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épargnerai, mon cher Raoul, le détail de ces vifites. Je vis de vieux Seigneurs, hériffez de leur noblefle, de leur probité, & de leurs Fortereffes, où ils fe croïoient de petits Souverains: je vis des meres fieres de la beauté de leurs filles, fans être humiliées de la perte de la leur: je vis des filles belles fans agrémens, dont les figures & l'efprit manquoient de graces. Mon pere, à qui je difois librement ce que je penfois, m'écoutoit, rioit, & alloit toujours en avant. Nous arrivâmes enfin chez le Seigneur de Rofoi: j'y trouvai l'opposé de tout ce que j'avois vû. Je vis un vieux Seigneur, qui laiffoit aux autres le foin de fe fouvenir de ce qu'il étoit; qui avoit cette politefle & cette fine galanterie, dont la Cour eft l'unique école; qui avoit l'efprit vif & moderé. Je vis une mere qui, fans être humiliée de la beauté furprenante de fa fille, étoit fiere de la fienne. Madame de Rofoi n'avoit pas encore trente-deux ans, & elle n'en paroilloit pas vingtcing: fa beauté, & les graces qui

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accompagnoient toute la perfonne, ne laiffoient rien à défirer en elle. Si fa fille, alors dans fa feiziéme année, n'eût pas été à fes côtez, au moment que je la faluai, elle m'eût paru ce que j'avois jamais vû de plus beau. Mes regards étonnez, fe partagerent d'abord entre la mere & la fille, & fe fixerent fur Alix de Rofoi: l'admiration fut le premier hommage que je lui rendis. Mon pere m'examinoit, & jugeoit mieux que moi, de ce qui fe paffoit dans mon cœur. Mes yeux attachez fur Mademoiselle de Rofoi; mon embarras à chercher les termes les plus propres & les plus refpectueux, pour lui marquer que l'admiration n'étoit pas le leul fentiment qui s'emparoit de mon ame, ne lui laifferent aucun doute. Il vit, avec un plaifir extrême, les charmes de Mademoiselle de Rofoi, triompher de ma liberté. Pour moi, un peu revenu de ma premiere surprise, je ne pouvois comprendre qu'une fille élevée dans une Province, quelque foin qu'on eût pris de fon éducation, fût fi C 2

par

parfaite. J'étois étonné de la trouver fi femblable à ce petit nombre de perfonnes, qui aïant, dès leur enfance, refpiré l'air de la Cour, y ont acquis cette liberté noble, modefte & impofante, qui le répand dans leurs difcours, dans leurs geftes, & même dans les actions les plus indifférentes. 'Lorfque je fus feul avec mon pere, je lui fis part de mes réflexions: voici ce qu'il m'apprit.

Je fuis charmé, mon fils, de m'appercevoir combien vous êtes content du Seigneur de Rofoi, de fa femme & de fa fille: fi vous aviez quelques années de plus, vous auriez vû le digne Rofoi à la Cour, aimé & eftimé de Louis le jeune. A foixante ans, il devint éperdument amoureux de Mademoiselle de Melun, la plus belle perfonne -de ce tems: fon efprit égaloit fa beauté: fes manieres étoient douces & infinuantes, telles que vous les voïez aujourd'huis mais ce qui furprenoit encore davantage dans cette jeune perfonne, c'est que dès fon enfance, malgré la vivacité de

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fon imagination, on ne pouvoit déja plus la pénétrer, dès qu'elle croïoit avoir une raifon de diffimu-' ler. Elle avoit de qui tenir, de quil prendre des leçons, & des exem ples de fineffes & de politique: el le étoit élevée par une mere, dont le génie perçant ne fe montroit qu'au befoin. La Vicomteffe de Melun étoit très-jeune, quand elle perdit fon mari: fiere de fon nom, elle n'afpira jamais à en changer. Elle étoit aimable, vertueufe, & uniquement occupée à préparer à fon fils, le chemin qui pouvoit le mener jufqu'où fon ambition vouloit l'élever. Elle n'avoit fouffert d'Adorateurs, que ceux qui, à portée de l'inftruire des menées les plus fecretes de la Cour, pouvoient fervir fes deffeins ambitieux: ainfi, tandis qu'ils ne fongeoient qu'à lur plaire, ils contribuoient à mettre la faveur & fon crédit au plus haut' degré: Quoique Mademoiselle de Melun n'eût alors que quatorze ans, la disproportion de fon âge avec celui de Rofoi, ne le fit point trem bler: il fut affez paffionné pour la € 3 de

demander, & affez heureux pour l'obtenir. Rofoi amoureux, n'avoit vû aucun danger pour fon repos,en devenant poffeffeur des charmes de Mlle de Melun: dès qu'il le fut, la raifon ne tarda pas à lui faire entrevoir bien des périls. Il craignit les chagrins que lui donneroit peut-être à la Cour, la beauté de la femme, & l'ufage qu'elle y pourroit faire, contre lui, de l'adreffe & de la foupleffe de fon efprit. Pour s'épargner une inquiétude, fouvent dangereufe & toujours inutile, il prit, en homme fage, le parti de le retirer dans fes Terres, où la conduite de Madame de Rofoi a fçû mériter, pour jamais, toute la confiance d'un mari déja plein d'eftime & de tendreffe, & lui a attiré tous les respects. de la Province.

Une fi longue absence de la Cour, n'a rien fait perdre à cette illuftre femme, ni de fes manieres, ni de fa beauté, & le bon Rofoi a confervé le rare affemblage du Cour tifan aimable & de l'honnête homme. Mademoiselle de Rofoi, née

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