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étoit arrivé, les Veftales fe transportoient dans la maison da fouverain Pontife, pour faire un Sacrifice à la Bonne Déeffe, Divinité mystérieufe dont les hommes ignoroient le nom, qui n'étoit connu que des femmes. Ce Sacrifice inftitué pour le falut & la profperité du peuple Romain, fe faifoit avec de grands préparatifs, & une étonnante circonfpection. On ornoit à grands frais le logis où la Fête fe célébroit, & comme on choififfoit la nuit pour cette cérémonie, une infinité de lumieres en éclairoient les appartemens. Le principal foin étoit de n'admettre à cette Fête que des femmes, d'en écar ter les hommes, auffi-bien que le maître même de la maison, fes enfans & ses efclaves d'un autre fexe que celui de la Déeffe qu'on honoroit. La fuperftition alloit jufqu'à condamner les fenêtres par où les paffans auroient pu appercevoir des myfteres fi fecrets, & jufqu'à tirer les rideaux fur les peintures qui repréfentoient des hommes, ou des animaux mâles.

Le même voile qui nous a caché les myfteres de Cerès Eléufine, nous a dérobé la connoiffance du culte fecret qui s'observoit pendant la Fête confacrée à la Bonne Déeffe. Il n'eft pas poffible de parler avec certitude du nom de cette Divinité, & des hommages qu'on lui rendoit. Les Hiftoriens même de Rome avouent fur ce point leur ignorance, & ce que quelques-uns en ont dit, ne paffe pas les bornes de la conjecture. Macrobe attribue le titre de Bonne Déeffe à Cybele, ou à la Terre, parce qu'étant la fource de tous les biens, elle fournit à nos befoins. Plutarque femble' la confondre avec Flore, autre forte de Divinité dont nous parlerons dans ce Livre. Varron prétend qu'elle fut femme de Faunus, & que fa conduite pleine de modeftie & de pudeur, lui merita les honneurs divins. Elle fut fi chaste, ajoute cet ancien Auteur, que jamais elle n'envisagea d'autre homme que fon mari. Pour cette raison les femmes feulement étoient admifes au Sacrifice folemnel qui se célébroit tous les ans pour norer fa memoire. La fuperftition du peuple alloit même juf qu'à fe perfuader que la Déeffe devoit frapper d'aveuglement tout homme qui auroit ofé porter fes regards fur les myfteres qui faifoient l'objet de la cérémonie.

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Le lieu où fe faifoit cette Fête nocturne étoit paré de fleurs & de différens feuillages; on en exceptoit le myrthe, foit parce que felon la Tradition fabuleufe rapportée par Plutarque, Faunus employa les branches de cet arbriffeau, pour punir l'intempérance de fa femme, qui avoit bû du vin contre l'ufage de ces temps-là; foit parce que le myrthe est confacré à Venus, Déeffe impudique, dont le culte ne s'accordoit point avec celui d'une Divinité reconnue par les Romains pour un modéle de la chafteté conjugale.

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Quoique la plupart des Modernes ayent cru que la célébration de ce Sacrifice myfterieux fût fixée dans la maison du fouverain Pontife, nous avons la preuve du contraire dans le difcours de Ciceron fur les Reponfes des Arufpices. Il dit le lieu prefcrit pour cette folemnité, ne pouvoit être ailleurs que dans le logis des premiers Magiftrats, qui par la prérogative attachée à leurs charges, avoient ce qu'il appelle Imperium, c'eft-à-dire une autorité abfolue, & le droit d'Aufpices. Or ce droit ne convenoit qu'aux Confuls & aux Préteurs : Dion confirme la même chofe (1), & Plutarque nous apprend (1) Liv. 57. qu'au temps de la conjuration de Catilina, les Dames Romai

nes célébrerent la Fête de la Bonne Déeffe chez Ciceron,

qui étoit alors Conful.

J'ai dit que cette Fête fe célébroit le premier jour de Mai, ce qui ne doit s'entendre que depuis la reformation du Calendrier faite par Jules Céfar, car auparavant elle tomboit dans le mois de Décembre, comme il eft aifé de le prouver par la deuxième Lettre de Ciceron à Atticus (2). Elle eft (2) Liv. 1. datée du premier jour de Janvier, & Ciceron y fait le recit de l'attentat de Clodius, comme d'une nouvelle toute recente. Les Calendriers qui fuivirent la correction Julienne, placerent cette Fête au premier jour de Mai.

Ajoutons que les Grecs avoient auffi leur Bonne Déeffe, & auffi peu connue que celle des Romains, par le foin qu'on avoit de cacher les infamies qui accompagnoient fes myste

res.

On ne dit rien ici de Clodius qui s'introduifit déguifé dans la maison de Cefar, dans le temps qu'on y célébroit la Fête Tome II.

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de la Bonne Déeffe, ce qui obligea ce Dictateur de répudier fa femme Pompéia, parce que cette avanture n'eft ignorée de perfonne.

Enfin la quatriéme Fête en l'honneur de la Terre, s'appelloit Opalia, d'Ops, un des noms de cette Déeffe. Anciennement elle étoit celebrée le quatorze des Calendes de Janvier, le même jour que celle des Saturnales, ce qui a fait croire à Suidas que cette derniere Fête étoit également celebrée en l'honneur de Saturne, & de la Mere des Dieux; en quoi il s'est certainement trompé, puifque lors de la reformation du Calendrier, les Saturnales pafferent au feize des Calendes de Janvier, pendant que les Opales continuerent d'être celebrées le quatorze.

On ne fçait pas trop fous quelle figure les Romains repréfentoient la Terre: il y a apparence que c'étoit fous celle d'une femme; mais on ignore quelles marques particulieres la diftinguoient des autres Déeffes. Car quoiqu'elle fût confondue fouvent avec Cybele, & les autres que nous avons nommées, elle avoit cependant une image & un culte particulier. Nous la voyons quelquefois représentée fous la figure d'un Globe.

(1) Liv. 3. €. 30.

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N raconte tant de chofes particulieres de cette Déeffe , que quoiqu'elle foit la même que la Terre, nous avons cru qu'elle meritoit un Chapitre particulier. Voici d'abord de quelle maniere Diodore de Sicile rapporte fon Hiftoire ( 1 ).

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Les Phrygiens difent qu'ils avoient autrefois un Roi » nommé Meon (@), qui regnoit auffi fur la Lydie. Ce Prince

(a) Ce Meon, que Xantus, dans De- vraisemblablemont le premier Roi de Lymys d'Halicarnaffe appelle Manes, a été | die, aussi dit-on qu'il étoit fils de Jupi

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époufa une femme nommée Dindyme (a) dont il eut une fille. Ne voulant pas l'élever, il l'expofa fur le mont Cy⚫ bele: cependant les Dieux permirent qu'elle fut allaitée par » des femelles de Leopards & d'autres animaux féroces. Quelques Bergeres du lieu l'ayant remarqué enleverent cette enfant, & l'appellerent Cybele, du nom du lieu où elles • l'avoient trouvée. Cette fille devenue grande furpaffoit fes compagnes, non-feulement par fa beauté & par fa fageffe, » mais auffi par fon efprit: car elle inventa une flûte compofée de plufieurs tuyaux, & ce fut elle qui la premiere fit - entrer dans les Choeurs, les tymbales & les tambours. Elle guériffoit par des purifications & par des airs de musique, les maladies des enfans & celles des troupeaux. Comme » elle avoit fauvé plufieurs enfans, & qu'elle en avoit sou⚫vent entre les bras, elle fut appellée d'un commun con» fentement, Mere de montagne. Le principal de fes amis - étoit Marfyas, Phrygien, homme recommandable par fon efprit & par fa tempérance (b).

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» Cybele étant parvenue en âge de puberté devint amoureufe d'un jeune homme du pays, appellé d'abord Atys & enfuite Papas. Ses parens la reconnurent dans le temps • qu'elle avoit eu un commerce fecret avec lui, & qu'elle en étoit devenue groffe. Ils la menerent fans en rien fçavoir » à la cour du Roi fon pere. Ce Prince la crut d'abord fille; » mais ayant découvert le contraire, il fit mourir Atys & les Bergeres qui avoient trouvé & nourri fa fille, & il voulut » qu'on laiffär leurs corps fans fépulture. Cybele transportée d'amour pour ce jeune homme, & affligée de l'avanture de fes nourrices, devint folle, & fe mit à courir le pays en pleurant & en battant du tambour. Marfyas ayant pitié de »fon infortune, à cause de l'amitié qu'il lui avoit autrefois

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ter; car dan le style des anciens Auteurs le commencement des temps hiftoriques de chaque nation eft décrit comme le commencement du genre humain, & lorfque la fucceffion des Rois n'eft plus connue, ils font habiter la terre par les Dieux, de quelqu'un defquels le premier Roi def

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portée, fe mit à la fuivre: ils arriverent ensemble chez Bac chus à Nyfe, & ils y trouverent Apollon.

» On dit qu'après que ce Dieu eut confacré dans l'antre de Bacchus fa lyre & les flûtes de Marfyas, il devint amou >> reux de Cybele & l'accompagna dans fes courfes jufqu'aux monts Hyperboréens. Vers ces temps-là les Phrygiens furent affligés par de cruelles maladies, & la terre ne produifoit plus aucun fruit. Ayant demandé à l'Oracle un » fecours à leurs maux, on dit qu'il leur ordonna d'enterrer le corps d'Atys, & d'honorer Cybele comme une Déeffe: mais comme le corps d'Atys avoit été entierement confumé par le temps, ils le représenterent par une figure devant » laquelle ils firent de grandes lamentations, & appaiferent » la colere de celui qu'ils avoient injuftement mis à mort; ce» remonie qu'ils ont confervée jufqu'à present. Ils inftituerent » à l'honneur de Cybele des Sacrifices annuels, fur les mê» mes Autels qu'elle avoit autrefois élevés: enfin ils lui bâti» rent un superbe Temple dans la ville de Peffinunte en Phrygie, & y établirent des Fêtes. »

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L'Auteur que je viens de copier, & qui compafoit fon Ouvrage des differents morceaux qu'il avoit recueillis, ou de fes lectures, ou dans fes voyages, après avoir parlé ainfi de Cybele dans le Livre troifiéme, en rapporte au Livre 5. une tradition tout-à-fait differente. Du commerce que Jupiter → avoit eu avec Electre l'une des filles d'Atlas, dit-il, naqui»rent Dardanus, Jafion & Harmonie: celle-ci ayant époufé Cadmus dans le temps que cherchant Europe il avoit paffé jufques dans la Samothrace, les Dieux vou» lurent bien affifter au feftin des nôces; plufieurs d'entre eux firent des préfens aux mariés, & les autres Dieux plaudirent tous à ce mariage par des acclamations de joye. Quant à Jafion on dit qu'il époufa Cybele, & qu'il eut de → cette Déeffe un fils nommé Corybas; mais peu après ayant ❤ été mis au rang des Dieux, Cybele & Corybas fe retire ent en Afie, où ils porterent les myfteres de la Mere des Dieux. Cybele, épousa enfuite le premier Olympus, qui la rendit mere d'Alée, à laquelle elle donna fon nom de Cybele,

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