Imágenes de páginas
PDF
EPUB

1738

LIVRE SECOND

Des Dieux de la Mer, des Fleuves, & des

Fontaines.

[ocr errors]

ES Eaux occupent une partie trop confiderable fur la Terre, pour avoir été laiffées fans Divinités tutelaires; c'eft peutêtre même la partie du monde fur laquelle le Paganisme en avoit établi un plus grand nombre: l'Ocean, les autres Mers les Fleuves, les Rivieres, les Fontaines, les Ruiffeaux, les Lacs, & tous les autres amas d'eaux avoient leurs Dieux particuliers; l'eau elle-même fut regardée comme une Divinité, & on lui rendit un culte religieux; c'eft ce que je vais tâcher de prouver dans le Chapitre fuivant.

CHAPITRE I

Du culte rendu à l'Eau, & des caufes qui donnerent lieu à fon établissement.

I les befoins de la vie firent inventer une infinité de Dieux, & porterent les premiers Payens à divinifer presque toutes les parties du monde, principalement les quatre

Elemens, l'Eau a du être une de leurs premieres Divinités, puifque l'ancienne Philofophie, dont Thalès puifa les principes en Egypte, pour les répandre enfuite dans la Grèce, enfeignoit qu'elle étoit le premier principe de toutes choses; qu'elle avoit la meilleure part à la production des corps; qu'elle rendoit la Nature féconde, nourriffoit les plantes, & les ar bres, & que fans elle la terre feche, brûlée, & fans aucun fuc, demeureroit ftérile, & ne presenteroit qu'un defert afreux : mais avant que de paffer outre, il faut fe rappeller ce que nous avons dit des Dieux naturels & phyfiques, & des Dieux animés. L'Eau en tant qu'Element, ne pouvoit être qu'une Divinité phyfique, mais comme on ne laiffoit guéres ces Dieux fans leur en joindre d'animés qui en devenoient les fymboles, ainfi qu'Ofiris, Orus, & Ifis chez les Egyptiens, & Apollon & Diane parmi les Grecs, devinrent ceux du So leil & de la Lune.

Le culte que l'on rendit à ces Dieux fut confondu, & on ne diftingua plus le Dieu naturel d'avec le Dieu animé. On en ufa de même à l'égard de l'Eau : l'Ocean, les autres Mers, les Fleuves, &c. s'attirerent un culte religieux; mais on regarda Neptune comme un Dieu animé qui y préfidoit : il en fut de même de chaque fleuve, & de chaque fontaine, & de tout autre amas d'eaux, qui eurent chacun un Dieu particulier, ou une Nymphe, ou une Naïade, & les honneurs' qu'on rendoit à l'Eau en general, furent mêlés dans la fuite avec ceux qu'on rendoit à ces Divinités représentatives de l'Eau.

Que l'eau comme Element ait reçu les honneurs divins, c'est un fait qu'on ne fçauroit contefter. On a vû dans le feptiéme Livre ce qu'Herodote dit du refpect que les Anciens Perfes avoient pour elle, les facrifices qu'ils lui offroient, & de quelle maniere ils pouffoient la fuperftition jufqu'à n'ofer y cracher, s'y moucher, s'y laver les mains, y jetter ou y faire la moindre ordure, ni s'en fervir pour éteindre le feu. Strabon parle à cefujet à peu près comme Herodote, & attribue aux Cappadociens ce que celui-ci attribue aux Perfes.

Saint Cyrille (1) dit que les Perfes ne rendoient pas à la vé- (1) Adv. Jul. rité les honneurs divins aux bois, & aux pierres comme les Grecs, qu'ils n'adoroient pas non plus l'Ibis & l'Ichneumon, comme les Egyptiens, mais qu'ils reveroient feulement le feu & l'eau.

Quoique les Egyptiens euffent une raifon particuliere d'avoir la Mer en horreur, parce qu'ils croyoient qu'elle repréfentoit Typhon, ils n'en avoient pas moins pour cela l'eau en vénération. Saint Athanafe qui étant né en Egypte devoit connoître la Religion de fon Pays, après avoir dit (2) que les Payens adoroient l'eau, ajoute que les Egyptiens furtout fe diftinguoient dans le culte qu'ils rendoient à cet Element, qu'ils regardoient comme une Divinité.

(2) Orat. contra Gea

tes.

Julius Firmicus (3) affûre la même chofe; les Egyptiens, (3) D. Er. dit-il, rendent à l'eau un culte religieux, & lui adreffent leurs profan. Rel. prieres, & leurs vœux. L'eau du Ñil furtout étoit parmi eux en grande vénération : ce Fleuve bienfaifant qui a porté parmi eux le nom d'Ocean, d'Ypeus, & de Nilus, a été auffi appellé Siris, qui eft par abréviation le même nom qu'Osiris, parce qu'en effet il repréfentoit ce Dieu; car comme nous l'avons dit plus d'une fois, le même Dieu étoit le fymbole de plufieurs chofes à la fois, ainfi Ofiris qui dans le ciel représente le Soleil, marquoit fur la terre l'eau du Nil. Sans cette diftinction on n'entendra jamais la Theologie du Paganifme; mais auffi dès qu'on l'adopte, il faut croire que le Nil étoit la grande Divinité des Egyptiens.

Nous avons dit dans le premier Volume que les Egyptiens représentoient le Dieu de l'eau par un vafe percé de tous côtés qu'on nommoit Hydria, & nous avons parlé en même temps de la victoire que ce Dieu avoit remportée fur le feu des Perfes qui étoit leur grande Divinité. Je dois ajouter ici que felon Vitruve (4) les Prêtres rempliffoient à certains jours (4) Liv. 8. ce vafe d'eau, l'ornoient avec beaucoup de magnificence, & le pofoient enfuite fur une efpece de Théâtre public, qu'alors tout le monde fe profternoit devant ce vafe, les mains élevées vers le ciel, & rendoit graces aux Dieux des biens que cet Element leur procuroit. Le but de cette Tome II. Nn

céremonie étoit d'apprendre aux Egyptiens que l'eau étoit le principe de toutes chofes, & qu'elle avoit donné le mouvement & la vie à tout ce qui refpire.

Mais parmi ces peuples l'eau par excellence étoit le Nil, & c'étoit à lui que fe rapportoit tout le refpect qu'on avoit pour cet Element. Il eft vrai que jamais Fleuve ne fut si utile ni fi néceffaire, que celui-là, puifqu'outre la bonté de fon eau, qui eft un breuvage auffi délicieux que falutaire, c'est lui qui par fes débordemens périodiques rend l'Egypte un des pays des plus féconds de l'univers, qui fans cela feroit de tous le plus fterile, & le plus defert. Cette fécondité làmême, il la procure aux femmes, & à tous les animaux, & il n'eft pas rare de voir dans ces pays des brebis qui ont porté des deux ou trois agneaux, des chevres qui alaitent trois ou quatre cabris, ainfi des autres; & certes fi quelque chofe a merité parmi des hommes qui ne fçavoient pas rapporter tout ce qui eft dans la Nature, à celui qui l'a créée pour notre utilité, une jufte & vive reconnoiffance, & même des hommages, c'eft fans contredit un fleuve fi bienfaisant: auffi ne peut-on rien ajouter au refpect, & à la vénération que les Egyptiens avoient pour lui.

Mais de toutes les fêtes qu'on celebroit en fon honneur, celle de l'ouverture des canaux au temps de fes accroiffemens étoit la plus magnifique & la plus folemnelle. Je n'entrerai point ici dans la defcription de cette Fête, à laquelle affiftoient en perfonne les anciens Rois d'Egypte, accompa+ gnés de leurs Miniftres, de tous les Grands du Royaume & d'une foule innombrable de peuple; on peut confulter les voyageurs (a) qui font entrés fur cet article dans les détails les plus curieux; & me renfermant dans ce qui regarde mon fujet, je dirai feulement que pour remercier d'avance le Fleuve des biens que l'inondation alloit produire, on jettoit dedans par forme de facrifice, de l'orge, du bled, du fucre & d'autres fruits. Ce qui fe pratiquoit à Memphis, à l'ouverture du canal, s'exécutoit de même à proportion dans

(a) Voyez le troifiéme Voyage de Paul Lucas ; la defcription que M. de Maillet fait de cette fête, & les autres Voyageurs.

les Provinces ; & l'on peut dire que la faifon de couper le
Nil, c'eft ainfi qu'on s'exprime dans le
pays, étoit pour
toute l'Egypte le temps d'une Fête generale.

Mais comme la fuperftition ne connoît point de bornes, on enfanglantoit de la maniere la plus cruelle une journée qui ne fembloit refpirer que la joye, par le facrifice d'une jeune fille qu'on noyoit dans le fleuve: coutume barbare qui a duré fort long-temps, & qu'on a eu tant de peine d'abolir, qu'il a fallu pour contenter le Peuple, lorfque ce facrifice a été abfolument défendu, immoler du moins la repréfentation d'une jeune perfonne.

La Fête dure encore, quoique par l'avarice des Pachas elle foit moins folemnelle; on fait encore au Nil les mêmes libations, & des offrandes de fruits & de legumes ; & les Prêtres Coptes, les plus ignorans de tous les hommes, croyent le fanctifier, en y jettant quelques grains de chapelet, ou quelques morceaux de croix. Les mêmes Egyptiens rendoient encore à l'eau un culte religieux fous le fymbole de leur Dieu Canopus, qui repréfentoit cet élément : mais je n'ajouterai rien ici à ce que j'en ai dit dans l'histoire des Dieux de ce Peuple (1).

On fçait que les Indiens rendoient de grands refpects au Gange, dont les eaux, aufquelles ils attribuoient de grandes vertus, paffoient parmi eux pour faintes & facrées : leur fuperftition à cet égard dure encore, & les Princes qui regnent fur les bords de ce fleuve, fçavent bien la mettre à profit, en faifant acheter à leurs fujets la permiffion d'y puifer de l'eau ou de s'y baigner.

Le culte rendu à l'eau ne demeura pas long-temps renfermé dans la Perfe & dans l'Egypte, & il fut bien-tôt répandu comme les autres fuperftitions des Peuples de l'Orient, dans les autres pays. Maxime de Tyr nous apprend que les Peuples du Nord du Pont Euxin rendoient un culte religieux aux Palus Méotides, qu'ils en avoient des ftatues,

(1) T. 1.1.6.

& juroient en leur nom. Voffius (1), qui a traité cet article (2) De orig. avec fon érudition ordinaire, affure la même chofe des an- & prog. Idol. ciens Germains, & de quelques autres Peuples, ainfi qu'on

« AnteriorContinuar »