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prifable celui qui auroit à rougir de ne tirer la grandeur que de celle de fes Ancêtres. Si la politeffe de ce Prince, fa magnificence, la beauté de les Troupes, & l'exactitude du fervice Militaire faifoient voir en lui un Souverain digne de l'être, il trouvoit tous les Seigneurs François dignes d'être les Sujets de Philippe, & Philippe, heureux de regner fur de tels Sujets. Ces réfléxions faifoient souvent la matiere de fes entretiens avec cette Nobleffe diftinguée, qui embelliffoit fa Cour; mais c'étoit fur tout avec le Comte de Rethel, qu'il aimoit à s'entretenir librement fur le compte de chaque Seigneur. Sa confiance pour lui, égaloit presque l'eftime dont il étoit prévenu enfa faveur.

La naiffance, la jeuneffe, l'efprit, & la fortune, tout devoit rendre content Roger de Rethel: avec tous ces avantages, on remarquoit, malgré fa vigilance fur lui-même, un fonds de trifteffe où il retomboit à chaque moment. Les vrais connoiffeurs ne fe mépren. Tome I. B

nent

nent point à ces fimptômes; ils jugent que la Fortune ou l'Amour nous laiffent foupirer après un bien dont ils nous refulent la poffeffion. Les efforts que faifoit Roger pour diffimuler fon état intérieur fervirent encore à réveiller, à fon égard, l'amitié du Duc de Bourgogne; ce Prince eût voulu fçavoir la caufe d'une mélancolie, en apparence fi déplacée; mais il crut fe devoir à lui-même la difcretion de ne point embarraffer le Comte de Rethel , par une curiofité qu'il ne voudroit ou ne pourroit peut-être pas fatisfaire. Il s'adreffa au Sire de Couci, qui ne fit aucun mistére d'avouer l'inquiétude que lui caufoit la trifte fituation de fon ami, en ajoutant qu'il en ignoroit la caufe. Cette converfation détermina Raoul à éxiger de Roger, au nom même de leur amitié, de lui ouvrir fon cœur.

Qui peut caufer en vous le changement qui me furprend, lui dit un jour ce tendre ami? Je vous vois avec étonnement chercher la folitude, au milieu des plaifirs,

qui ne peuvent vous diftraire un moment. Etes-vous venu ici les chercher pour les fuir ? Pourquoi ne vous montrez-vous que lorsque la bienséance vous force à faire votre cour au Duc de Bourgogne ? Tout le monde vous recherche, & vous fuïez tout le monde: je fens même l'amour propre des jolies femmes de cette Cour, blessé d'une froideur, qu'elles appelleront bien-tôt, impoliteffe. Enfin je ne vous reconnois plus depuis mon retour d'Ecofle. Parlez, mon cher Roger; ne refusez pas à mon amitié une ouverture de cœur qui vous eft peut-être néceffaire. Vous le voulez, mon cher Raoul, répondit Roger; il faut vous fatisfaire, & vous allez convenir que ma trifteffe n'eft que trop bien fondée. Vous me pardonnerez le miftére que je vous ai fait jusqu'à ce jour, de ma cruelle fituation, quand vous fçaurez les railons du filence auquel je m'étois condamné, malgré l'envie & le befoin que j'avois de dépofer mes chagrins B 2

dans

dans le fein d'un Ami tendre & éclairé; mais, mon cher Raoul, le tumulte d'un Camp n'eft pas propre à un tel récit; il demande de la tranquilité. Eloignons-nous. Alors le Comte de Rethel & le Sire de Couci monterent à cheval pour gagner un petit Bois, à une demie lieue du Camp: ils s'y enfoncerent; & quand ils furent dans un endroit où ils crurent qu'ils ne feroient point interrompus, Roger commença ainfi.

La Paix avec le Comte de Flandres fuivit de près la mort de mon oncle. A peine le Roi fut-il de retour à Paris, que mon pere me rappella auprès de lui: mais je ne vous ai jamais dit les raifons qu'il en avoit. Le plaifir que je devois fentir de voir un pere, dont à peine je confervois l'idée des traits, fut prefque étouffé par le chagrin que j'eus de m'éloigner de la Cour. J'obéis cependant, fans montrer la moindre répugnance: mon respect pour celui à qui je devois le jour n'en auroit fait un crime. J'arrivai

à

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à Rethel; j'eus la fatisfaction fecrete, malgré la retenuë de mon pere, de m'appercevoir que je lui laiffois peu de choles à defirer; mais un jugement dicté par la nture, & l'amour paternel, fi aifé à féduire par les apparences, n'étoient pas capables de m'aveugler aflez pour être aufli content de moi-même que mon pere le paroiffoit. Il avoit fouvent de longues converfations avec moi; la Cour en étoit le fujet. Quelles qualitez, mon fils, me difoit-il un jour, croïez-vous les plus propres pour réuflir à la Cour? J'y vois, luirépondis-je, des gens, d'un caractere bien oppofé, arriver au but que leur ambition leur a marqué. Mais, reprit mon pere, quel eft celui que vous voudriez avoir ? Celui d'Enguerrand de Couci, lui dis-je fans balancer. Eh bien! me repartit-il, prenez-le pour modéle, il est bon. Cependant, ajouta-t-il, faites moi connoître les Courtifans peignez-les moi chacun en particulier, & tels que vous les croïez. Je lui dis ce que je penfois des difB 3 férens

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