmes en difpofition de fe facrifier eux & toutes les chofes qu'ils aiment ? Si tandis qu'ils of frent au Pere éternel l'Agneau fans tache, ils refervoient leur vie ou celle de leurs proches, ne feroient-ils des pas mocqueurs plutôt que des Prêtres ? la nature n'acquief ce pas tout d'un coup à ces fentimens ; auffi n'eft-ce pas felon la nature que nous vivons, mais felon la grace, qui nous rendant enfans du Pere celefte & freres de Jefus Chrift nous oblige d'aimer nos peres & nos freres terreftres, avec dépendence de cette paternité & fraternité toutes divines. Pleurons fur lui, mais pleurons faintement, & preparons-nous à pleurer encore beaucoup d'autres, aufquels nous ne fongeons pas. Pour moi je pleure tout de bon, & je ne fais prefque rien de ce que je vous écris, ni ne puis dans mon affliction vous écrire autre chofe, finon que je fuis.

A Graffe ce 22. Juillet 1639.

« AnteriorContinuar »