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loc. cit.

ainfi que je le prouverai dans l'hiftoire des Dieux de l'Enfer, il n'eft pas étonnant que les Titans ayant été battus près de ce fleuve, on ait publié qu'ils avoient été précipités dans le fond du Tartare.

Comme Jupiter traita fon pere de la même maniere que* celui-ci avoit traité Urane, cette conduite donna lieu à une nouvelle fiction, qui eft la fuite de la premiere ; car les fables naissent à chaque pas dans l'hiftoire que j'explique. Je viens de dire que Jupiter, oubliant le fervice que lui avoient rendu les Titans fes oncles, & fes freres, dès qu'il fe vit le maître de l'Empire qu'il venoit d'ufurper, les jetta pieds & poings liés (1) Apoll. dans le fond du Tartare (1), ce qui engagea Saturne dans une nouvelle confpiration. Jupiter embarraffé, alla confulter l'Oracle de Themis, qui lui prédit qu'il remporteroit la victoire dès qu'il auroit délivré fes oncles. Pour exécuter cet Oracle, Jupiter tua de fa propre main Campé qui en avoit la garde, & leur rendit la liberté. Enfuite de quoi les Cyclopes qui étoient du nombre de ces prifonniers, firent prefent à leur Liberateur, de la foudre, du tonnerre, & des éclairs. Ils donnerent auffi un Cafque à Pluton, & un Trident à Neptune. Avec ces armes ces trois Princes gagnerent une derniere victoire contre les Titans rebelles, les précipiterent une feconde fois dans le Tartare, & de crainte qu'ils ne fuffent encore délivrés avec la même facilité qu'ils l'avoient été lorsque Jupiter tua Campé, il les mit fous la garde de ces terribles Geants qui étoient nommés les Hecatonchires, c'eftà-dire, qui avoient cent mains.

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Quoique ces nouvelles fictions défigurent l'hiftoire des Titans, elles ne contiennent rien cependant qui la détruise, ni qui ne foit aifé à expliquer. Ceux des Titans qui étoient les plus foibles fe retirerent en Italie ou en Efpagne, & puis quand on en avoit befoin, on les rappelloit dans la Grece; & c'étoit là les délivrer de prifon, les retirer du fond du Tartare. Jupiter qui vouloit les tenir éloignés pour toujours, établit de bonnes troupes pour garder les paffages ; & voilà ces. Geants à cent mains, c'est-à-dire, des Chefs qui avoient chacun cinquante hommes fous leurs ordres, pour empêcher

que ces Titans, fi fouvent rebelles, ne puffent rien entreprendre déformais contre Jupiter, maître abfolu de l'Empire de fon pere & de fon ayeul. Pour cette Campé, car fon nom eft feminin dans Apollodore, que tua Jupiter avant de délivrer fes oncles & fes freres, c'eft une énigme pour moi, & j'ai été furpris que Thomas Galle, qui a enrichi le texte de cet Auteur d'excellentes notes, n'en ait point fait fur ce fujet.

On ajoutoit à la Fable que je viens d'expliquer, que Neptune tenoit les Titans enfermés dans leur prifon, & les empêchoit d'en fortir; & je crois qu'il ont voulu dire par là que comme ce Prince étoit l'Amiral de la Flotte de Jupiter, & qu'il étoit maître des Ports d'Efpagne, il tenoit fermés tous les paffages par où les Titans auroient pû s'échaper.

Quel eft le ble qui dit que c'étoit Neptuchoit les Titans de fortir

fens de la fa

ne qui empê

du Tartare où ils étoient dé

tenus prifon

niers.

(1) Liv. 2.

On m'objectera fans doute, que Neptune, ainfi que je l'ai dit après Herodote (1), étoit Libyen d'origine; que fon culte avoit été porté d'Afrique dans la Grece, & que les Libyens le connoiffoient & l'honoroient de tout temps; & qu'ainsi il n'appartenoit en aucune maniere à la famille des Titans, originaires de l'Afie; mais ne pourroit-on pas répondre, 1o. Que les Titans furent eux-mêmes très - puiffans dans l'Afrique, dont ils poffederent les côtes Occidentales, comme le dit Diodore de Sicile (2), & qu'il n'y a aucune contradiction à (2) L. dire qu'il étoit lui-même de cette augufte race, ainsi qu'Atlas qui fe rendit fi célébre dans le même pays? Ne peut-on pas penfer que Neptune s'y diftingua par fes victoires contre les Titans qui s'y étoient refugiés, & que peut-être il y mourut & fut mis au nombre des Dieux, & honoré d'un culte particulier fur toutes ces côtes, d'où ce culte paffa enfuite dans la Grece? Car enfin l'hiftoire des Titans eft fort ancienne & précéde de beaucoup les temps dont parle Herodote c'eft-à-dire, celui des Pelafges qui allerent confulter l'Oracle de Dodone (a). Les autres Titans, comme Saturne & Jupiter furent déifiés dans la Grece même, ou dans l'Ifle de Crete: Neptune le fut dans la Libye, d'où fon culte passa dans la Grece.

(a) Voyez Herodote Theog. & Lycophron dans fa Caffandre.

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Mais, 20. que pourroit-on m'oppofer quand j'avancerois qu'outre ce Neptune Libyen dont parle Herodote, il y en eut un fecond du fang des Titans, qui commandoit la Flotte de Jupiter lorfque ce Prince pourfuivit les Titans rebelles jufqu'au fond de l'Espagne, où ils étoient allés' fe cacher? N'y a-t-il pas eu plufieurs Jupiters, plufieurs Apollons, plu fieurs Mercures, &c. Ne peut-il pas y avoir eu plus d'un Neptune; & le paffage d'Herodote, qu'on fait tant valoir, eft-il exclufif?

Quoiqu'il en foit, j'ai dit en parlant de la maniere dont Rhea avoit fauvé Jupiter, que les Poëtes avoient caché cet événement fous la fable de cette pierre myfterieuse que cette Princeffe avoit présentée, emmaillotée comme un enfant, à Saturne qui l'avoit avalée. Apollodore qui rapporte cette fic(1) Liv. 1. tion (1), dit que Jupiter devenu grand, avoit pris pour compagne Metis, fille de l'Ocean, laquelle avoit donné à Saturne un breuvage qui avoit tant de force, qu'il ne l'eut pas plutôt pris, qu'il rejetta d'abord la pierre dont nous venons de parler, puis tous les autres enfans qu'il avoit réellement dévorés, & qui lui furent d'un grand fecours dans la guerrequ'il eut à foutenir contre Jupiter. Dirons-nous avec quelques Sçavans, , que cette fable myftérieufe n'eft fondée que fur ce que Saturne perdoit fes enfans dans leur bas âge, & que le temps, marqué par fon nom Chronos, les dévoroit les dévoroit, pour ainsi dire, à mesure qu'ils naiffoient? Mais fi cette explication avoit lieu, comment feroit-il arrivé que ces mêmes enfans l'euffent fi bien fervi, dans la guerre que fon fils lui avoit déNot clarée? Difons plutôt avec M. le Clerc (2), dont les conjectures font toujours fi ingénieufes, que cette fiction avoit pour fondement la coutume qu'avoit Saturne d'éloigner, où de tenir enfermés ses enfans, de peur qu'ils ne fe revoltassent un jour contre lui, comme il s'étoit lui-même revolté contre fon pere; coutume fort ancienne, & obfervée encore aujourd'hui parmi les Princes Ottomans, & par d'autres encore. L'Auteur que je viens de citer, pour rendre plus probable cette explication, dit que le même mot Phénicien, Balah, peut également fignifier enfermer, ou dévorer, & qu'Hefiode

in Hefiod.

qui écrivoit cette Hiftoire fur des Memoires Pheniciens avoit fuivi la fignification qui répandoit du merveilleux fur un fait qui n'avoit rien de fort extraordinaire: mais comme ce Poëte n'étoit pas extrémement exact, lorfqu'il parle d'Urane qui obfervoit la même coutume à l'égard de les enfans, il dit fans équivoque qu'il les tenoit enfermés, & qu'il ne les laiffoit pas paroître (a).

Saturne ava

Pour ce qui regarde cette pierre que Saturne avala, c'eft Que fignifie encore une nouvelle fiction, fondée fur une équivoque du la pierre que mot Elben, qui peut fignifier également une pierre ou un en- la. fant. Ainfi au lieu de dire que Rhea fuppofa un enfant à la place de Jupiter, que Saturne fit mettre en prifon avec ceux de fes enfans qu'il tenoit fi étroitement enfermés, on a mieux、 aimé fuppofer que c'étoit une véritable pierre que Saturne

avoit dévorée.

(2) Chan

Au refte, cette pierre devint très - célébre, & fut adorée comme une Divinité, fi nous en croyons Lactance (b). Le Dieu Terme, dit-il, que l'on adoroit fous la figure d'une borne, n'étoit-il pas cette pierre myfterieufe que Saturne avoit avalee? Les Latins fuivant le Grammairien Prifcien (1), la nommoient Abadır, (1) Au mot & les Grecs, fi nous en croyons Hefychius, Batylos, déno- Baituños. minations dérivées certainement de la langue Hebraïque ou Phenicienne, comme le remarque le fçavant Bochart (2). Je devrois m'étendre ici fur la pierre appellée Bætile; mais 1. 1. que pourrois-je ajouter à la fçavante Differtation de M. Falconnet, qui eft imprimée dans le VI. Volume des Memoires de l'Académie des Belles Lettres (3), & à ce qu'a dit fur (3) P. 513., le même fujet M. Fourmont (4), dans fes Réflexions critiques? (4) T. 1. Je me contenterai donc, en faveur de ceux qui n'aiment pas p. 162. les longues difcuffions, de dire que les Bætyles étoient des pierres qu'on croyoit animées, & que quelques Fanatiques confultoient comme des Oracles; des efpeces de Theraphims, comme on peut le juger fur ce que nous avons dit de

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(1) Chan. 1. 2. c. 2.

ces Idoles, en parlant des Divinités connues par les Livres de l'Ecriture Sainte. Ces pierres étoient rondes, & d'une médiocre grandeur, & il étoit facile de les porter fur foi, ou pendues au cou, ou de quelque autre maniere.

Ifidore, ainfi qu'on le voit dans fa vie, écrite par Damafeius, difoit qu'il y avoit des Bætyles de différentes fortes; que les uns étoient confacrés à Saturne, d'autres à Jupiter, ou au Soleil, &c (a). Leur origine étoit très-ancienne, puifque, fi nous en croyons Sanchoniathon, c'étoit Urane qui les avoit inventés. Le Ciel, dit cet ancien Auteur, inventa les Batyles, fabriqua des pierres animées. Bochart (1) qui a bien vû que ces pierres animées étoient une pure fiction, croit qu'une équivoque y a donné lieu, & que pour des pieres oinctes, comme l'avoit écrit l'Auteur Phenicien, fon Traducteur Philon mit des pierres animées ; & fur ce principe, il croit que la véritable origine des Bætyles vient de cette pierre, fur laquelle Jacob ayant repofé la nuit qu'il eut la vifion dont parle l'Ecriture, il l'oignit d'huile à fon réveil; & depuis ce temps-là ce lieu fut appellé Bethel, ou la maison de Dieu. Quoique les deux Académiciens que j'ai nommés au commencement de cet article, rejettent la conjecture de Bo(2) Prep. chart, il a cependant été fuivi par M. Huet (2), par le Pere Evang. Prop. Thomaffin (3), & par d'autres encore.

(3) Lecture

Part.1.1.c.12.

Les Anciens qui ont parlé des Bætyles, comme Prifcien, des Poetes, 2. l'Auteur de l'Etymologicon, & Hefychius, n'en donnent gueres d'autre notion, que comine de la pierre que Saturne avala à la place de Jupiter ; & c'eft fans doute ce qui a donné lieu au proverbe contre les gens voraces: Vous avaleriez mê(4) Voyez me un Batyle (4). Les Grecs étoient donc perfuadés que Erafme A- c'étoit un Bætyle que Saturne avoit avalé; & comme s'il s'étoit agi dans cette fiction d'une hiftoire férieufe, dont les moindres circonftances devoient être confervées avec foin, les Mythologues n'en ont laiffé échaper aucune. Le Scholiafte (5) Sur le d'Hefiode (5), rapporte fur l'autorité d'Agathoclès, auteur vers 485.de fa Theog. Babylonien, que , que Rhea avoit pris cette pierre dans l'Ile de

dag. chil. 4.

cent. 2.

(a) Voyez l'Extrait de cette vie dans Photius.

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