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faire un plaisir, & de rendre de bons offices, & de recon-
noître ceux qu'on nous rend. Elles étoient jeunes, pour nous
apprendre que la memoire d'un bienfait ne doit jamais vieil-
lir: vives & legeres, pour faire connoître qu'il faut obliger
promptement, & qu'un bienfait ne doit point fe faire atten-
dre. Auffi les Grecs avoient-ils coutume de dire, qu'une
grace qui vient lentement, ceffe d'être grace. On difoit qu'el
les étoient vierges, pour nous donner à entendre, premie-
rement, qu'en faifant du bien, on doit avoir des vûes pures;
faute de quoi on corrompt le bienfait : & en fecond lieu, que
l'inclination bienfaifante doit être accompagnée de prudence
& de retenue. C'eft pour cette feconde raifon que Socrate
voyant un homme qui prodiguoit fes bienfaits fans diftinc-
tion & à tout venant: Que les Dieux te confondent, s'écria-t-il,
les Graces font vierges, & tu en fais des courtisanes. Elles se
tenoient par la main, ce qui fignifioit que nous devons par
des bienfaits réciproques ferrer les noeuds qui nous attachent
les uns aux autres. Enfin elles danfoient en rond, pour nous
apprendre qu'il doit y avoir entre les hommes une circulation
de bienfaits; & de plus, que par
le moyen
de la reconnoif-
fance, le bienfait doit naturellement retourner au lieu d'où il
eft parti.

IV

CHAPITRE XII

Hiftoire de Vulcain.

Left jufte de joindre l'Hiftoire de Vulcain à celle de Venus & des Graces, puifque fuivant les Anciens, il avoit époufé ou la mere d'Amour elle-même, ou fuivant Homere, (1) Liv. 3. une de ces trois Déeffes. Si nous en croyons Ciceron (1) . de Nat. Deor. il y a eu plufieurs Vulcains ; le premier étoit fils du Ciel, le

second du Nil; les Egyptiens qui le reconnoiffoient pour leur protecteur, l'appelloient Opas ; le troifiéme étoit fils de Jupiter & de Junon, ou de Junon feule, fuivant Heliode,

fuivi par les autres Poëtes. Le quatriéme étoit fils de Menalius; c'eft celui qui habitoit les Ifles Vulcanies. On peut même trouver un Vulcain plus ancien que tous ceux-là. C'est le Tubalcain de l'Ecriture fainte, qui s'étant appliqué à forger le fer, comme Moyfe nous l'apprend, eft devenu le modele & l'original de tous les autres.

Les Mythologues donnent plufieurs étymologies du nom de Vulcain. Phurnutus le fait venir de 9, comme qui diroit brûlant. Platon dans fon Socrate, dit qu'il vient de pagos ecop, celui qui préfide à la lumiere. Servius prétend qu'il a été appellé Vulcanus quafi Volitanus, pour marquer que les étincelles du feu volent en l'air quand on forge le fer. Mais quel fond peut-on faire fur une étymologie tirée d'un nom que les Latins avoient donné à ce Dieu, & qui n'étoit pas connue des Egyptiens qui avoient porté dans la Grece le culte de ce Dieu ? Celle de Phurnutus eft fans doute plus raifonnable, puifque les Grecs nommoient ce Dieu Epheftos. Mais fans nous arrêter plus long-temps à ces étymologies, difons que les Grecs regardoient Vulcain comme le Dieu des Forgerons, & comme Forgeron lui-même; & c'est l'idée qu'en donne Diodore de Sicile, lorsqu'il dit (1) que Vulcain eft le premier Auteur des Ouvrages de (1) Liv. 5. fer, d'airain, d'or, & d'argent, en un mot de toutes les matieres fufibles. Il enfeigna auffi tous les ufages que les Ou»vriers & les autres hommes peuvent faire du feu : c'est pour > cela que tous ceux qui travaillent en métaux, ou plutôt les » hommes en général donnent au feu le nom de Vulcain, & « offrent à ce Dieu des facrifices en reconnoissance d'un préfent fi avantageux ».

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Il y a beaucoup d'apparence que le fecond Vulcain étoit un ancien Roi d'Egypte, ainfi que nous le prouverons à la fin de l'Hiftoire de ce Dieu; ou plutôt, c'étoit la plus ancienne Divinité des Egyptiens, puifqu'on le trouve dans Herodote, dans Syncelle, & dans d'autres Auteurs encore, à la tête des Divinités de ce Peuple, fans qu'on fçache au juste ce que c'étoit que ce Dieu, à moins qu'on ne remonte à Tubalcain, ou à quelqu'un des Rois de ces pays-là, qui sẹ Tome II.

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pag. 240.

rendit illuftre dans l'art de forger le fer.

Pour le troifiéme Vulcain dont les Grecs ont chargé l'hiftoire de celle de tous les autres, on peut croire que c'étoit un Prince Titan, fils de Jupiter, ou du moins un de fes parens, qui ayant été difgracié, fut obligé de fe retirer dans l'Ifle de Lemnos, où il établit des forges. M. Newton qui le confond avec Thoas, Roi de Lemnos, explique la fable de fa chute du ciel, avec beaucoup d'efprit. Thoas, dit(1) Chronol. il (1), époufa Colicopis, cette même Venus qu'on croyoit des Empires mere d'Enée, & fille d'Othréus Roi de Phrygie. On donna à Thoas le nom de Cinyras à cause de fon habileté à jouer de la lyre, ce qui fit publier qu'il avoit été aimé d'Apollon ou d'Orus. Bacchus devenu amoureux de la femme de Thoas, fut furpris dans un commerce de galanterie avec elle, mais il fçut appaiser le mari en lui faifant boire du vin, & racommoda l'affaire en le faifant Roi de Byblos & de Chypre; après quoi il paffa l'Hellefpont avec fon Armée, & conquit la Thrace. C'est à tous ces événemens, ajoute l'Auteur que je viens de citer, que les Poëtes font allufion, en feignant que Vulcain tomba du ciel dans l'Ifle de Lemnos, & que Bacchus après avoir calmé fa colere en lui faifant boire du vin, le fit rappeller dans le ciel. Il tomba du ciel des Dieux de Crete, quand il alla de Crete à Lemnos pour forger les metaux; il fut retabli dans le ciel, quand Bacchus le fit Roi de Chypre & de Byblos; car les Cours des Princes de ce temps-là, à l'exemple de celle de Jupiter, étoient regardées comme le ciel.Thoas regna jufqu'à une grande vieilleffe, vêcut jufqu'au temps de la guerre de Troye, & devint prodi gieufement (a) riche.

C'eft ainfi que les Grecs avoient travesti par d'ingénieuses fictions une hiftoire, qui d'elle-même étoit fort fimple & fort naturelle; & pour trouver quelque prétexte à l'éloignement, où, fi l'on veut, à l'exil de Vulcain, ils publierent que Jupiter qui le trouva fort laid, ou plutôt qui étoit jaloux que Junon l'eût mis au monde fans fa participation, l'avoit fait culbuter

(a) M. Nevvton cite pour garants, Clem. d'Alex, Admon, ad Gent. Apollodor. Pindare, Pyth. Od. 2. Helych. in Kúpav. Steph. in Apates.

C. 20.

du ciel en terre d'un coup de pied, & qu'il fe feroit tué immanquablement, fans le fecours des habitans de Lemnos qui le reçurent entre leurs bras ; que cependant il lui en coûta une jambe dont il demeura boiteux ou fuivant une autre tradition adoptée par Paufanias (1), mais auffi frivole que la (1) In Attic. premiere, ce fut Junon qui le chaffa de l'Olympe. Cet Auteur ajoute que Vulcain n'ayant pas oublié cette injure, fit une chaise d'or avec un reffort caché, & l'envoya dans le ciel. Junon qui ne se méfioit pas du prefent de fon fils, voulut s'y affeoir, & y fut prise comme dans un trebuchet : & il fallut que Bacchus enyvrât Vulcain pour l'obliger à venir délivrer Junon, qui avoit préparé à rire à tous les Dieux par cette avanture: mais comme ces fictions, que chaque Poëte avoit droit d'inventer, ne fe foutiennent pas, Homere dit que ce Dieu s'attira la colere de Jupiter, pour avoir dégagé Junon, qu'il avoit fufpendue en l'air avec une chaîne, à caufe qu'el le avoit excité une tempête, pour faire périr Hercule.

Comme l'Ifle de Lemnos eft fort fujette aux tremblemens de terre & aux volcans, ainfi que le prouve le fçavant Bochart (2) après Euftathe & quelques autres, on dit que Vulcain étoit tombé dans cette Ifle, où il établit fa demeure & fes forges: ou bien, felon d'autres, parce que c'eft dans cette Ifle que fut inventé l'art de faire des armes. On difoit pour donner cours à cette fable, qu'on entendoit de fort loin les coups de marteau des Cyclopes fes forgerons, parce que véritablement on entendoit le bruit du feu qui faifoit des efforts pour fortir. On établit auffi les forges de'ce Dieu dans le mont Etna pour la même raifon; & dans les Ifles Vulcanies, dont Liparos eft la principale, & qu'on a depuis nommées Eolies, du nom d'Eole leur Roi: en un mot, dans tous les lieux où l'on voyoit quelque volcan. Comme les Grecs, lorfque quelqu'un s'étoit rendu fameux par fes ouvrages,, fe plaifoient à charger fon hiftoire de tout le merveilleux qu'ils croyoient propre à l'embellir; les Poëtes mirent fur le compte de leur Vulcain tous les Ouvrages qui paffoient pour des chefs-d'œeuvres dans le pays fabuleux, tels que le Palais du Soleil (3), les armes d'Achille(4), celle d'Enée (5), le collier d'Hermione,

A a ij

(2) Chan. 1. 2. c. 12.

(3) Ovid.

Met. 1. 2. (4) Homer. II. (5) Virg. En. 1. 6.

la couronne d'Aridane,le fameux chien d'airain que Jupiter donna à Europe, & que celle-ci donna à Procris, Pandore, cette femme qui a caufé tous les maux qui font fur la terre. Enfin ces Cymbales d'airain dont il fit prefentà Minerve qui les donna à Hercule, & au bruit defquelles ce Heros fit fortir d'un bois les oiseaux nommés Ŝtymphalides, qu'il tua enfuite à coups.de fleches, comme nous le dirons dans fon hiftoire.

Quoique nous n'ayons rien de bien certain fur les enfans 'de Vulcain, nous fçavons cependant qu'on regarda comme tels, Brotheus & Erichthonius, ainfi que ceux qui se distinguerent dans l'art de forger le fer & les métaux, comme Olenus, Albion & quelques autres. On lui donna auffi plufieurs noms. Il étoit appellé Lemnius, parce que c'eft à Lemnos qu'il tomba lorfqu'il fut chaffé du ciel: Junonigena, parce qu'il étoit fils de Junon. Mulciber, ou Mulcifer, parce qu'il avoit enfeigné l'art d'amollir le fer par le feu des Forges. Etneus, à cause que fes forges étoient fous le mont Etna: Amphiguneis, parce qu'il étoit boiteux des deux pieds, felon Hefiode, qui lui donne cette épithete, & Kullopodion, par ceux qui croyoient qu'il ne boitoit que d'un côté ; c'eft la même épithete que celle de Tardipes, que Catulle lui donne.

Parmi les Peuples anciens les Egyptiens font ceux qui ont le plus honoré ce Dieu : il avoit à Memphis ce Temple fuperbe, & cette ftatue coloffale, haute de foixante & quinze pieds, dont nous avons fait la defcription dans le premier Volume; quoique fa ftatue qui étoit dans le Temple répondit fi peu à ce coloffe qui étoit au dehors, qu'elle attira le mépris de Cambyfe, qui la fit jetter au feu. Ses Prêtres étoient en fi grande confidération parmi les Egyptiens, qu'un d'eux nommé Sethos, monta fur le Trône. Ce Dieu étoit auffi fort honoré par les Romains. Tatius, au rapport de Denys d'Ha(1) Liv. z. licarnaffe (1), lui fit bâtir un Temple, & Romulus lui confacra des Quadriges d'airain, fuivant le même Auteur. On avoit coutume dans fes facrifices de faire confumer parle feu toute la victime, ne refervant rien pour le feftin facré, forte que c'étoient de veritables holocauftes; ainfi le vieux Tarquin après la défaite des Sabins, fit brûler en l'honneur

en

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