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celebroit avec beaucoup de folemnité. Je n'ai pas deffein de parcourir tous les pays où elles furent reçûes & celebrées fous des noms differens (a); on peut en trouver le détail dans le Traité des Ciftophores du P. Panel.

Dans les commencemens les Orgies étoient peu chargées de ceremonies: on portoit feulement en proceffion une cruche de vin, avec une branche de farment; puis fuivoit le bouc, qu'on immoloit comme un animal odieux à Bacchus, dont il ravageoit les vignes; enfuite paroiffoit la corbeille mysterieuse, qui étoit fuivie de ceux qui portoient le Phallus; mais cette premiere fimplicité ne dura pas long-temps, & le luxe qu'introduifirent les richesses, paffa dans les cere monies religieufes. Le jour destiné à cette Fête, les hom mes & les femmes couronnés de lierre, les cheveux épars, & prefque nuds, couroient à travers les rues, criant comme des forcenés, Evohe Bacche, &c. Au milieu de cette troupe on voyoit des gens yvres, vêtus en Satyres, en Faunes & en Silenes, faifant des grimaces & des contorfions où la pudeur étoit fi peu mênagée, qu'il y auroit de l'effronterie à les vouloir décrire. Venoit enfuite une troupe montée fur des ânes, qui étoit fuivie de Faunes, de Bacchantes, de Thyades, de Mimallonides, de Naïades, de Nymphes & de Tityres, qui faifoient retentir toute la ville de leurs hurlemens. A la fuite de cette tumultueufe troupe on portoit les ftatues de la Victoire, & des Autels en forme de feps de vignes, couronnés de lierre, & fur lefquels fumoient l'encens & les autres aromates: puis on voyoit paroître plufieurs chariots chargés de thyrfes, d'armes, de couronnes, de tonneaux, cruches & d'autres vafes, de trépiés & de vans. De jeunes filles fuivoient ces chariots, & portoient les corbeilles & les caffettes où étoit enfermé ce qu'il y avoit de plus mystérieux dans cette fête, & pour cela on les nommoit Ciftophores. Les Phallophores les fuivoient avec un choeur d'Ityphallores habillés en Faunes, contrefaifant des perfonnes yvres, & chantant en l'honneur de Bacchus des cantiques dignes de leurs

de

(a) Apateria, Lenxa, Anthefteria, Phallophoria, Liberalia, Brannonia, Sabazia, & une infinité d'autres.

fonctions. Cette proceffion étoit fermée par une troupe de Bacchantes, couronnées de lierre entrelaffé de branches d'if & de ferpens.

Dans quelques-unes de ces Fêtes, qui étoient les mêmes fous d'autres noms, des femmes nues fe donnoient le fouet, d'autres fe déchiroient la peau; mais tirons le rideau fur ces infamies: disons feulement qu'à ces jours de fête on commettoit tous les crimes qu'autorifoit l'yvreffe, l'exemple, l'impunité & la licence la plus effrenée. Après cela ne rougit-on pas de voir une Reine même, Olympias, célebrer ces infames myfteres?

Pour entendre ce que fignifioient toutes les circonftances de cette Fête, & les fymboles qu'on y portoit, il fuffit de fe rappeller ce qui a été dit dans le premiet Volume au fujet d'Ofiris qui eft le même que Bacchus, & de fon voyage des Indes, dont les Orgies étoient une commémoration. Če Prince avoit emmené avec lui des femmes, des Muficiens & des Muficiennes, des Satyres, des Faunes, &c. c'est-àdire, des hommes avec l'habillement qui convenoit aux Faunes & aux Satyres. Et voilà ce qui étoit repréfenté par ces Bacchantes & ces autres femmes en fureur, dont nous venons de parler, par ces Silenes, ces Satyres, & le refte de cette troupe infenfée; par ces choeurs de mufique, ces chants, ces cris, ces hurlemens.

Le lierre qui fe trouvoit par-tout dans cette ceremonie, étoit fpecialement confacré à Bacchus, & les Mythologues en rapportent plusieurs raifons; entr'autres, la métamorphofe du jeune Citton qui ayant perdu la vie dans la fureur d'une de ces fêtes, fut changé en lierre ; mais la veritable eft que cette plante toujours verte marque la jeuneffe de Bacchus qu'on difoit ne point vieillir; c'eft-à-dire l'état permanent du Soleil dans la même force & la même fécondité.

Les ferpens dont la corbeille mysterieuse étoit environnée, & que plufieurs de ceux qui affiftoient à cette fête portoient fur eux, ou en baudrier, ou autrement, étant des animaux dont la jeuneffe fe renouvelle chaque année lorsqu'il changent de peau, fignifioient la même chose.

L'infame représentation du Phallus, rappelloit le fouvenir de celui qu'Ifis avoit confacré, ainsi que nous l'avons dit. Pour ce qui regarde le van, que Virgile (a) nomme le van myftique de Bacchus, je fuis perfuadé qu'il ne faut point y chercher d'autre myftere, finon qu'on vouloit marquer par là que ce Prince avoit enfeigné l'art de l'agriculture, & la ma, niere de nettoyer les bleds.

L'arc & les fleches qu'on portoit dans cette fête, appre noient qu'avec la douceur Ofiris avoit employé la force dans la conquête des Indes. C'est de-là que dépend auffi la vraie fignification du thyrfe; car on dit que les femmes que ce Prin ce avoit emmenées avec lui, attaquerent les Indiens avec cette arme, dont ils ne fe défioient point, n'appercevant que le lierre & le pampre, qui cachoient de veritables piques.

Comme une partie de la folemnité des Orgies fe celebroit la nuit, d'où Bacchus avoit pris le furnom de Nyctileius, il n'eft pas étonnant qu'on portât des torches allumées dans la proceffion qu'on vient de décrire : nous devons feulement remarquer que la fonction des Daduches, c'est-à-dire de ceux qui portoient ces torches, étoit de toutes la plus honorable.

Le caducée qu'on y voyoit auffi quelquefois, apprenoit que Bacchus avoit toujours préferé la paix à la guerre, & que dans la conquête des Indes il n'avoit employé les armes que quand il avoit tout tenté pour foumettre par la douceur des Peuples indociles. C'eft pour cela que les Anciens donnent le caducée à ce Dieu auffi bien qu'à Mercure. Ils ajoutoient même que c'étoit lui qui avoit réconcilié Jupiter avec Junon, dans le temps de leurs plus grandes brouilleries.

Les Antiquaires croyent voir fur quelques médailles, de celles qu'on appelle Ciftophores, la plante nommée ferule, ferula, qui eft une espece de canne fort legere & remplie de moëlle, comme nous l'avons dit dans l'hiftoire de Promethée; & fi on la portoit dans la folemnité des Orgies, c'étoit pour marquer qu'Ofiris, qu'on regardoit comme l'inventeur de la Médecine, avoit compofé quelques re

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medes de cette plante, que Pline (1) dit être fort falttaire. (1) Liv. 17. Car de prétendre avec quelques Anciens, qu'il avoit ordonné qu'on en fit des fleches, afin que la legereté de cette canne empêchât qu'elles ne fiffent beaucoup de mal, cela regarde le temps où il étoit en paix.

Enfin de tous les fymboles qui accompagnoient cette folemnité, il ne refte que la corbeille myfterieuse à expliquer: mais je dois imiter le filence des Anciens qui, quand il a été queftion de dire ce qu'elle renfermoit, fe font retranchés fur le refpect religieux qui les retenoit. Je fçais que Clement d'Alexandrie, , pour dévoiler les abominations du Paganisme, n'a pas dû imiter la même retenue; mais étoit-il bien informé luimême de ce que contenoit cette caffette?

(2) De Le

Le défordre, l'infamie & la proftitution étant portés au dernier degré, on s'avifa enfin, quoiqu'un peu tard, d'en arrêter le cours. Ciceron (2) nous apprend que Diagondas abolit à Thebes ces infames fêtes; & fous le Confulat de gib. 2. Pofthumius, l'an de Rome cinq cens foixante-huit, parut ce celebre Senatufconfulte qui les interdit. Cet Edit qui menaçoit de mort ceux qui les celebreroient à l'avenir, fut publié & affiché dans tout l'Empire, avec toute la folemnité requise en pareil cas. On le déterra il y a foixante ou quatre vingts ans, gravé fur une table d'airain, que Fabretti nous a donnée, mais avec plufieurs fautes. Enfin un Moderne l'a copié & expliqué avec plus de correction, ainfi qu'on peut le voir dans le huitiéme volume de la Bibliotheque Italique.

De telles infamies devoient être depuis long-temps enfevelies dans l'oubli; mais on avoit eu grand foin d'en porter le fouvenir dans tous les temps: car indépendamment des Hiftoriens & des Poëtes qui en font fouvent mention, on en frappoit par l'autorité publique des médailles, & on élevoit des monumens qui en rappelloient le fouvenir: ces médailles font nommées Ciftophores, parce qu'on y voit la corbeille empreinte avec les ferpens autour, ou qui en fortent. Pour les monumens, ils repréfentent toute la pompe de ces Fêtes, & on y voit avec Bacchus, les Bacchantes,

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les Menades, les Joueurs de flûtes, des femmes & des filles, avec le crotale & le tympanum ; des Faunes, des Satyres,tenans à la main des vafes & des coupes ; des Prêtres qui conduifent les victimes deftinées au facrifice, tels que le verrat, le bouc, le taureau, &c. & enfin le vieux Silene toujours yvre fur fon âne, qu'il a bien de la peine à conduire.

Fin du premier Livre.

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