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pour lors à la Cour de Bretagne. Il m'apprit d'abord que Mademoifelle de Rofoi traînoit fes jours dans une affliction capable de toucher, & d'intereffer pour elle les plus infenfibles; que le Comte de Dammartin en étoit le trifte témoin; qu'en vain le Duc de Bretagne & la Ducheffe Conftance, cherchoient à adoucir la douleur de cette infortunée; que la présence du Vicomte n'avoit encore fervi qu'à irriter fes maux; qu'elle étoit tombée dans un état digne de compaffion, lorsqu'il lui avoit dit qu'il ve noit en Bretagne pour unir fa deftinée à celle du Comte de Dammartin; & qu'enfin c'étoit pour elle le comble du défelpoir, dene pouvoir, même fans honte, finir la trifte vie dans le Monaftere le plus é carté.

Je lifois & relifois à tous les inftans, ces affreufes circonstances de mon malheur & de celui d'Alix. Je reçus alors un paquet du Comte de Rieux; ce qu'il contenoit me fit entrer en fureur, & mon délefpoir m'auroit porté aux dernieres

extrémitez contre moi-même, fi la douleur de mon pere & ma tendrefle pour lui ne m'euflent arrêté. Rieux me mandoit que Mademoifelle de Rofoi venoit enfin d'époufer le Comte de Dammartin; qu'ils avoient été à l'Autel comme deux Victimes prêtes à être immolées, qu'à la fin de cette trifte cérémonie, Alix étoit tombée dans un état qui avoit arraché de larmes à toute l'aflemblée. Pour achever de m'accabler, & pour me faire mieux fentir le prix du bien que je perdois, Alix elle-même m'écrivit. Sa Lettre étoit dans celle du Comte de Rieux je vais vous la lire: la voici. Jamais je n'ai pû me réfou dre, à ne pas la porter fur moi. Mais, mon cher Raoul, lifes-la vous même, & vous jugerez de l'état où elle me réduisit. Raoul la prit & lut.

Mon devoir, qui fera demain notre plus cruel ennemi, ne me defend pas aujourd'hui de me plaindre de fa rigueur; il ne fçauroit encore me faire un crime de céder à l'envie d'adoucir votre trifte fituation. Mais fera

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ee en vous inftruifant de mes maux que j'adoucirai les vôtres ? Non; &je vais y ajouter encore, en me plaignant de nos malheurs. Puis-je y penfer! Demain, je jurerai votre perte & lamienne! Demain, je me jurerai à moi-même de ne vous plus aimer! Hélas ! Demain .... Ab ! cher Comte, quel terrible jour ! Il ne me refte que celui-ci pour vous dire un éternel adieu; pour vous dire fans crime, que je vous aimerai jufqu'au pié de l'Autel, où j'irai demain facrifier ma tendreffe. Quel eft mon malheur ! Ce jour paffe, il ne me fera plus permis de me plaindre; il ne me fera plus permis, fans crime, de me fouvenir de vous. Hé ! comment vous oublier! Encore fi je pouvois, fans bonte, demeurer libre le reste de ma vie ! je pourrois du moins, retirée du monde vous aimer toujours. Hélas! cette liberté auroit feule adouci le Souvenir de mes malheurs. Je n'aurois pas de durs combats à foutenir entre un cruel devoir, & une ten dreffe qui aura d'autant plus de peine à céder, que je m'applaudij.

fois de la reffentir pour vous. Funef tes préjugez! Cruelles bienséances! Pourquoi faut-il que je fois votre Victime? Mais que fais-je ! Je ne voulois, avant de prendre la plume, que vous inftruire que le Comte de Dammartin fera demain l'époux de Pinfortunée Alix. Ce nom qu'il va avoir, malgré vous & malgré moi; ce nom, qui va faire trois malheureux; ce nom nous prefcrit des loix terribles! il me prefcrit de vous oublier. Quel effort! mais il faut l'obtenir de moi-même. Il vous prefcrit à vous, de me refpecter au point de me laiffer ignorer tout ce qui fe paffe en vous, & de fuir tous les lieux où je ferai. Il vous preferit, encore, ce nom fatal, mais facré, de refpecter dans un Robert, la Comteffe de Dammartin. C'est au nom de toute la tendreffe qu'il m'est encore permis de dire que j'ai pour vous: c'est au nom de la vôtre, que je vous demande le généreux facrifice de tout votre reffentiment. Quelque envie que j'aie de vous oublier, ne me donnez jamais d'armes contre vous; je n'en veux point de votre part, j'en trou

verai dans mon devoir. Adieu, cher Comte: fuiez-moi toujours; arrachez moi de votre cœur mais ne m'oubliez jamais.

Avois-je befoin de cettte Lettre, dit le Sire de Couci, en la rendant au Comte de Rethel, pour eftimer, pour aimer la Comteffe de Dammartin, & pour plaindre fa cruelle deftinée? Que fon fort eft déplorable! Que de mérite & d'infortune! Que votre douleur étoit jufte! Qu'elle a dû être violente! Cette Lettre, dont vous êtes fi touché, mon cher Raoul, reprit Roger, me jetta dans une fituation inconcevable. Elle m'affligeoit, & adoucifloit en même tems ma douleur & ce fut en l'arrofant de mes pleurs que je promis à Alix tout ce qu'elle exigeoit fi tendremennt.

Le Vicomte de Melun revint de Bretagne, il me vit, il m'embraffa les larmes aux yeux, & me dit: Je prends trop d'interêt, mon cher Roger, à tous vos malheurs, ils me touchent trop fenfiblement, pour vous dire un mot qui puiffe vous les rappeller; permettez-moi

de

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