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peut le voir dans fon fçavant ouvrage fur l'origine & le pro grès de l'idolatrie.

On fçait que les Anciens faifoient de frequentes libations à l'Ocean, aux autres Mers & aux Fleuves, & qu'on ne s'embarquoit gueres fans avoir fait auparavant des facrifices aux eaux & aux Divinités qui y préfidoient; je pourrois en rapporter une infinité d'exemples, mais je me contente de celui des Argonautes. Lorfqu'ils furent prêts de mettre à la voile, (1) Apol. de Jafon (1) ordonna un sacrifice folemnel pour se rendre favorables Rhodes. 1. 4. les Divinités de la Mer; chacun s'empreffa à répondre aux voeux du chef de cette entreprise, on éleva un autel fur le bord de la Mer, & après les oblations ordinaires, le Prêtre repandit deffus de la fleur de farine, mêlée avec du miel & de l'huile, immola deux boeufs aux Dieux en l'honneur defquels fe faifoit le facrifice, & les pria de leur être favorables (2) Voyez pendant leur navigation (1).

rhift. de cette expedition, Tom. III.

Maxime de Tyr, que j'ai déja cité, en rapportant les raifons qui engagerent différens Peuples à honorer les Fleuves qui arrofoient leur pays, nous apprend en même temps l'univerfalité du culte qu'on leur rendoit. Les Egyptiens, ditil, honorent le Nil, à cause de fon utilité; les Theffaliens, le Penée, pour fa beauté; les Scythes, le Danube, pour la vafte étendue de fes eaux; les Etoliens, l'Acheloüs, à cause de la fable de fon combat avec Hercule; les Lacedemoniens, l'Eurotas, par une Loi expreffe qui le leur ordonnoit ; les Atheniens, l'Iliffus, par un ftatut de Religion, facro inftituto. Les Grecs & les Romains étoient trop fuperftitieux pour n'avoir pas adopté le culte rendu aux eaux. Indépendamment de ce que l'Auteur, que je viens de citer, dit des Theffaliens, des Etoliens, des Atheniens & des Spartiates, l'Antiquité nous fournit mille exemples des excès aufquels ils se porterent à cet égard.. Leurs Temples renfermoient les statues. des Fleuves & des Fontaines, comme celles des autres Dieux. Il y avoit peu de Rivieres & de Fontaines dans la Grece, auprès defquelles on ne trouvât de ces ftatues, un nombre infini d'inscriptions, & des autels confacrés à ces Rivieres & à ces Fontaines; on y alloit regulierement faire des

libations, & offrir des facrifices, ainfi que nous l'apprenons de Paufanias.

Les médailles nous repréfentent les Fleuves comme des Dieux, entr'autres une de Pofthume, où eft le Rhin avec cette infcription, Deus Rhenus. Le Tybre de même paroît au revers d'un Vefpafien, non-feulement comme une Divinité, mais encore comme le Patron & le Protecteur de Rome. Lorsqu'Enée fut arrivé en Italie, il rendit à ce Fleuve des devoirs religieux, s'abandonna à fa protection, & le pria de lui être favorable (a). Sibotus Roi de Meffene, ne fe contenta pas d'honorer le Fleuve Pamife, il fit une Loi qui obligeoit fes fucceffeurs à aller tous les ans y offrir des facrifices; mais pour ne pas multiplier des exemples qui ne finiroient point, je me contente de rapporter ici après Pline le jeune, ce que la Religion avoit confacré au Clitumne, fleuve d'Ombrie. Près de la fource de ce fleuve, dit cet Auteur (1), (1) Epift. ad. eft un Temple auffi refpecté qu'ancien : le Dieu du fleuve Rom. 1. 8.

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» lui-même y paroît vêtu d'une robbe, c'est un Dieu fort se

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courable, & qui prédit l'avenir, ainsi que le témoigne tout l'appareil qu'on y voit, & qui eft propre à rendre les oracles. Autour de ce Temple font repandues des chapelles » en grand nombre; chacune a une statue du Dieu, chacune » eft célebre, chacune eft diftinguée par quelque devotion. particuliere, &c. »

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Si la grande utilité dont l'eau eft fur la terre, engagea les premiérs Idolâtres à en faire une Divinité, on peut dire que les merveilles qu'on en reffentoit y contribuerent auffi beaucoup. Dieu eft admirable dans les eaux, difent les Livres Saints (2), & c'est dans cet élément fur-tout qu'il femble (2) Mirabilis avoir prodigué ses merveilles. Le flux & le reflux de l'O- in altis Domicean, ce mouvement periodique, qui éleve & abaiffe les eaux de fix heures en fix heures, & leur perpetue un mouvement qui les empêche de fe corrompre; l'irregularité de ce mou vement, plus ou moins grand dans les différens quartiers de la Lune, comme dans les différentes faifons; le flux de Accipite Eneam,

(4) Tuque ô Tybri tuo genitor cum flumine fanéto,

Adfis ô tandem, &t. Æneid.1. 8. v. 77.

nus.

l'Euripe qui ne reffemble prefque en rien à celui de l'Ocean; la falure de la Mer, feconde fource de fon incorruptibilité; le nombre prodigieux & la varieté des monftres qu'elle enfante, & la grandeur énorme de quelques-uns de fes poiffons, comme la Baleine, & quelques autres qui furpaffent de beaucoup les plus grands animaux de la terre, tout y eft merveilleux, tout y eft furprenant. Ce qu'on racontoit de la proprieté de quelques fontaines, dont quelques-unes ont un flux reglé comme l'Ocean, d'autres qui font periodiquement chaudes& froides; un grand nombre qui font très-falutaires; les fables qu'on debitoit à l'occafion de quelques autres, dont les unes donnoient, quand on en bûvoit, de l'horreur pour le vin, d'autres qui amoliffoient le courage, & faifoient changer de fexe ceux qui s'y baignoient; d'autres d'où lorfqu'on s'y étoit baigné, on fortoit couvert de plumes; quelques unes qui faifoient perdre l'efprit, d'autres qui en donnoient; ici c'étoit une fource dont l'eau guériffoit d'une paffion malheureuse, là en étoit une autre qui donnoit de l'amour: celle-ci augmentoit la memoire, celle-là faifoit tout oublier; enfin on publioit de quelques eaux qu'elles avoient le don de prédire l'avenir, & celui de rendre des oracles. On pourroit s'étendre beaucoup fur cet article; mais on peut confulter les Naturalistes, & en particulier le quatorziéme Livre des Métamorphofes d'Ovide, où ce Poëte fait débiter à Pythagore une infinité de chofes fur les proprietés de quelques Rivieres & de quelques Fontaines. Tout cela donne de l'admiration, & au lieu de rapporter à des caufes naturelles, ou à des relations peu fûres, des effets fi furprenans, on abregea la Phyfique, & l'adoration de l'Element même qui produifoit ces merveilles, prit la place des recherches.

Enfin les Poëtes par leurs fictions contribuerent infiniment à l'Idolatrie qui avoit l'Eau pour objet. En effet ils ne parloient des Fleuves, des Rivieres & des Fontaines, que comme d'autant de Dieux ; ils les peignoient & les représentoient dans leurs ouvrages, comme li veritablement ils les avoient vûs: ils les font fortir de leurs grotes humides pour apparoître à leurs Heros, & leur prédire leurs destinées ; ils en

racontent les amours, les combats, &c. Là c'est l'Alphée qui pourfuit Aréthufe, que Diane change en fontaine; ici c'eft Î'Achelous qui dispute Dejanire à Hercule, & qui est vaincu par fon rival; tantôt ce font de jeunes perfonnes qui pour. éviter les pourfuites de quelque Dieu amoureux, le précipitent dans quelque fleuve, & font fur le champ métamorphofées en Nymphes, ou en Naïades; ou qui pleurant leur foibleffe, & fondant en larmes, deviennent des fontaines. Les charmes de la Poëfie animoient ces defcriptions, & à force de les lire & d'en être touché, on les prit à la lettre, & on ne regarda plus les Fleuves & les Fontaines que comme des Divinités animées.

De-là ce nombre prodigieux de Dieux & de Déeffes des Eaux, nombre qui furpaffe celui des Dieux du Ciel, & des autres parties de l'Univers. En effet outre qu'on croyoit que chaque Fleuve, chaque Riviere, chaque Fontaine, &. tout autre amas d'eau étoit une Divinité, ou du moins avoit un Dieu tutelaire; la Mer en contenoit un nombre infini. L'O cean avoit eu de Tethys foixante-douze Nymphes, nommées Océanides; Nérée, cinquante Neréides, dont Hefio de rapporte les noms. Le nombre des Nymphes, fi nous en croyons Heliode, montoit à trois mille, & apparemment qu'il ne les avoit pas toutes comptées. Si on ajoute aux Nymphes, les Naïades, les Napées, les Limniades, &c. on trouvera que les Dieux des Eaux étoient innombrables.

Mais ce n'eft pas affez d'avoir prouvé qu'on rendoit un culte religieux à l'Eau & aux Divinités qui y habitoient, il faut examiner en quoi confultoit ce culte, & de quelle maniere on représentoit ces Dieux.

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Des differens Sacrifices qu'on offroit aux Dieux des Eaux.

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E ne dirai rien du facrifice fingulier que les Perfes & les Cappadociens offroient à l'eau, fuivant le témoignage d'Herodote & de Strabon, parce qu'il faudroit repeter ce que (1) T.I.1.7. j'en ai dit dans l'hiftoire de la Religion de ces Peuples (1). Pour donner quelque ordre à cette matiere, je parlerai d'abord du culte rendu à l'Océan, & aux autres Mers, enfuite de celui qu'on rendoit aux Fleuves & aux Fontaines, & je finirai par celui des Nymphes & des autres Divinités des

eaux.

L'Antiquité nous apprend peu de chofes touchant le culte de l'Ocean; Juftin eft celui des Anciens qui en a parlé le plus clairement, lorfqu'il a dit qu'Alexandre étant retourné à fes vaiffeaux, fit des libations à l'Ocean, en le priant de lui accorder un heureux retour dans fa Patrie (a). Aristée étant allé trouver fa mere dans les grotes du fleuve Penée, cette Nymphe après avoir appris le fujet qui l'avoit amené, offre un facrifice à l'Ocean auteur de tous les Etres; mais le facrifice ne confifte qu'en de fimples libations. Elle épancha trois fois, dit Virgile, la liqueur fur les brafiers de l'autel & trois fois une flamme éclatante fortit du feu facré, & s'éleva jufqu'à la voute (b).

Les victimes qu'on offroit le plus ordinairement à Neptune, étoient le cheval & le taureau: le premier de ces deux animaux étoit fpecialement confacré à ce Dieu, qu'on croyoit avoir produit le premier cheval, qu'il avoit fait fortir de terre coup de trident: fiction que j'ai expliquée dans l'histoire

d'un

(a) Expugnatâ deinde urbe reverfus ad naves libamenta dedit, profperum in paariam reditum precatur. Just. liv. 2.

(b) Oceano libemus, ait, fimul ipfa pre

catur,

·Oceanumque patrem rerum, &c. Virg. Georg. 1. 4.

du

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