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férens caracteres des uns & des autres. Je blâmois celui qui immoloit à la faveur, une droiture, qui n'eft pas toujours un écueil, quand un grand génie la foutient : j'en donnois pour exemple, Robert Clément du Mez, le refpeâable Abbé Suger, & Enguerrand de Couci. Mon pere paroifloit fatisfait; mes idées fe trouvoient fouvent conformes aux fiennes. Vous fçavez que depuis bien des années, il s'eft banni volontairement d'un féjour qui lui convenoit peu. La petiteffe des plus grands Seigneurs auprès de leur Souverain, l'avoit choqué fon amour propre s'en étoit révolté, & lui avoit fait prendre le parti de la retraite mais il connoifloit à merveille ce païs de politique, de rules, d'élévation & de renversement de fortune, où celui qui croit en connoître le mieux les détours, doit toujours craindre de s'égarer. Le commerce qu'il avoit entretenu avec mon oncle, qui m'avoit pres que arraché de fes bras pour fe charger du foin de mon éducation,

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& pour me mener à la Cour, mettoit en état de juger fi j'avois. pris des idées juftes de la fituation où elle étoit alors. Et de votre Roi, me dit-il un jour, qu'en pen fez-vous? Je lui dis tout ce que Vous fçavez comme moi, mon cher Raoul; je lui vantai cet heureux naturel qui a fçû l'affranchir de l'ivreffe trop dangereufe de la jeuneffe, pour le faire homme dès fon adolefcence: j'ajoutai qu'il étoir fage, prudent, modéré dans fes plaifirs; difcret, toujours maître de lui; humain, affable fans. rien perdre de cette dignité majeftueufe qui le fait aimer & refpecter en même-temps; qu'enfin je l'admirois en tout, & qu'aïant quelques années plus que ce Prince, j'avois fouvent rougi d'être fi imparfait, aïant toujours eu devant les yeux un fi parfait modéle.

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Dans toutes ces converfations & même dans les actions les plus indifférentes, je voïois mon pere m'étudier & m'examiner. Le caractére de droiture & de vérité qu'il me trouvoit, le charmoit: il B 4 avoit

avoit craint que ces qualitez fi effentielles n'euflent été les victimes des premieres impreffions que j'avois prifes à la Cour. Séduit en ma faveur, par la tendrefle qu'il a pour moi, il me dit un jour: Mon fils, que vous me donnez de fatisfaction! Je vous trouve auffi honnête-homnie, que fi vous aviez été élevé dans mon fein. Mon frere n'a point trahi ma confiance, ni démenti la haute opinion que j'ai tou jours euë de fon efprit & de fa vertu; l'air de la Cour n'a point empoifonné votre ame. Mon fils, 'ajouta-t-il, n'en foïez pas plus préfomptueux; ne montrez jamais ni mépris pour ceux qui vous feront inférieurs, ou en naiffance, ou en mérité; ni orgüeil, de ce que la nature a bien voulu vous favorifer: que les hommes foient forcez, par vos actions, de convenir que vous avez de la vertu; mais foiez toujours modefte; ne vous applaudiffez jamais de ce que vous ferez de bien, qu'en défirant de faire mieux ; encore faut-il que ce mouvement foit intérieur. Ces

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mes hommes, qui ne fçauroient vous refufer leurs fuffrages, quand vous ne paroîtrez pas les mendier, se révolteroient, fi vous étiez capable d'oftentation; ils la regarderoient comme un reproche de ne pas valoir autant que vous; & de l'objet de leur eftime, vous devien⚫ driez celui de leur haine.

Peut-être, mon cher Raoul, vous ennuié-je en vous rapportant toutes ces converfations; mais le plaifir qu'elles m'ont fait dans le tems, & celui qu'elles me font encore, en me les rappellant, ne me permettent pas de les fupprimer. J'en j ferois bien fâché, dit Raoul; de pareils difcours renferment trop de lageffe, & des leçons trop utiles pour ne pas être charmé de les entendre. O! le digne pere, mon cher Roger; quel aimable caractére! La vertu eft une; mais il eft des hommes vertueux qui n'infpirent pour elle qu'une forte de refpect, fans faire fentir aux autres un reproche intérieur, fi capable de les corriger de leurs vices. Il en eft d'autres. qui la rendent fi B 5 aima

aimable, & qui la font paroître d'un ufage fi facile, qu'ils la font aimer; alors elle devient fi puiffante, qu'il faut néceffairement qu'elle excite ou l'émulation, ou le reproche honteux de refter vicieux. Mais ce que je dis, ne vaut pas ce que vous avez à m'apprendre. Reprenez donc, mon cher Roger, & foïez sûr que je vous écouterai avec autant de plaifir que d'attention. Roger reprit ainfi. Pendant quelques jours, mon pere, plein du même efprit de curiofité, & pour m'approfondir encore, faifoit rouler nos conversations fur toute forte de matieres, & fouvent, fur les différens événemens arrivez depuis que Philippe étoit monté fur le Trône. Sur tout, il voulut que je l'inftruififfe du caractére, des manoeuvres, de la difgrace & de la retraite du Comte de Flandres, & que je lui fiffe łe détail de la Guerre que ce Prince audacieux avoit ofé faire au Roi. Je veux auffi, dit Raoul, en interrompant Roger, que vous aïez pour moi la même complaifance:

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