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la tête des Troupes: Alberic & moi nous l'accompagnâmes. Si Alberic lifoit dans mes yeux un défir ardent de foutenir le peu de gloire que j'avois acquife fous les ordres de mon Oncle, je lifois dans les fiens la noble ardeur qu'il avoit, de fe faire un grand nom par les Armes. Mon Oncle fe campa à la vûë du Comte de Flandres, dans une difpofition avantageufe pour l'incommoder, & pour faciliter le deffein qu'il avoit de jetter des Troupes dans Corbie.

Dès la même nuit, je fortis feul du Camp avec deux Guides; j'allai reconnoître la place, l'endroit le plus favorable pour exécuter mon projet, les chemins détournez qu'il falloit prendre pour dérober ma marche. Aïant murement examiné les deux côtez_par où l'on pouvoit entrer dans Corbie, j'ofai prefque me flatter du fuccés de mon entreprise. Content, plein d'espérance, & le jour étant déja avancé, je rentrai dans le Camp, fans que perfonne fe fût apperçu de ma fortie.

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Le lendemain, à l'entrée de la nuit, Henri donna des Troupes à Alberic; il m'en donna auffi le même nombre. Je laiflai Alberic le maître de choifir de quel côté il vouloit marcher, Ce choix fait, nous partîmes; mais Alberic eut le malheur d'être découvert: onle coupa; il fut chargé par des Troupes fi fupérieures aux fiennes, qué malgré toute fa valeur & fon opiniâtreté, il fut forcé de fe retirer, après avoir vû périr la moitié de fon Détachement. Mon Oncle craignoit un pareil fort pour moi; il envoïa quelques Coureurs pour s'en inftruire ces Coureurs lui rapporterent que j'étois entré dans la Place. Sa joie fut aufli fenfible, que le dépit d'Alberic fut vif. Dès ce moment, il me regarda comme un Rival, capable de le devancer dans la carriere commune qui nous étoit ouverte.

L'heureux fuccès de mon entreprife, fit lever le fiége au Comte de Flandres; mais renforcé par de nouvelles Troupes, il tourna fes pas vers Senlis. Alors le Roi,

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apprenant que l'armée du Comte étoit allez forte pour faire face à la fienne, & même pour former & exécuter de grands projets, ne balança plus: les occafions d'exercer fon courage lui étoient trop précieufes, pour manquer de fe mettre en campagne. Mon Oncle le joignit près de Senlis, où j'eus la fatisfaction de recevoir de Sa Majefté,de nouvelles marques d'eftime.. Le Comte de Flandres fuïoit toujours devant le Roi, qui le cherchoit pour le combattre: il failoit cependant le brave; il commençoit un fiége, puis le levoit; il faifoit mine d'avancer à nous, puis il nous fuïoit. Cette conduite, qui n'avoit rien du grand Capitaine; ces démarches toujours incertaines, où l'on ne voïoit aucun projet formé, infpirerent au Roi beaucoup de mépris pour le Comte de Flandres, & l'irriterent contre lui. Il alla droit à Amiens; mais pour affiéger cette Ville, il falloit ferendre maître du Château de Boves qui étoit très fort. Le Roi s'y arrêta, & y mit le fiége. Pen

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Pendant ce fiége, j'éprouvai que la Fortune m'étoit auffi favorable, qu'elle m'eft aujourd'hui contraire. J'eus le bonheur, plus d'une fois, de faire des chofes qui furent loüées de Philippe, & qui charmerent mon Oncle; mais j'achetai cher l'action qui me valut le plus de gloire. Les ennemis aïant fait une fortie, attaquerent le Quartier de Henri: ce Général les repouffa, & peut-être feroit-il entré pêlemêle avec eux dans la Place, lorf qu'il fut frappé mortellement d'un. coup qui le renverfa. Ce funefteaccident caufa un ébranlement confidérable aux Troupes qu'il commandoit: je courus à fon fecours.. Quel fpectacle pour moi! Ah! mon cher Raoul! Que ma tendreffe pour un Oncle fi refpectable, & à qui je dois le peu que je vaux, me rend fenfible le fouvenir de ce malheur ! Roger, me dit ce Héros, je meurs; mais j'ai vécu tout le tems que je vous étois néceflaire: votre vertu affermie, & votre courage foutenu de quelque expérience, n'ont plus befoin de moi.

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Approchez, que je vous embraffe: Adieu, mon cher Roger, me ditil tendrement, en me Terrant dans fes bras; confervez toujours mon fouvenir, & allez vanger ma mort: allez faire voir au Roi, & à fes Ennemis, que l'Oncle revit dans le Neveu. Oui! m'écriai-je en. verfant un torrent de larmes, je vais vanger votre mort, en homme defefperé d'une perte auffi irréparable. Henri n'entendit point ces dernieres paroles, que la plus fenfible douleur m'arrachoit : il n'étoit plus. Sa mort avoit abattu le courage des Soldats, dont il étoit adoré; & relevé celui des Ennemis: ils avoient déja l'avantage, quand je me mis à la tête des Troupes. La perte que je venois de faire me jetta dans des tranfports de fureur, que la Fortune feconda; & les Soldats pleins de l'ardeur de vanger la mort d'un Chef, qu'ils regardoient comme leur pere,contraignirent le Seigneur de Boves, qui combattoit à la tête des fiens, à rentrer en défordre dans le Château,

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