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plus que les apprentis des Egyptiens, il s'en eft trouvé qui ont operé fur eux-mêmes des prodiges de cette nature. Euftathe rapporte l'exemple de Callifthene Phyficien, qui, quand il vouloit, paroiffoit tout en feu, & fe faifoit voir fous d'autres formes qui étonnoient les fpectateurs.

Il y a des Auteurs qui prétendent que Protée étoit un Orateur habile, qui fçavoit faire aifément changer de fentiment ceux à qui il parloit. Lucien affûre que c'étoit un Comedien extrêmement fouple, un Scaramouche parfait, qui prenoit, pour ainfi dire, toutes fortes de figures. Heraclide de Pont prétend que la fable de Protée renferme le mystere de la formation du monde ; que par fes changemens on a voulu nous apprendre que la matiere pouvoit recevoir toutes fortes de figures; & qu'Eidotée qui confeille de lier fon pere, c'eft la Providence divine qui fixe à certains fujets cette même matiere. D'autres prétendent que Protée fignifie la verité qui demeure cachée à ceux qui ne s'attachent pas à l'étudier.

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4.

(1) Odyff. I.

Mais l'opinion la plus vrai-semblable, & qui eft commune parmi les Anciens, au nombre defquels font Homere (1), Herodote (2), Diodore de Sicile (3),Clement d'Alexandrie (4), * (2) Liv. 2. Lycophron (5), Ifaacius & plufieurs autres, eft que Protée a (3) Liv. I. été un ancien Roi d'Egypte qui tenoit fa Cour à Memphis, (4) Strom. 5. & qui regnoit vers le temps de la guerre de Troye. Voici Caffandre. en particulier ce qu'en dit Herodote; & quoique le paffage que je vais citer de lui foit un peu long, j'ai crû qu'il meritoit d'être rapporté en entier. Pheron Roi d'Egypte eut pour fucceffeur un habitant de Memphis, appellé en Langue Grecque Protée, dont on voit encore aujourd'hui un Temple dans Memphis, qui eft fort beau & fort magnifique»ment paré. Il eft fitué auprès du Temple de Vulcain, du côté du Midi : les Pheniciens de Tyr habitent à l'entour » & le lieu en eft appellé le Camp des Tyriens. Il y a dans ❤ce Temple de Protée une Chapelle dediée à Venus, fur» nommée l'Etrangere, que je conjecture être Helene, fille » de Tyndare, parce que j'ai oui dire qu'Helene féjourna quelque temps chez Protée, & qu'on lui donna le furnom de

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» Venus étrangere. Car il ne fe trouve point autre part de Temple de Venus qui lui foit confacré fous ce nom. Et » certes quand je demandai aux Prêtres ce qu'ils penfoient d'Helene, ils me dirent que comme Paris Alexandre s'en » retournoit en fon pays après l'avoir enlevée de Sparte, il » fut jetté par la tempête vers les côtes d'Egypte, & voyant » que la tourmente continuoit, il fut contraint d'y prendre terrè à la bouche du Nil, qu'on appelle Canobique, où il » s'arrêta. Il y avoit fur le rivage un Temple d'Hercule, que l'on y voit encore aujourd'hui, où fi quelque Esclave, de quelque perfonne que ce foit, se retire, & s'y fait marquer des faintes marques qui y font, fe mettant fous la pro»tection du Dieu, il eft défendu de le prendre, & même ce privilege eft demeuré inviolable jufqu'à notre temps: les ef claves d'Alexandre ayant oui parler de la franchise que l'on →→ trouvoit dans ce Temple, s'y retirerent auffi -tôt, & se «mettant à genoux devant le Dieu, ils commencerent à accufer leur Maître, & à publier le ravissement d'Helene, & l'injure qu'il avoit faite à Menelas. Ils firent ces plaintes » en la présence des Prêtres & du Gouverneur de cette bou» che du Nil, nommé Thonis, qui les ayant oui parler, envoya promptement à Memphis porter cette nouvelle à » Protée, à qui on parla en ces termes. Il vient d'arriver ici » un Etranger de la race de Teucer, qui a commis dans la » Grece un crime étrange. Il a feduit la femme de fon Hôte: » il l'a enlevée & l'emmene avec lui avec un grand nombre de richeffes. Il a été pouffé fur vos Côtes par les vents con» traires, le laifferons-nous aller impunément, ou lui ôterons» nous ce qu'il a apporté avec lui? Auffi-tôt Protée manda au Gouverneur qu'il fe faisît de cet homme. Le Gouverneurobéit; & après que Protée l'eut accablé de reproches, » ille chassa de sa préfence, ne voulant pas toutefois le faire mourir pour ne pas violer les droits de l'hofpitalité; lui or » donna de fortir dans trois jours de fes Etats, & retint He lene pour la rendre à fon Epoux ».

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Diodore de Sicile convient auffi que Protée, qu'il nomme Cetès, étoit Roi d'Egypte, & affure en même temps que

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tout ce que les Grecs publioient de fes differentes métamorphofes, les Egyptiens le difoient de leur Roi Cetès; mais differe d'Herodote en deux points: 1°. en ce qu'il dit qu'il monta fur le trône après un interregne de 150. ans, au lieu qu'Herodote le fait regner immédiatement après Pheron. 2°. En ce qu'il croit qu'il affifta à la guerre de Troye, ce qui a fait avancer à quelques Modernes qu'il étoit le même que Tithon, pere de Memnon.

Quoiqu'il en foit, voici ce qui peut avoir donné lieu aux metamorphofes dont parlent Homere & Virgile. Protée étoit un Prince fage & éloquent; & fa prévoyance qui lui faifoit éviter tous les dangers, pouvoit lui tenir lieu du don qu'on lui accorde de prédire l'avenir; car felon Ciceron, la prévoyance eft une efpece de prophetie. Comme il étoit trèsdifficile d'apprendre fes fecrets, on a eu raifon de dire qu'il falloit le lier. Il étoit d'ailleurs extrêmement fier, & paroif foit peu en public: il n'étoit permis à perfonne de fe trouver en fon chemin ; il n'y avoit qu'un petit nombre de gros Seigneurs, qu'Homere nomme allegoriquement les gros poiffons, @xas, qui puffent l'accompagner. C'étoit ordinairement fur le midi qu'il fortoit de fon palais, que le même Poëte appelle fa caverne; il alloit prendre fur le bord de la Mer la fraîcheur du vent de Nord', couvert peut-être d'un parafol, qu'il nomme un nuage. On le voyoit quelquefois au milieu de fes foldats, comme un Pasteur au milieu de fes troupeaux: il en fçavoit le nombre & les noms, & en faifoit fouvent la revûe. Voilà pourquoi le même Poëte dit qu'il comptoit regulierement tous les jours fes troupeaux fur l'heure du midi. Prompt & vif jusqu'à l'excès, on pouvoit dire qu'il étoit tout de feu; & maître de fa paffion il paroiffoit un moment après plus fouple & plus coulant que l'eau. Ne paroîtil pas par tous ces traits que nos deux Poëtes ont voulu peindre allegoriquement un Roi fage & prévoyant, fin & rusé & non un monftre marin ou un cameleon qui changeoit de forme & de figure? Rien n'eft plus ordinaire dans les Poëtes, & même dans l'Ecriture-Sainte, que ces defcriptions fymboliques qui nous marquent fous des termes Tome II.

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49.

couverts le caractere de quelqu'un. Ainfi le Prophete Ifaïe regarde Nabuchodonofor comme l'aftre du jour; & Jacob, (1) Genef. fon fils Judas, comme un lion (1), &c. ce qu'on auroit tort de prendre à la lettre.

De même, par ce peuple maritime, que Virgile appelle aprés Homere gens humida Ponti, il est évident que ces Poëtes entendent parler des Egyptiens voifins de la Mer; & par ces veaux marins, turpes phocas, des Satrapes d'Egypte : & s'ils les appellent les troupeaux de Neptune, c'eft parce qu'un Roi doit être le pere & le pafteur de fes Sujets ; c'eft encore dans le même fens qu'ils difent que Protée étoit fils de Neptune, parce qu'il étoit puiffant fur la Mer, & étoit maître de Carpathie; ce qui l'a fait dans la fuite regarder lui-même comme un Dieu marin. Peut-être auffi que l'équivoque du nom Cetès qu'il portoit, felon Diodore, ou plutôt Ketin, ainsi que le nomme Perizonius, & qui veut dire une baleine, ou un gros poiffon, a fervi à donner cours à cette fable; & ce qui confirme admirablement ces conjectures, c'est qu'Homere, qui en eft l'Auteur, l'avoit apprife des Egyptiens, qui couvroient fouvent leurs hiftoires des voiles ingenieux de l'allegorie & de la fiction.

Cependant, fi nous nous en rapportons à Diodore de Sicile, il y a là-deffous moins de myftere qu'on ne pense, puifque felon lui, cette fable eft née chez les Grecs, & fut inventée fur une coutume qu'avoient les Rois d'Egypte, qui portoient fur leur tête pour marque de leur force & de leur puiffance, la dépouille d'un lion, ou d'un taureau, ou d'un dragon; quelquefois même des branches d'arbres, du feu & des parfums exquis ces ornemens fervans à les parer, & à jetter la terreur & la fuperftition dans l'ame de leurs Sujets.

Protée laiffa un fils nommé Remphis, qui lui fucceda. Pour lui il fut mis au rang des Dieux; & on vient de voir ce qu'Herodote dit de fon Temple. Finiffons par quelques réflexions critiques de nos Sçavans. M. Fourmont (a) prétend que les Grecs formerent le nom de Protée qu'ils donnerent

(a) Reflexions critiques fur l'Hiftoire des anciens Peuples. liv. 3. chap. 10.

à ce Roi d'Egypte, de Phrao, ou Phro, dont ils ont fait Prot, avec la finale eus : étymologie préferable fans doute à celle de Perizonius, qui dit que ce Prince n'eut le nom de Protée que parce qu'il fut élû après une anarchie. Feû M. Huet qui a fait un parallele de Moyfe & de prefque tous les Dieux du Paganisme (1), n'a pas manqué de le comparer à Pro- (1) Demonst. tée, foutenant que toute cette fable eft fondée fur ce que Evang. prop. l'Ecriture-Sainte raconte de la verge de Moyfe; mais n'en déplaife à ce fçavant Prelat, Protée, que toute l'Antiquité convient avoir vêcu au temps de la guerre de Troye, eft pofterieur de près de 240 ans au Legiflateur des Hebreux.

CHAPITRE VII.

Phorcys, Saron, Partunus, Matuta, Glaucus & Egeon.

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(3) Voyez l'Hiftoire de Gorgones. (4) Odyff.

Perfée, & des

HORCYS, ou Phorcus, autre Dieu marin, étoit, fi nous en croyons Hefiode (2), fils de Pontus & de la Terre, (2) In Theog. & il eut de fa femme Ceto, les Grées, dont les cheveux blanchirent au moment de leur naiffance (3); génération phyfique, qui nous apprend que les flots blanchiffent quand ils font agités. Homere (4) parle de l'antre qu'habitoit Phorcys, fur lequel Porphyre a fait un docte Commentaire ; mais qui fe réduit à quelques idées d'unePhysique mysterieuse & abstraite. Varron eft le feul qui ait ramené à l'hiftoire ce que difent ces deux Poëtes; & il prétend que Phorcys étoit un Roi de Corfe. Comme il perdit la vie & une partie de fon armée dans une bataille navale contre Atlas, ceux qui étoient reftés de cette défaite, publierent qu'il avoit été changé en Dieu de la mer.

Saron étoit regardé comme le Dieu particulier des Matelots, & les Grecs, pour cela, lui avoient donné le nom du bras de mer qui eft proche de Corinthe, ou du golphe Saronique. C'eft ce que nous fait entendre Ariftide, lorsqu'il dit: car ils n'habitent pas toujours dans la mer, comme Glau

1. 13.

Saron.

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