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inventerent de nouvelles, donnerent aux Dieux de nouveaux attributs, en raconterent des avantures inconnues jufqu'à leur temps; & par le trop grand penchant qu'on eut à les croire, le fyftême de la Religion dominante fe trouva chargé d'une infinité d'articles nouveaux. Les exemples de ces changemens que je donnerai dans la fuite de cette Mythologie, juftifieront ce que j'ai avancé dans une autre occafion, que pour bien expliquer les Fables, il faut les prendre dans les Poëtes les plus anciens. Mais un changement bien confidérable & le moins connu de tous, eft celui qui dut arriver lorsque les Grecs cefferent de rendre aux Aftres un culte religieux. Quoiqu'on ignore l'hiftoire de cette ceffation, elle n'en eft pas moins réelle. Nous avons prouvé dans le Livre III. fur l'autorité de Platon, que les Grecs à l'exemple des autres Nations honoroient les Aftres & les Planetes; & dès le temps de ce Philofophe, ce culte étoit entierement aboli dans la Grece. Platon fe plaint même de ce qu'il ne fubfiftoit plus, & il paroît qu'il auroit fouhaité qu'il eût fubfifté toujours.

Voici comme je crois que la chofe peut être arrivée. Les Egyptiens qui honoroient auffi les Aftres dès l'Antiquité la plus reculée, ayant mis quelques uns de leurs Rois au rang des Dieux, publierent, comme nous l'avons déja dit ailleurs, que leurs ames étoient allé les habiter dans le ciel, ou pour parler plus jufte, dans quelques unes des Planetes; comme, par exemple, celle d'Ofiris dans le Soleil, & celle d'Ifis dans la Lune. Dès-lors ils adrefferent également leur culte à la Planete & au Heros qui l'habitoit. Cecrops qui fit tant de changemens dans la Religion des Grecs, leur enfeigna apparemment ce point de Theologie, & je ne doute pas que ces mêmes Grecs qui rendoient un culte religieux aux Planetes, par exemple à celle de Saturne, ou de Jupiter, ne l'ayent confondu avec celui des deux Princes de même nom. Puis oubliant bientôt le Dieu physique & naturel, ils n'adrefferent plus leurs voeux qu'aux Dieux animés, & cela dans des temps fi reculés, qu'il ne paroît pas qu'il reftât aucun veftige de l'ancien culte, du vivant de Pythagore. De tous ces changemens fe forma une nouvelle Religion, dont l'Histoire Tome II.

B

ΤΟ

La Mythologie & les Fables expliquées par l'Hiftoire. fera la matiere de ce volume. Ainfi après avoir développé dans le premier la Mythologie des Orientaux, je vais expofer celle des Grecs, des Romains & de quelques autres peuples d'Europe, qui en eft fi differente, qu'on ne peut prefque pas s'imaginer que l'une foit tirée de l'autre. Voici dans quel ordre je traiterai les matieres qui entrent dans ce Volume. Je le divife en deux Parties. Je parlerai dans la premiere des Dieux des Grecs & des Romains, & dans la feconde de ceux des autres Nations de l'Europe.

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PREMIERE PARTIE.

Des Dieux des Grecs & des Romains.

Ci s'ouvre une vafte carriere, & bien difficile à parcourir, Les Grecs ont mêlé tant de fables dans l'Hiftoire de leurs Dieux, ils ont tellement défiguré les traditions Orientales, ils ont débité tant de chofes qui fe détruifent les unes les autres, qu'il est bien mal-aifé de donner une idée nette de ce qu'ils penfoient de leurs Dieux. Tantôt ce font des Eftres physi ques, les Aftres, les Elemens; tantôt des Perfonnages réels qui ont véritablement exifté: fouvent le même Dieu est l'un & l'autre. Ici ce font des générations métaphoriques, là des générations véritables. Tâchons de développer le mieux qu'il fera poffible une matiere fi obfcure.

Comme parmi les différentes divisions des Dieux du Paganifme, celle qui les partage en Dieux du Ciel, en Dieux de la Mer, & en Dieux de la Terre & des Enfers, eft la plus naturelle; c'eft celle que je fuivrai, en y ajoutant une derniere claffe de Divinités fubalternes, fur le féjour defquelles les Payens n'avoient pas une idée bien nette,

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Q

LIVRE PREMIER.

: Des Dieux du Ciel.

UOIQU'A parler exactement l'Amour fût le premier des Dieux, puifque Sanchoniathon & Heliode le font paroître dès la premiere génération; cependant comme ce n'étoit qu'une Divinité purement natus relle, c'est-à-dire, l'union des corps confondus dans le chaos, d'où fortirent toutes les productions de la nature, & que mon deffein n'est pas de m'étendre beaucoup fur les Dieux naturels, mais feulement fur ceux qu'on appelle animés, je com mence, à l'imitation des Poëtes, par Jupiter, regardé par les Grecs & les Romains comme le plus grand des Dieux, & comme le maître du Ciel & de la Terre: Ab Jove principium, ainsi que le dit Virgile, après le Poëte Aratus.

CHAPITRE PREMIER.

Hiftoire de Jupiter & de fes Ancêtres.

NEST juftement effrayé lorfqu'on approfondit l'idée que les Payens s'étoient formée de ce Dieu,

Les Philofophes, comme on le voit en plufieurs endroits des Entretiens de Ciceron fur la nature des Dieux, ne le pren nent que pour l'Air le plus pur, ou l'Ether; & Junon fon époufe, pour l'Air groffier qui nous environne. Ceux qui le regardoient comme un Dieu animé, ou comme un de ces

(1) L. E.

hommes à qui des actions brillantes, & des inventions utiles avoient mérité les honneurs divins; après l'avoir confideré comme le maître abfolu des Hommes & des Dieux ; comme un Dieu tout-puiffant, qui du feul mouvement d'un de fes fourcils faifoit trembler l'Olympe, le dégradent enfuite en lui attribuant les actions les plus indignes, & les crimes les plus honteux c'est felon eux, un adultere, un incestueux fils ingrat, mari infidele, colere, emporté, vindicatif. Quelle idée avoient donc de la Divinité les Grecs & les Romains, fi vantés pour la délicateffe de leur efprit? Ce n'étoient, dirat'on, que les Poëtes qui ont donné cette idée de leur Jupiter; mais où l'avoient-ils prife, eux, fi ce n'eft, comme on la prouvé ailleurs, dans la Theologie de leur temps? Mais ce qui répand encore une grande obfcurité fur l'Hiftoire de ce Dieu, c'eft qu'il y en a eu plufieurs du même nom, & qu'on a chargé l'hiftoire du plus connu, c'eft-à-dire, de celui qui avoit été Roi de Crete, des avantures des autres.

Les Anciens même ne conviennent pas du nombre de ceux qui avoient porté le nom de Jupiter.Diodore (1)de Sicile, n'en reconnoît que deux. L'un, & en même-tems le plus ancien, étoit ce Prince Atlantide dont j'ai parlé dans la Theo(2) T. 1. L. 2. gonie (2) des Peuples de ce nom. L'autre qui étoit fon neveu, & qui devint beaucoup plus célébre que fon oncle, étoit Roi de Crete, & étendit les limites de fon Empire jufqu'aux extrémités de l'Europe & de l'Afrique..

(3) De nat. Deor. 1. 3.

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Cicéron (3) en admet trois. «< Ceux qu'on appelle Theolo giens, dit-il, content trois Jupiter. Il y en a deux d'Arcadie, l'un fils de l'Ether, & pere de Proferpine, & de Bac> chus : l'autre fils du Ciel, & pere de Minerve, laquelle, dit»on, a inventé la guerre & y préfide. Un troifiéme né de » Saturne, dans l'Ile de Crete, où l'on fait voir fon tom» beau.

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Surquoi nous devons remarquer en paffant, que parmi les deux Jupiter d'Arcadie, il y en avoit un qui étoit trèsancien. Né de parens obfcurs, il s'éleva, fe fit connoître par fes talens, & par le foin qu'il prit de polir l'efprit des Arcadiens, qui menoient alors une vie fauvage, vivant dans leurs

forêts, uniquement occupés de la chaffe. Ce Jupiter leur donna des Loix, regla l'état des mariages, leur apprit à honorer les Dieux, & établit des Prêtres pour avoir foin de leur culte. Les Arcadiens pleins de reconnoiffance, pour les bienfaits qu'ils venoient de recevoir, le mirent lui-même au nombre des Dieux; & pour cacher autant qu'ils pourroient fon origine, ils publierent qu'il étoit fils de l'Æther, c'eft-à-dire, du Ciel.

Mais ce n'étoient pas là les plus anciens de ceux qui avoient porté le nom de Jupiter; le premier de tous eft fans doute le Jupiter Ammon des Libyens, puifque vraisemblablement c'étoit Cham que fon fils Mifraim, ou Meftraim, mit au rang des Dieux. On fçait, & nous l'avons dit dans le premier Volume, que ce Patriarche & fa famille allerent s'établir en Egypte, que l'Ecriture Sainte nomme la Terre de Meftraim, ou d'Ammon, No-Ammon. Le Jupiter Serapis, adoré dans le même pays, eft auffi très-ancien, comme nous l'avons prouvé dans l'hiftoire des Dieux d'Egypte, contre ceux qui prétendoient qu'il n'y avoit été connu que du temps des Ptolemées.

(1) Liv 1.

On peut mettre dans le même rang Jupiter Belus, dont nous avons auffi parlé à l'occafion du Temple qu'il avoit à Babylone, lequel felon Herodote, étoit le Jupiter des Affyriens (1). Le Ciel, fuivant le même Auteur, étoit le Jupiter chap. 181. des anciens Perfes, (2) en quoi ils ne s'accordoient pas avec les Grecs, qui reconnoiffoient le Ciel ou Uranus, pour le grand pere de leur Jupiter.

(2) Liv 1 ch. 13.

Le Jupiter de Thebes en Egypte, peut encore être mis au nombre des plus anciens, puifqu'au rapport du même Hiftorien, ce fut une Prêtreffe de ce Dieu qui établit le premier Oracle de la Grece. Mais quel étoit ce Jupiter? Etoit-ce Ammon dont l'une des Prêtreffes établit auffi l'Oracle dans la Libye; ou Ofiris? C'eft ce que l'hiftoire ne dit Les Scythes (3) avoient auffi leur Jupiter, qu'ils appelloient (3) Herod Pappée, & dont la Terre étoit la femme; & dès là il paroît qu'ils en avoient pris l'idée des Perfes, & qu'il étoit le même que le Ciel.

pas.

liv. 4. ch. 575.

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