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du différend qu'il eut avec Minerve; le taureau marquant par fa force & fes mugiffemens les flots de la Mer agitée, & étant même le fymbole des Fleuves, ainsi qu'on le dira dans la fuite. Il est inutile de rapporter des exemples pour prouver l'ufage où l'on étoit d'offrir ces deux fortes de victimes à Neptune; l'hiftoire en eft remplie, & Virgile qui ne s'éloigne gueres des ufages ordinaires, nous repréfente Laocoon immolant fur le rivage un taureau à Neptune (a).

Les facrifices que l'on offroit à la Mer étoient de differente nature. Nous apprenons d'Homere (1) que quand elle étoit agi- (1) Ody. 7. tée,on lui immoloit un Taureau noir; ou un porc & un agneau, lorfqu'elle étoit calme & tranquile. Mais la victime qu'on offroit le plus ordinairement à la Mer, étoit le Taureau, & le cheval, comme à Neptune qui en étoit le fouverain ; quelquefois on immoloit véritablement ce dernier animal, quelquefois on le précipitoit dans les flots, quelquefois enfin on fe contentoit de le confacrer à la Mer, & aux Fleuves, en lui laiffant la liberté de paître dans les pâturages voisins; souvent le facrifice fe faifoit fur la Mer même, quelquefois fur le rivage; & l'Antiquité nous fournit des exemples de toutes ces variations. Cloante dans Virgile (b), s'adresse ainsi aux Dieux de la Mer, Dieux de la Mer fur laquelle nous courons, je fais vœu lorsque je ferai fur le rivage, de vous immoler un Taureau blanc.

C'étoit un ufage dans ces fortes de facrifices de recevoir dans une patere le fang de la victime qu'on répandoit enfuite dans la Mer, en forme de libation. Lorfque le facrifice étoit offert fur la Mer même, on y laiffoit couler le fang de la victime, & on y jettoit les entrailles, ainfi que nous l'apprend Tite- Live (c) à l'occafion du facrifice qu'offrit à la Mer Scipion l'Africain, prêt à partir pour l'Afrique.

Quelquefois on joignoit à cette pratique une libation de

(a) Laocoon ductus, Neptuni forte Sa- | cerdos

Solemnes Taurum ingentem maƐtabat ad
aras. Æn. l. 3.

(b) Di quibus imperium pelagi, quorum
Aquora curro,
Tome II.

Vobis lætus ego hoc candentem in lit

tore taurum

Conftituam voti reus. Æn 1. 5.
(c) Cruda exta casâ victimá, uti mos eft,
in mare porrigit. Tit. L. 29.

Qo

(1) Virgil. vin, & une offrande de fruits (1). On en voit en effet fur la Æneid. 1. 5. Colonne Trajane, près de l'Autel où Trajan paroît une patere à la main pour faire une libation à la Mer. Pour les Fleuves on les honoroit de differentes manieres.

D'abord Hefiode établit pour précepte, qu'on ne doit pas les paffer fans s'y être auparavant lavé les mains. Les Magiftrats Romains ne paffoient jamais le petit ruiffeau qui étoit près du champ de Mars, fans avoir auparavant confulté les Augures, & les Generaux avant que de partir pour la guerre (2) De Na- en faifoient autant. Il eft certain, dit Ciceron (2), que nos Ca

tura Deor.

1. 3.

pitaines ont coutume de facrifier aux Flots avant que de s'embarquer. Mais on pouffa encore bien plus loin le respect religieux qu'on avoit pour eux, puifqu'avant de les traverser pour quelque expédition militaire, on leur offroit des chevaux en facrifice; c'eft ainsi que Xerxès, au rapport d'Herodote, avant que de paffer le Strymon pour venir dans la Grece, lui en immola, & que Tiridate en offrit un à l'Euphrate, pendant que Vitellius qui étoit avec lui, fit en l'honneur de ce Fleuve le facrifice Taurobolique; car on immoloit auffi des chevaux aux fleuves, comme à l'Ocean, & à la Mer. (3) 14 in Lucullus, au rapport de Plutarque (3) en facrifia à l'Euphrate, dans le temps qu'il pourfuivoit Tigrane: il falloit même que l'ufage en fût fort ancien, puifque Achille dit à Lycaon : ce Fleuve fi rapide, le Xante, à qui nous offrons tant de Taureaux, ne vous garantira pas. Enfin on porta la fuperftition à cet égard au point que les jeunes filles de Troye étoient obligées la veille de leur mariage, d'aller offrir leur virginité au fleuve Scamandre, & on fçait ce qui en arrivoit quelquefois. La (4) In Arc. jeuneffe Grecque, au rapport de Paufanias (4), fe contentoit d'offrir la chevelure au fleuve Neda, & Homere nous apprend que Pelée avoit confacré au Sperchius celle de son fils Achille.

Luc.

Les Nymphes, les Napées, les Naïades avoient auffi leurs facrifices; c'étoit quelquefois des chevres & des agneaux qu'on leur immoloit, avec des libations de vin, de miel & d'huile; fouvent on fe contentoit de leur présenter du lait, des fruits & des fleurs. Il eft vrai qu'Ariftée, au

rapport de Virgile (1), offre aux Nymphes quatre taureaux & autant de geniffes; mais un facrifice fi folemnel pour ces petites Divinités des eaux, eft fans autre exemple dans l'Antiquité Pour les Fêtes champêtres qu'on célebroit en leur honneur, elles etoient ordinaires aux gens de la campagne, & c'étoit dans ces ceremonies ruftiques qu'on voyoit couler le lait, le miel & l'huile en abondance.

(1) Georg 1.4.

CHAPITRE III.

De l'Ocean & de Tethys.

OCEAN tenoit à jufte titre la place du premier Dieu des eaux, puifqu'il en contient le plus grand amas, & qu'il les communique aux autres mers & à toute la terre, par cette admirable circulation qui y porte par-tout la fecondité.

Les Poëtes qui l'ont perfonnifié, en ont donné la genealogie, & Hefiode nous apprend qu'il étoit fils du Ciel & de la Terre, La Terre, dit-il, de fon mariage avec Ura>>nus eut l'Ocean aux gouffres profonds, & avec lui Cœus » & Creius, Hyperion, Iapet, Rhea, Themis, &c. (2).

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en

(2) Theog.

Comme ce Poëte joint la generation de l'Ocean avec celle de plufieurs perfonnes qui ont veritablement exifté, ainsi qu'on l'a prouvé dans l'hiftoire des Dieux du Ciel, on feroit porté à croire qu'il s'agit dans cet endroit, non d'une generation purement phyfique, mais d'une generation naturelle; & de-là on peut croire que parmi les Titans il y eut un qui porta le nom d'Ocean: Par-là on expliqueroit à la lettre, 1°. Ce que dit Homere que tous les Dieux tiroient leur origine de l'Ocean & de Tethys (3), parce que verita- (3) Iliad. blement ils eurent un grand nombre d'enfans qui furent mis au rang des Dieux, comme les autres Titans. 2°. Ce que dit le même Poëte que les Dieux alloient fouvent en Ethiopie visiter l'Océan, & prendre part aux fêtes & aux facrifices

14. V. 312.

qu'on y offroit, ce qui voudroit dire que ceux des Titans; qui à l'occafion de leurs conquêtes s'étoient établis en dif ferens endroits, s'affembloient de temps en temps pour aller rendre leurs devoirs à l'Ocean dans le lieu où il regnoit. 3o. Que Junon avoit été élevée chez l'Ocean & Tethys, parce que veritablement Rhea l'envoya à fa belle four pour pren dre foin de fon éducation, & la derober à la cruelle fuperftition de Saturne. 4°. Ce que dit Efchile, que l'Ocean étoit intime ami de Promethée frere d'Atlas; mais il faut avouer en même temps que les Anciens n'ont le plus fouvent regardé l'Ocean que comme une Divinité naturelle; & com(1) In Pro- me son nom, fuivant Diodore de Sicile (1), veut dire mere metheo, 1. 2. nourrice, c'eft avec raifon qu'on a dit qu'il étoit le pere, nonfeulement des Dieux, mais de tous les Etres; ce qui eft vrai en ce fens, que l'eau contribue plus feule à la production, & à la nourriture des corps, que tout le refte de la Nature. En effet, fuivant les experiences faites par les Anciens & par les Modernes, un arbre, ou une plante confument dans leurs accroiffemens plufieurs milliers de portions d'eau, contre une de terre. Ce que les Grecs difoient de l'Ocean, les Egyptiens le difoient du Nil, qui parmi eux a porté pendant un temps le nom d'Ocean, & peut-être avec plus de raison, puifque c'étoit veritablement dans leur pays qu'avoient vêcu les premiers Dieux. « L'Ocean chez les Egyptiens, dit Dio(2) Liv. 1. » dore de Sicile (2), n'eft autre chofe que le fleuve du Nil, » où ils prétendent que les Dieux ont pris naiffance, parce que de tous les pays du monde, l'Egypte eft le feul qui » ait des villes bâties par les Dieux mêmes. »

à velocitate.

Les Grecs derivoient le nom d'Ocean areavòs, du mot (3) wxus, wxus, qui marquoit la rapidité de l'eau (3); ils l'appelloient auffi Ba Judins, parce que fon mouvement étoit vif, & le faifoit dans le fond même des eaux. Euripide, dans fon Orefte, lui (4) Taupo- donne l'épithete de Tauriceps (4), qui convient également à Neptune & aux Fleuves mêmes, tant à caufe des vagues agitées qui femblent imiter le mugiffement de cet animal, que des branches differentes que forment les Rivieres, qu'on défignoit par des cornes. Ainfi on dit qu'Hercule avoit

pavos.

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l'hift. de ce

168.

i

arraché une des cornes d'Acheloüs, parce qu'il avoit fait rentrer dans le lit de ce Fleuve un des bras qui inondoit l'Etolie (1). Si on donne à l'Ocean Tethys pour épouse, c'eft) Voyez pour marquer qu'il épure & lave toutes chofes, & qu'il les Heros. affemble, ou pour m'expliquer dans les termes d'un fçavant Mythologue (4), quod pura omnia & fplendida efficiat, ref- (2) Lyl. Gir que contrarias concordi ac mutuo nexu decenter copulet. Au Synt. 5. P refte il faut bien diftinguer cette Tethys femme de l'Ocean de la Néréide Thetis qui époufa Pelée, & dont elle eur Achille. Les Mythologues même obfervent à ce fujet, car il faut tout dire jufqu'aux minuties, que le nom de la premiere s'écrit avec un y grec, & celui de la mere d'Achille avec un iota. Une ancienne fable nous apprend que Jupiter ayant été lié & garotté pas les autres Dieux, Tethys avec l'aide d'Egeon le remit en liberté ; ce qui veut dire fans doute que cette Princeffe fe fervit de ce Geant pour délivrer fon parent de quelque peril, ou lui faire éviter les embûches où les autres Titans, qui étoient en guerre contre lui, vouloient le faire tomber.

L'Antiquité ne nous a tranfmis que deux monumens qui repréfentent l'Ocean; l'un eft une ftatue qui a été déterrée à Rome vers le milieu du feiziéme fiecle, qui nous fait voir Ocean fous la figure d'un vieillard affis fur les ondes de la Mer, avec une pique à la main, & ayant près de lui un monftre marin qu'on ne connoît pas ; l'autre eft une pierre gravée de Beger, fur laquelle ce Dieu eft pareillement peint fous la figure d'un vieillard affis fur les ondes, où font dans le lointain quelques vaiffeaux.

Mais avant que de finir ce Chapitre je dois dire ce que je penfe de ces frequens voyages qu'Homere fait faire aux Dieux chez l'Ocean, où ils alloient paffer douze jours parmi la bonne chere & les feftins. Ce Poëte veut nous parler en cette occafion de la pieté de ces Peuples, & en particulier d'une ancienne coutume de ceux qui habitoient fur les bords de l'Ocean Atlantique, & qui célebroient dans une certaine faifon de l'année des fêtes folemnelles, pendant lefquelles ils portoient en proceffion la ftatue de Jupiter & de leurs

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