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Pour entendre mieux cette pensée, il faut fe reffouvenir qu'avant le fyftéme des Champs Elysées & du Tartare, dont Fopinion n'étoit gueres plus ancienne parmi les Grecs qu'Orphée & Homere, on croyoit ou que les ames demeuroient auprès des tombeaux, ou dans les jardins & les bois délicieux qu'elles avoient frequentés pendant qu'elles étoient unies à leurs corps. On avoit même pour ces lieux un refpect religieux; on y invoquoit les ombres de ceux qu'on croyoit y habiter; on tâchoit de fe les rendre favorables par des vœux & des facrifices, afin de les obliger à veiller fur les troupeaux & fur les maisons. De-là eft venue l'ancienne coutume de facrifier fous des arbres verts, fous lefquels on croyoit que les ames errantes fe plaifoient beaucoup; coutume autrefois pratiquée par les anciens Gaulois, ou Celtes, qui facrifioient fous des chênes, qui en langue Celtique s'appelloient Deru; de-là le nom de Dryades & Hamadryades, ou de ces Nymphes qui habitoient dans les bois.

Mais ce qui donne encore beaucoup de credit à cette opinion, c'est l'idée que l'on avoit que tous les Aftres étoient animés (a) ; ce que l'on étendit enfuite jufqu'aux fleuves & aux fontaines, à qui on affigna des Dieux tutelaires. Voilà quelle a été l'origine de ces Divinités ; mais il faut convenir que dans la fuite on a pris pour des Nymphes, jufqu'à de fimples bergeres (b), & des Dames illuftres dont on appre noit quelque avanture (c). Ainfi nos Poëtes fideles imitateurs des rêveries des Anciens, appellent ordinairement du nom de Nymphes les belles perfonnes qui entrent dans les fujets de leurs Poëmes. Enfin on peut ajouter ce que dit Diodore de Sicile (1), que les femmes des Atlantides étoient communément appellées Nymphes; ce qui me fait croire que c'étoit en ce pays-là que prit naiffance l'opinion de l'exiftence de ces Déeffes, parce qu'on difoit que c'étoit dans les

(a) Voyez ce que nous avons dit dans la feptiéme fource des fables, dans le Tom. I. 1. 1.

les troupeaux du Soleil.

(c) Selon Servius, le nombre des Nymphes étoit réduit à 200. Hefiode en met (b) C'eft pour cela fans doute qu'Ho-3000. & je penfe qu'il étoit arbitraire, mere appelle Nymphes, Phactufe, & vu le nombre des perfonnes à qui on Lampetie celles qui gardoient en Sicile I donna le nom de Nymphe.

(1) Liv. 3.

Tome II.

Tt

jardins delicieux de la Mauritanie Tingitane, ou près du mont Atlas, qu'habitoient après leur mort les ames des Heros.

Les Payens ne croyoient pas à la verité que ces preten dues Divinités fuffent immortelles; mais on s'imaginoit qu'el (1) Paufan. les vivoient très-long-temps (1); Hefiode (2) les fait vivre (2) Theog. plufieurs milliers d'années. Plutarque en a determiné le nombre & il a reglé la chofe à 9720 ans (a).

ου

Si l'on me demande ce qu'on a voulu dire par tant de métamorphofes de perfonnes changées en Nymphes, en Dryades, &c. je penfe que lorfque quelque Princeffe étoit enlevée à la chaffe, ou qu'elle periffoit dans les bois, la reffource ordinaire des flatteurs étoit de dire que Diane quelqu'autre Divinité favorable, l'avoit changée en Nymphe. On racontoit la même chofe de celles qui par defespoir fe retiroient dans les bois pour y pleurer leurs malheurs ; car si elles mouroient auprès de quelques fontaines, on ne manquoit pas de dire qu'elles en étoient devenues les Nymphes, & on faifoit là-deffus quelque Poëme où l'on donnoit à la fontaine le nom de la Princeffe; ainsi qu'il arriva au fujet de la prétendue Egerie, cette célebre Nymphe que Numa Pompilius alloit fouvent confulter dans la forêt d'Aricie. Ce Prince pour perfuader au Peuple Romain que le culte reli gieux qu'il avoit deffein d'établir, étoit divin, publia qu'une Nymphe lui en dictoit les ceremonies, & il inventa fon pretendu commerce avec Egerie. Après la mort du Roi les Romains allerent chercher cette pretendue Nymphe, & n'ayant trouvé qu'une fontaine dans l'endroit où Numa fe retiroit, & où vraisemblablement il avoit coutume de faire quelque acte d'hydromancie, comme le prétend S. Augustin, on s'imagina que la Nymphe avoit été changée en fontaine. On doit juger fur cet exemple, de toutes les autres fables qu'on a publiées au fujet des Nymphes ou des Naïades.

Nous ne dirons rien de la belle defcription que fait Homere de l'Antre des Nymphes, ni de ces vers où Horace

(a) Dans fon traité de la ceffation des Oracles, où il fait fur ce fujet un raisonnement pitoyable, quelque allégorie qu'on y veuille chercher,

nous repréfente Bacchus inftruifant les Nymphes (a): car on ne feroit pas content des allegories que quelques Auteurs ont dit y être renfermées, & encore moins des obfcenités qu'un Philofophe Stoicien, homme grave & ferieux, a debité làdeffus (1). Mais pour ne rien laiffer à defirer fur ce fujet, (1) La Moje dois donner ici la lifte des Nymphes & des Naïades: voici leurs noms par ordre alphabetique.

the le Voyer, dans fon He

xam. rust.

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(a) Vidi Bacchum doceutem Nymphas.

Perfa

Rhodea

Thoé

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Proto

Prymno

Remarquons en paffant que quelques-unes de ces Nymphes font nommées deux fois,fuivant la maniere differente dont les Poëtes defquels Beger a tiré cette Lifte, prononçoient leurs noms ; & que d'autres, comme on a pu s'en appercevoir, font les mêmes que quelques-unes des Muses.

CHAPITRE XI.

D'Eole & des Vents.

N met auffi Eole parmi les Dieux de la mer, parce qu'on croyoit qu'il étoit le Dieu des vents & des tempêtes. Ce Prince, fils d'Hipotus, & que fon merite a fait paffer pour fils de Jupiter, vivoit du temps de la guerre de Troye, & regnoit, fi nous en croyons Servius après Varron, fur les Ifles qu'on appelloit Vulcanies, & qui ont depuis porté le nom d'Eolies. Ces Ifles, au nombre de fept, font entre la Sicile & l'Italie, du côté du Promontoire de Pelore, ainsi que Diodore de Sicile & Pline le difent. Homere ne parle que d'une, qu'il appelle Eolie, quoiqu'il n'y en ait point qui porte ce nom, mais il la nomme ainfi à caufe de fon Roi Eole: c'étoit fans doute celle de Lipara, où il y a beaucoup de Volcans ; ce qui a fait dire à Ariftote, parlant de cette ifle,

que la nuit on la voit éclairée par des feux. Strabon eft du même fentiment, & c'eft pour cela qu'on plaçoit quelquefois dans ce lieu-là les forges de Vulcain; fable fondée fur le nom que les Pheniciens donnerent à cette Ifle: ces premiers Voyageurs y ayant abordé, & y ayant vâ les feux qui en fortoient, la nommerent, comme Bochart l'a remarqué, Nibaras, ou Nibras, qui fignifie un flambeau, une torche allumée.

(1) Diod. de Sicile. 1. 5.

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(2)Ch. 16.

C'eft dans ces Ifles qu'Eole regnoit lorfqu'Ulyffe y aborda. Ce Prince étoit fort fage & fort prudent, & recevoit bien les étrangers; il ne manquoit pas fur-tout de leur don ner de bons avis touchant les dangers de la navigation (1). Il s'appliquoit fur-tout à obferver les vents fur l'infpection de la fumée qui fortoit des antres de Lipara, comme Pline l'a remarqué: il pouffa même fi loin fes connoiffances là-deffus, à l'aide d'un peu d'Aftronomie (2) & par l'infpection du flux & du reflux de la mer, comme le dit Strabon (3), qu'il prédi (3) Liv. 8. foit fouvent quel vent devoit fouffler pendant quelques jours; ce qui n'eft pas impoffible à prévoir, lorsqu'on a long-temps experimenté dans un climat que le vent qui y regne un jour, y dure ordinairement quelques jours de fuite. Comme il vi voit dans un temps où la navigation étoit fort imparfaite, & où il étoit fort difficile lorfqu'on s'éloignoit un peu des côtes, d'y revenir & d'éviter la tempête, on avoit fouvent recours à lui pour fçavoir quels vents devoient fouffler pendant qu'on feroit fur mer. Plufieurs perfonnes fe trouverent bien de fes confeils; & fa réputation alla fi loin, qu'on le regarda comme le Roi des vents, leur maître & leur furintendant (a). Les Poëtes défigurerent enfuite cette hiftoire par leurs fictions. Homere, au lieu de dire fimplement qu'Ulyffe qui avoit confulté ce Prince, n'ayant pas ajouté foi à fes confeils, & étant demeuré fur mer plus long-temps qu'il ne falloit,effuya une rude tempête qui fit perir fa flotte à la vûe de l'Ile d'Ithaque, dit d'une maniere enveloppée, qu'Eole avoit enfermé

(a)..

tro

Hic vafto Rex Æolus anLuctantes ventos, tempeftatesque sono

ras

Imperio premit, ac vinclis & carcere
frænar. Virg. Æneid. 1. 1. Homere
dit prefque la même chose.

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