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pour celui d'Alix, & pour mon repos. J'écrivis à cette charmante fille; elle approuva ce que mon pere exigeoit de moi, & peu de jours après je partis.

Raoul arrêta Roger en cet endroit de fon récit: Il faut, lui ditil, que j'aie pour vous une amitié bien indulgente, non feulement pour vous avoir écouté fi longtems, mais encore pour m'être fenti touché de tout ce que vous venez de m'apprendre. Pouvez-vous avoir gardé le filence avec moit jufqu'à ce jour? Comment votre ame, pleine de fa douleur, a t'elle. pû fe refuser la confolation de s'épancher dans le fein d'un ami? Si j'ai autant de force pour conferver mon reffentiment, que vous en avez eu pour garder votre fecret, craignez que je ne vous pardonne de long-tems. Hé bien! mon cher Raoul, repartit Roger, pour vous donner le tems de me pardonner remettons ce qui me reste à vous apprendre, à une autre occafion. Non pas, lui dit Raoul ; il ne vous eft plus permis d'interrompre une

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converfation dont le fujet eft, pour moi, fi intéreffant: vous continue rez; j'exige de vous cette complaifance. Vous n'auriez pas à m'en remercier, reprit Roger, fi nous en avions le tems: j'adore Mademoiselle de Rofoi,, elle m'occupe fans ceffe; peut-il être pour moi des inftans plus doux que ceux où je m'entretiens d'elle? Mais nous avons ici des bienféances à garder: la nuit tombe déja, & l'heure approche où l'on s'affemble chez le Prince; nous devons y être des premiers: notre abfence, notre retardement même y feroit remarqué. D'ailleurs, je lis dans vos yeux l'impatience que vous avez d'aller au Quartier du Duc de Bourgogne, pour y faire votre cour à l'aimable Madame de Camplit. Puifque vous le voulez ainfi, repliqua Raoul, j'y vais de ce pas; mais j'y vais pour vous juftifier auprès de toutes les femmes aimables, qui vous croïent infenfible. Pour faire ceffer leur étonnement, je leur apprendrai la caufe de votre indifférence pour elles; je veux leur épargner

avec vous, les frais d'une coquetterie en pure perte pour leur vanité. De même que les charmes de Madame de Camplit, répondit Roger, ont juftifié dans votre esprit la foibleffe du Duc de Bourgogne pour elle, ils me garantiront de votre indifcrétion; en les voïant, vous ne fongerez plus à parler de moi. J'avoue, mon cher Roger, repartit Raoul, que Madame de Camplit m'amufe infiniment; l'agrément, qu'elle a dans l'efprit & dans toutes fes manieres, échauffe mon imagination: cependant ne craignez rien pour mon repos; je ne fuis ni aflez humble, ni affez vain, pour devenir un Rival ferieux du Duc de Bourgogne. Je trouve Madame de Camplit aimable, fans la craindre: le plaifir que je fens à la voir, ne me caufe que des défirs qui ne font mêlez d'aucune inquiétude; & l'idée qu'elle me laiffera de fes charmes, en quittant ce Camp, me fera toujours plaifir, & ne m'inquiétera jamais. Madame de Camplit est toute dans mon imagination, & non dans mon cœur.

Allons

Allons donc, mon_cher Roger, faire notre cour au Duc de Bourgogne; moi pour y voir Madame de Camplit, qui, fans être touchée en ma faveur, écoutera avec complaifance ce que je lui dirai; vous, pour vous arracher, s'il fe peut, à vous-même.

C'étoit moins la beauté de Madame de Camplit, qui l'avoit rendue maîtreffe abfolue du cœur & de l'efprit de Hugues de Bourgogne, que beaucoup d'habileté: fes manieres careffantes, un badinage léger, une raillerie fine, des faillies heureuses, un pinceau vif & brillant pour peindre ou les caracteres ou les ridicules, des idées fingulieres, & fingulierement renduës; tont cela réuni enfemble, en faifoit une femme charmante. Elle étoit trop attentive à conferver fa con quête, pour laiffer le Duc de Bourgogne dans une tranquilité dangereufe; aufli ne s'armoit-elle jamais d'une feverité, qui auroit éloigné ceux que fes appas captivoient. Elle vouloit des victimes toujours toutes prêtes à immoler à la jaloufie du

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Duc; jaloufie qu'elle fçavoit faire naître, nourrir & arrêter, felon qu'elle le jugeoit à propos. Son grand art étoit de ne jamais paroître exiger rien de lui, que pour fa propre gloire: fon interêt fe tenoit toujours caché fous le voile de celui du Duc de Bourgogne. Elle fe fervoit du prétexte d'aimer les Fêtes & les Spectacles, pour l'amufer fans ceffe. Ce Prince croïoit s'acquérir des Créatures, en répandant des graces; mais ces memes graces affermifloient toujours le pouvoir de Madame de Camplit, qui feule, malgré le jufte difcernement de Hugues, décidoit qui les méritoit le mieux: ainfi le Sujet revêtu d'une nouvelle dignité, ou accablé des libéralitez du Duc, croïoit tout tenir de Madame de Camplit.

Ce fut de fon caractére, de fon adreffe, & du pouvoir qu'elle avoit fçû prendre fur l'efprit du Duc de Bourgogne, que le Sire de Couci & le Comte de Rethel, s'entretin rent jufqu'au moment où ils arri verent au Camp. Le Jeu, la Mu

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