il y a tout lieu de penfer que le même principe fera fuivi des mêmes effets dans tous les pays où il fera adopté. L'exemple des Anglois fuffit pour que les François ne conçoivent aucune crainte à cette égard; & il impoffible que les grains étant diminués de valeur en Angleterre, depuis que l'exportation en est libre, cette même liberté les faffe augmenter en France. On ne peut fe diffimuler que l'efprit d'intérêts de la plupart des Propriétaires n'ait été le grand mobile pour faire desirer en France l'Edit du mois de Juillet 1764. La diminution succesfive du prix des grains, durant quelques années, a fait craindre aux Propriétaires de n'être plus payés exactement par leurs Fermiers, & d'être, par une conféquence néceffaire, obligés de baiffer le prix de leurs fermes, allarmés de ce danger, & peu touchés du bien-être des pauvres, des journaliers & de tous ceux qui n'ont pas de propriété, ils ont espéré que la liberté de l'exportation foutiendroit le prix du bled à ce qu'ils appellent une valeur raisonnable, que quelques Auteurs fixent de 22 à 24 liv. le feptier mesure de Paris. On voit même par l'Edit du mois de Juillet de 1764, que le Gouvernement n'a défendu l'exportation que lorfque le quintal de froment excéderoit 12 liv. 10 fols, ou 2 f. 6 d. la livre de grain ; ce qui porte la valeur du septier mesure de Paris à celle de 30 liv. Il est cependant à propos d'observer que, depuis 1724 julques & compris 1763, malgré les années de cherté qu'on la éprouvée à Paris en 1724, 1725 & 1726, 1740, 1741 & 1742, 1752 & 1757, la valeur du feptier de bled mesure de Paris & de la meilleur qualité, n'a été, année commune, que de 18 liv. 10 fols; ce qui revient à 1 f. 6 d. la livre de froment en forte qu'il y a une véritable cherté & par conféquent beaucoup de mifère pour le peuple, lorsque la valeur du bled eft portée à 2 f. 6 d. la livre. Les Propriétaires eux-mêmes, quelqu'intéreffés qu'on puiffe les fuppofer, feroient certainement touchés de la mifère du peuple, fi le prix moyen de cette denrée de première néceffité fe trouvoit porté, année commune de 1 f. 6 d. à 2 f. 6 d. I On entend dire affez communément qu'il eft néceffaire que le bled foit d'une certaine valeur pour que tout le monde vive. Ceft l'expreffion dont on se sert ordinairement, & beaucoup de gens font perfuadés que le peuple refufe de travailler, & devient pareffeux lorfque le prix des grains eft, ce qu'on appelle, à vil prix, c'est-à-dire, lorsqu'étant au-dessous de la valeur de l'année commune le feptier de Paris ne vaut pas 18 liv. & par conféquent lorfque la livre de froment ne se vend qu'environ 15 deniers. Cette prétendue maxime, inventée par les propriétaires & les personnes riches, est auffi tyrannique & auffi fauffe que celle contre laquelle les Auteurs politiques fe font récriés avec tant de raison, c'est-à-dire, que le peuple n'eft foumis & docile qu'autant qu'il eft chargé d'impofitions. Perfonne ne foutiendra aujourd'hui un principe aussi évidemment dur & inhumain. On en peut dire autant du premier, toujours répété par les propriétaires & les riches dans les années où le bled est à bon marché. Il est aifé de démontrer que le bonheur & l'aisance du peuple consiste dans le plus bas prix poffible de la valeur du bled, & que le moindre enchériffement de cette denrée eft pour lui une taxe bien plus lourde & bien plus onéreuse que toutes les impofitions auxquelles il peut être affujetti. En effet, en prenant pour exemple l'année 1745, où le feptier de bled mesure de Paris n'y a été vendu que 12 liv. 1 f. 3 d. ; ce qui revient à 1 ር par livre de grain, & en comparant cette même année à celle de 1750, où le même septier a été vendu 18 liv., c'est-à-dire, 1 f. 6 d. la livre de froment; on peut voir, par un calcul très-simple, la charge effrayante supportée par le petit peuple, les journaliers & autres fujets du Roi, qui n'ont aucune espèce de propriété & de culture, & qui compofent plus des trois quarts des habitans du Royaume. Un chef de famille, chargé de la nourriture & subsistance d'une femme & trois enfans, est présumé consommer, dans le courant de l'année, la quantité de 15 feptier mesure de Paris, fur le pied de trois feptiers par tête. Ce compte eft beaucoup trop fort, & par des recherches faites avec la plus grande exactitude, on s'eft affuré que les hommes ne consommoient pas, les uns dans les autres, audela de deux feptiers de bled mesure de Paris. Quoique cette fconommation puiffe paroître, modérée & au-deffous de la vérité, à la plupart des Lecteurs, il en résulte cependant que le chef de famille, chargé d'une femme & de trois enfans, qui n'eft ni propriétaire ni cultivateur, eft obligé d'achèter annuellement dix feptiers de bled mesure de Paris. Ces dix feptiers ne lui ont couté en 1745 que 120 liv., au lieu qu'en 1750 il les a payé 180 liv, ; il a donc été obligé de subvenir en 1750 à un excédant de de 60 liv. de dépense indifpenfable: or, il eft certain que ce chef de famille ne paye pas 25 liv. d'impofitions par année, en y comprenant tous les droits auxquels il peut-être affujetti. Quelque prévenue qu'on puiffe être en faveur de la prétendue maxime que le bled doit être à un bon prix, on ne peut donc l'empêcher de convenir que le journalier, chef de famille, étoit plus heureux en 1745 qu'il ne l'étoit en 1750. Quelle a donc été fa pofition en 17523 lorfque le feptier, mesure de Paris, a valu 24 liv. 15 fols, & lorfque la dépenfe indispensable de fa nourriture & la fubfiftance de fa femme & de fes enfans ont excédé du double celle de 1745. Sa fituation a été d'autant plus affligeante, que fes impofitions ordinaires n'en ont pas été diminuées, il a été également obligé de les payer fans aucune diminution, & a par conféquent été forcé de s'épargner fur fa nourriture, celle de fa femme & de ses enfans, de leur refufer le néceffaire, de ne les pas vêtir, & de ne leur pas donner ce qui pouvoit contribuer à l'aifance & à la commodité d'une vie destinée à être laborieuse, mais non pas indigente. Il n'y a donc pas d'impofition comparable à la surcharge que donne au petit peuple & au journalier le plus petit enchériffement fur la valeur des grains; & le Royaume feroit fort à plaindre, fi le prix des grains étoit porté, année commune, à 2 f. 6 d. la livre. On a comparé les années 1745 & 1752, quoique dans cette dernière le prix du bled n'ait monté qu'à 24 liv. 15 f. le septier, mesure de Paris, ou à 2 f. la livre de froment, parce qu'à ce prix il n'y a pas de cherté, & que la valeur en eft fort inférieure à celle fixée par l'Edit du mois de Juillet 1764 pour en empêcher l'exportation. Si on fait les mêmes calculs fur les 37 liv., prix du feptier en 1741, on sera effrayé de la mifère que le peuple a éprouvée dans cette année malheureuse. Il n'eft pas difficile de réfuter la prétendue maxime que le peuple ne travaille que lorsque le bled est à bon prix. Il peut fe trouver effectivement parmi le peuple des artisans & gens de journée naturellement indolens & pareffeux, qui ne font excités au travail que par l'extrême néceffité, & qui, dans les années d'abondance, fe trouvant affurés de leur subsistance, ont ceffé de travailler pendant quelques jours ou quelques femaines ; mais il s'en faut beaucoup que ce foit une façon de penser générale parmi le peuple : les artisans, les journaliers, &c. ne travaillent pas feulement pour fe procurer la fubfiftance néceffaire & indifpenfable, ils cherchent encore à être vêtus, eux, leurs femmes, & leurs enfans, & à fe donner les petites commodités dont leur fituation est susceptible, & c'est ce qui arrive en effet dans les années où le bled est au meilleur marché poffible, ce font celles où le peuple fait fa petite provifion de meubles & de vêtemens; on s'en eft procuré la preuve par le réfultar des Manufactures de la Généralité de Rouen. Voyez les Tables 4, 5, 6 & 7: & le Lecteur peut ob4,5, ferver que les années, où le bled a été à meilleur marché, ont été celles où il s'eft fabriqué le plus d'étoffes. La preuve réfultante de ce détail, pris dans la Généralité de Rouen, est d'autant plus intéressante, & s'applique d'autant plus à la matière présente, que , que les étoffes qui y font fabriquées, font toutes à l'usage du peuple & des petits bourgeois, & par conféquent de ceux que l'augmentation du prix des grains affecte le plus. Puifque les fabriques de la Généralité de Rouen ont été plus occupées dans les années où le bled a été moins cher, il en réfulte la conféquence néceffaire que le peuple a plus travaillé, puifque ces étoffes ne font fabriquées que par les ouvriers qui vivent au jour la journée. Le peuple, ayant été plus occupé dans les années d'abondance que dans les années de cherté, il en résulte la démonstration incontestable, 1.o Que la prétendue maxime, que le peuple n'est excité au travail que le preffant befoin, est également fauffe & injufte. 2.° Que le peuple, dans les années d'abondance, est en état de confommer davantage, de fe mieux vêtir, & de fe procurer les aifances & les commodités de la vie, & par conféquent qu'il eft moins malheureux; il eft donc de la bonté du Gouvernement de procurer au peuple fa fubfiftance au meilleur marché poffible; & la feule humanité doit faire defirer à tous les ordres de citoyens que le peuple jouiffe fans interruption de ce précieux avantage. par M. De la Chalotai, Avocat Général au Parlement de Bretagne, fe plaint dans son Réquifitoire, pour l'enrégistrement de l'Edit du mois de Juillet 1764, de ce que les journées d'ouvriers, les gages des domestiques, & tous les ouvrages & marchandises ont confidérablement augmenté de valeur & de prix depuis un fiècle, quoique le bled ait éprouvé une grande diminution de valeur dans le même espace de temps; ce qu'il envisage |