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ou Chanfon, d'où l'on a compofé le nom des Sirenes, com‐ me qui diroit Chanteuses.

Ne pourrois - je pas, pour concilier ces Auteurs, dire qu'il y a eu véritablement des Princeffes débauchées qui demeuroient fur les bords de la mer, & qui ont donné lieu à toutes ces fables; mais que le nom de Sirenes ne leur a été donné dans la fuite, que parce que ceux qui trouverent dans l'ancienne langue le mot Sir, ouSyrein, qui marquoit leur caractere, le prirent pour leur nom véritable ? & lorsqu'on a dit qu'elles étoient filles du fleuve Achelous, c'eft que l'Ifle de Taphos, d'où on dit que ces filles étoient forties pour venir s'établir à Caprée, eft à l'embouchure de ce fleuve.

Au regard des temps où elles vivoient, Ovide nous apprend que c'étoit du temps de Proferpine, & qu'elles accompagnoient cette Princeffe dans les prairies du mont Etna où elle fut enlevée. Homeré les fait vivre du temps d'Ulyffe, après la guerre de Troye ; & je penfe que pour accorder ces opinions differentes, nous pouvons dire qu'elles n'ont pas vécu dans le même tems,mais les unes après les autres; que leur regne a duré jufqu'au temps d'Ulyffe, qui fit peut-être périr la derniere Princeffe de cette Ifle. Il ne faut pas s'étonner que les Poëtes ayent réuni tout ce qu'ils ont dit des Sirenes : ce n'eft pas la premiere fois qu'ils ont rapproché ou reculé de plufieurs fiécles les événemens des temps fabuleux; & je crois que cela vaut mieux que de dire fimplement que par la magnifique fable des Sirenes, Homere n'a eu d'autre vûe que de nous apprendre que fon Heros évita les charmes de la volupté, lui qui le fait demeurer fept ans chez Calypfo, & qu'il rend fi amoureux de Circé. Je ne dois pourtant pas diffimuler (1) Archipe: qu'un ancien Auteur (1) a cru que l'origine de la fable des Sirenes vient de ce qu'auprès des Promontoires, ou de Sorente ou deCaprée,on entendoit un certain bruit harmonieux caufé par les flots de la mer, refferrés entre des rochers, ce qui attiroit les paffans qui y faifoient quelquefois naufrage. Sur quoi on peut dire que cette circonftance n'a peut-être pas peu contribué à embellir la fable; du moins une pareille harmonie, mais beaucoup plus défagréable, a-t-elle contribué

V. Nat. I. 5.

celle de Charybde & de Scylla, comme nous le dirons une autre fois (1).

Mais, que veulent dire les Relations qui nous apprennent que des Pêcheurs ont quelquefois trouvé des Sirenes dans la mer, à peu près comme celles que les Peintres repréfentent dans leurs Tableaux, & qu'ils ont apportées à la Cour des Princes? Je réponds à cela, qu'on a quelquefois trouvé des monftres dans la mer, qui avoient une figure affez reffemblante au vifage d'une femme, avec une queue de poiffon, mais fort noirs & couverts d'écailles, & qui no reffembloient nullement ni aux Sirenes, ni aux Tritons des Poëtes; & l'on doit penfer que tous ces prétendus monftres, Satyres, Nymphes, Sirenes, &c. dont les Relations des Voyageurs font remplies, n'ont jamais exifté que dans le pays que Rabelais nomme le pays de Tapifferie.

(1) Hift. d'U

lyffe,

Si l'on me demande encore ce qu'entendoit le faint hommeJob (a), lorfqu'il difoit qu'il pleuroit fes malheurs fur le ton des Sirenes? Je crois qu'il ne vouloit parler que de certains oifeaux, qui, felon Pline (2), endormoient les paffans par la (z) Liv. 10 douceur de leurs chants; & comme ils habitoient dans les c. 49. déferts, le faint homme a voulu marquer par-là, l'affreuse folitude où il étoit réduit: ficut paffer folitarius in tecto.

On trouve des Interprétes de l'Ecriture-Sainte qui ont prétendu que le Prophete Ifaie (3) avoir auffi voulu parler des (3) Cap. 13. Sirenes, lorfqu'il prédit que la ville de Jerufalem feroit ha- verj. ultim. bitée par des monftres qui devoient avoir la partie fuperieure du corps semblable à une belle femme, & les pieds & la queue d'un âne: c'est du moins cette idée qui a donné lieu à l'ancien Architecte qui a bâti l'Eglife de Notre-Dame de Paris, de faire graver fur un des Portiques une Sirene avec le corps d'une femme, & les pieds & la queue de cet animal (4). (4) Nicaise Javoue que les Septante, & après eux faintJerôme, ont tra- loco cit. duit le mot Tanin', dont s'eft fervi le Prophete, par celui de Sirenes; mais il eft clair qu'Ifaïe n'a voulu marquer en cet endroit-là, que la folitude où devoit être réduite un jour la ville

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de Jerufalem, en prédifant que les monftres mêmes y fe roient leur fejour; & qu'il n'a fait aucune allusion à la fable des Sirenes, non plus que le Prophete Jeremie, aux Lamies (a) qui découvroient leur fein aux paffans pour les attirer & les dévorer, & qui étoient des efpeces de Dragons qui fe cachoient dans les buiffons, où ils dévoroient les paffans qui s'en approchoient.

(a) Philoftrate, in vita Apol. dit que les Lamies avoient le vifage comme une femme, & la gorge fort blanche qu'elles laiffoient voir aux paffants pour les attirer & les devorer. On croit que le nom de Lamie vient de Lamos, qui veut dire gofier, ou de Laniare, qui veut dire devarer,

ou plutôt du mot Arabe Lanama, qui felon Bochart, fignifie la même chofe. Il y a eu autrefois une Lamie, Maitreffe de Jupiter, dont Junon fit mourir les enfans: elle devint fi furieuse, qu'elle devoroit tous ceux qu'elle trouvoit.

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V.LS

LIVRE TROISIEME

DES DIEUX DE LA TERRE.

'ANCIEN Paganifme ne s'étoit pas contenté de remplir le Ciel & la Mer de Dieux & de Déeffes, il en avoit encore peuplé toute la Terre. La Terre elle-même étoit une Divinité, & toutes ses parties avoient leurs Dieux particuliers; ainfi les bois avoient leurs Dryades, leurs Hamadryades, leurs Satyres, &c. Les montagnes leurs Oréades; les bleds, les jardins, & les campagnes, une infinité de Dieux particuliers qui y préfidoient, & qui veilloient à la confervation des fruits; les maifons, leurs Lares & leurs Penates, & chacun de ces Dieux avoit fes fonctions marquées, fes honneurs & fon culte. Il eft vrai que la plûpart de ces Dieux n'étoient que des Etres physiques, que la crainte ou le befoin avoient fait inventer; on ne peut pas nier çependant qu'il n'y en ait eu quelques-uns qu'on peut regarder comme des Dieux animés: c'étoient des hommes illuftres, qui s'étoient dinftingués, ou dans la culture des champs & des jardins, ou par quelque invention utile au labourage, & qui pour cela avoient reçu les honneurs de l'Apotheofe.

Tome II.

Xx

Au refte, ces Dieux de la Terre & de la Campagne n'étoient pas tous du nombre de ceux qu'Ovide appelle la Populace des Dieux, & il y en avoit du premier ordre. Varron qui les invoque au commencement de fon Ouvrage de la vie Ruftique, dit qu'il y en avoit douze, qu'il appelle Confentes, differens de ces douze grands Dieux du confeil, dont nous avons parlé dans le premier Volume. D'abord Jupiter & la Terre, dont l'un étoit le pere & l'autre la mere; 20. Le Soleil & la Lune, aufquels on a de fi grands égards dans le temps des femailles, & qui influent beaucoup fur les fruits de la campagne & fur la récolte. 3°. Cerès & Bacchus, dont les productions font fi néceffaires à la vie. 4o. Robigus & Flora, qui empêchent que les fruits ne fe gâtent, & qui les font fleurir & meurir à propos. 5o. Minerve & Venus, dont l'une avoit foin des Oliviers, & l'autre des Jardins. 6o. Enfin l'eau, & Bonus-Eventus, parce que fans eau la terre demeure feiche & aride, & fans le bon fuccès, on ne fait point de récolte, ou on la fait mauvaise.

à

Virgile, dans le commencement de fes Georgiques, fait peu près une invocation pareille, & semble avoir copié Varron: « Aftres, qui éclairez l'Univers, dit-il, qui nous ra

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menez tour à tour les diverfes faifons de l'année : vous Bac» chus, vous Cerès, Divinités qui nous avez appris à préfe≫rer les moiffons aux glands de nos forêts, & à mêler avec l'eau de nos fleuves cette divine liqueur que vous avez in❤ventée : Faunes, Dryades, Dieux tutelaires des Campapagnes, venez ensemble à mon fecours, ce font vos bienfaits que je chante : & toi, Neptune, à qui la terre frappée de ton trident, offrit un cheval fougueux. Divin habitant » des bois, Aristée, dont les nombreux troupeaux paissent dans les gras pâturages de l'Ifle de Cée; Pan Dieux des Bergers, quittez vos forêts & vos montagnes, le Lycée & le Menale, dont le fejour fait toutes vos délices; venez, Dieu que Tegée revere, venez favorifer mon entreprise. » Minerve, qui fites fortir de la terre le premier Olivier ; Trip» toleme, qui fûtes l'inventeur de la charrue; & vous Sylvain, venez, appuyé fur le tronc d'un Cyprès qui fert à

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