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Malgré le défir que j'avois de voir le Comte de Champagne & de juger par moi-même de fa Cour, je quittai mon pere à re gret. La folidité de fes raisonnemens, & les réflexions où ils me conduifoient me faifoient trous ver un plaifir toujours nouveau, à paffer les jours entiers avec lui. J'arrivai à la Cour de Champagne; je la trouvai encore audeflus de ce qu'on en publioit. Henri me reçut en Souverain, qui, par un accueil familier, mais pourtant: mefuré, indique à fes Courtifans la. maniere refpectueufe dont ils doivent fe comporter avec tout ce qui : à l'honneur de porter fon nom. Son caractere m'infpira d'abord une eftime finguliere, & fes bontez firent: fuivre de près la plus tendre amitié ; mais je n'eus le tems de prendre ces fentimens, que pour donner des larmes à fa perte. Ce Prince avoit contracté en Orient, une maladie de langueur;il ne vouloit point s'écouter: on lui confeilloit en vain d'avoir des attentions fur fa fanté; il comptoit trop fur la bonté de fon

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tempérament; lui feul ne s'appercevoit point que fes forces dimi-nuoient tous les jours. Enfin, une fiévre violente fuccéda à cette foi-> bleffe; it mourut. Sa vie avoit été glorieufe; fa mort fut héroïque,. & jetta une confternation générale dans le cœur de tous fes Sujets. Chacun croïoit avoir perdu le Chef: de fa famille. Je fentis une fincere & vive douleur de fa perte: la tri-: fteffe où la Cour de Champagne étoit plongée, m'arrêta plûtôt que de me chaffer. Sa fituation étoit femblable à celle de mon ame; je: n'y voïois plus perfonne s'apercevoir de ma mélancolie, & les plaifirs, importuns pour moi, ne cherchoient plus à m'en tirer: enfin, j'étois moins trifte, quoique plus affligé.

L'amitié qui s'étoit formée entre le Comte de Sancerre & moi, me rendit bien sensible à fa douleur: il perdoit dans le Comte de Champagne, un refpectable & tendre frere. Je ne le laiffai jamais livré à lui même, dans tout le tems. que je reftai à Troie. J'y étois avec quel

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quelque tranquilité à l'égard de. Madame de Rofoi: je m'y regardois comme aux portes de Paris, dont je ne voulois pas m'éloigner. Je me voiois près de Rethel, & je recevois fouvent des nouvelles de Mademoiselle de Rocheville.. Hélas!! elle croïoit, comme Alix, queje. n'avois plus qu'un moment à attendre pour être heureux.

Les chofes étoient en cet état, lorfque Mademoiselle de Roche-ville, à qui j'avois mandé de preffer Madame de Rofoi fur mon rappel, m'écrivit. Sa lettre me fit voler à Rethel, pour y prendre con-feil de mon pere: il fut auffi furpris que moi de voir par cette: lettre, ce que Madame de Rofoi exigeoit. Comment, dit il, cette cruelle femme voudroit encore ajouter trois mois aux fix qu'elle: vous tient éloigné de la Cour? Je : le.vois; jamais elle ne pourra obtenir d'elle, de vous rendre heureux. Il faut lui arracher un confen tement qu'elle ne peut fe réfoudre à donner. Sa folle paffion nourrit dans elle l'idée chimérique que le

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tems, les obftacles & l'absence; triompheront de votre tendreffe & de celle d'Alix. Dans cette espé-rance, elle vous tiendroit éloigné des années entieres, fi on l'en laiffoit la maîtreffe. Mademoiselle de Rocheville vous apprend par fa lettre, que le Vicomte de Melun eft arrivé: il eft frere de Madame de Rofoi; elle le craint, elle l'aime. & le refpecte. Retournez, mon fils, à la Cour de Champagne, & moi je vais à celle de Philippe. Je verrai d'abord Madame de Rofoi; je lui demanderai fi elle n'eft pas encore fatisfaite de votre foumiflion > fi elle ne veut pas vous rappeller,. pour vous donner un bien, qui vous et dû depuis fi long-tems. Ce fera moins fa réponse qui réglera ma conduite, que le ton, le gefte & la voix dont elle l'accompagnera. Quelle que foit fa réponse, je parlerai au Vicomte; je le connois peu, mais il eft homme d'honneur; ila de l'efprit, de la valeur, & de la droiture: nous ferons bien-tôt amis. Son long fejour en Allemagne, & un leger fujet que le Seigneur de Rofoi croïoit avoir

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de s'en plaindre, lui ont dérobé la conoiflance de mes engagemens avec fon beau-frere. I convient qu'il en foit inftruit, & peut-être de tous les vains prétextes emploïez pour rompre, ou différer votre mariage. Deux jours après mon pere partit pour fe rendre à Paris, & moi je retournai à Troïe. Jugez, mon cher Raoul, fij'étois bien tranqui le!

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L'arrivée de mon pere étonna Madame de Rofoi: elle lui parut. troublée; mais le remettant auffi tôt, elle lui dit, en préfence mê me d'Alix & de Mademoifelle de Rochevillle, qu'elle voïoit bien le fujet qui l'arrachoit de Rethel; que fans doute fa conduite lui étoit fuf pecte, malgré la fincerité: elle a jouta qu'il s'allarmoit à tort; qu'el• le défiroit, autant que lui, une u nion d'où dépendoit mon bonheur & celui de fa fille; mais que de puiflantes raifons la forçoient à le différer encore. Enfin, elle le conjura de ne faire aucune démarche pour l'obliger à ce qu'elle ne pouvoit pas fi-tôt terminer, affurant que

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