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(1) Faft. I. 4.

CHAPITRE VI.

Hiftoire de Flore, de Pomone, de Vertumne & de Priape,
Dieux des Jardins & des Vergers.

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nous en croyons Lactance, Flore étoit une femme de mauvaise vie, qui ayant gagné beaucoup de bien, fit le Peuple Romain fon heritier, & laiffa une fomme confiderable pour faire célebrer tous les ans le jour de fa naiffance, par une fête folemnelle & des Jeux qui de fon nom furent appellés Floraux. Mais, continue ce fçavant Pere de l'Eglife, la honte tant de la fucceffion que d'une telle fête, porta le Senat à mettre cette Courtisane au nombre des Dieux, & à feindre qu'elle étoit la Déeffe des fleurs. Ovide (1), pour donner un air de verité à cette fable a dit que Flore étoit une Nymphe appellée Chloris, qui étant mariée avec le Zéphyre, avoit reçu de fon époux pour fon douaire, un Empire fur toutes les fleurs.

(2) Diction- Quelques Critiques, entre lefquels font Voffius & Bayle(2), naire crit. à l'art. de Flore, ne trouvant rien de femblable dans les Anciens, fe font fort élevés contre Lactance, & le dernier a ofé dire qu'il avoit emprunté le fecours du menfonge; & qu'aucun autre Pere de l'Eglife, ni aucun Ancien n'avoient rien dit de femblable. Mais s'il eft vrai que Minutius Felix, Arnobe, & faint Auguftin, parmi les Peres de l'Eglife; Plutarque, Macrobe & un ancien Scholiafte de Juvenal parmi les Auteurs profanes, parlent à peu-près de même que Lactance, la Critique de ces deux Cenfeurs tombera d'elle-même. Or Minutius Felix (a) dit qu'Acca Larentia & Flore étoient deux célebres Courtifanes que les Romains avoient élevées au nombre des Dieux. Arnobe donne à Flore la même épithete de (3) Adverf. Courtisane (3): pour ce qui regarde faint Augustin, que (a) Acca Larentia & Flora meretrices propudiata, inter morbos Romanorum, & Deos computanda. Dial. cui nomen Octav.

Gentes. liv. 3.

peut-on répondre à la queftion qu'il fait aux Payens, fçavoir, Qu'étoit-ce donc que cette mere Flore, quelle Déeffe étoit - ce puifqu'elle ne tire toute fa célébrité que de fes infamies? finon que c'étoit une femme débauchée, telle que la représente Lactance (1). Le même faint Docteur obferve en un autre endroit (2), que les impudicités qui fe commettoient aux Jeux Floraux, étoient une expreffion de la conduite de celle qui y avoit donné lieu.

Plutarque raconte, quoique avec quelque difference, la même Hiftoire que Lactance. Un Prêtre d'Hercule, dit - il, s'avifa un jour de jouer avec le Heros, à condition que ce lui qui gagneroit, regaleroit l'autre : après cette convention il jetra les dez pour lui, & enfuite pour Hercule qui gagna. Pour fatisfaire à fa promeffe, il fit preparer un fuperbe feftin; & fuivant la déteftable coutume de ce temps-là, il fit conduire dans le Temple une des plus belles femmes de la ville, nommée Laurentia, pour y paffer la nuit. Cet Auteur ajoute qu'elle plut au Dieu, qui lui apparut, & qui lui dit que la premiere perfonne qu'elle trouveroit au fortir du Temple, la rendroit heureuse, & la combleroit de biens. Tartutius, homme riche & puiffant, fut celui qu'elle rencontra le premier, & qui en devint fi éperdument amoureux, qu'étant mort quelque temps après, il lui laiffa d'immenfes richeffes : elle les augmenta encore beaucoup par l'infame métier qu'elle exerça pendant plusieurs années; & lorfqu'elle fe vit fur le point de mourir, elle nomma héritier le Senat Romain, qui en témoigna beaucoup de reconnoiffance : fon nom fut écrit dans les Faftes, & on inftitua des Fêtes en fon honneur.

de

(1) Lib. 1. de

Conft. Evang.
c. 35.

Macrobe, dans fes Saturnales, raconte a peu-près la même avanture, & dit qu'elle arriva, fous le regne d'Ancus Martius. L'ancien Scholiafte de Juvenal, qui vivoit peu temps après Conftantin, dit en parlant des Jeux Floraux qu'ils avoient été inftitués par Flora, & que ces Jeux étoient mêlés d'obscenités. (a). Qu'on fe fie maintenant aux décisions d'un Critique auffi hardi que Bayle, & fouvent auffi mal-fondé.

(a) Hi ludi à Flora meretrice inftituti funt, in honorem Flora Dea qua Floribus praeft: ludi funt impudici. Ad Satyr. 6. verf. 249.

(2) Lib. 2. de

Civit. Dei.

C. 27.

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(1) De Ling. Latin. 1. 4.

Il est vrai cependant que Varron (1) dit que le culte de Flore fut inftitué à Rome par Tatius collegue de Romulus, & dès-là il eft certain qu'elle étoit honorée chez les Sabins avant la fondation de Rome, & par confequent quelques fiécles avant le temps dont parle Lactance. Il eft vrai encore (2) Liv. 36. que Pline (2) parle d'une Statue de cette Déeffe, de la main de Praxitele, ce qui prouve que fon culte étoit célebre dans la Grece, d'où il étoit paffé dans l'Italie, long-temps avant Romulus, qui l'adopta lorfqu'il s'affocia avec Tatius & les (3) Liv. 43. Sabins. Enfin Juftin nous apprend (3) que les Phocéens qui bâtirent Marseille, honoroient la même, Déeffe.

C. 4.

Pour concilier des opinions fi contraires, ne peut-on pas fuppofer qu'à la vérité Flore étoit plus ancienne qu'Acca Laurentia; mais que celle-ci ayant inftitué le peuple Romain fon héritier, on la confondit avec la Déeffe Flore. En effet, il étoit ordinaire de joindre fouvent des perfonnages modernes dont on faifoit l'Apotheofe, à des Dieux plus anciens, & de mêler leur culte. C'eft ainsi, pour ne pas me fervir d'autres exemples, que Romulus fut confondu avec Quirinus, honoré long temps avant lui par les Sabins.

Quoiqu'il en foit, comme le nom de Laurentia rappelloit toujours fes infamies, on lui donna celui de Flore; mais ce changement n'abolit pas le fouvenir des débauches de cette Courtifane, qu'on avoit foin même de renouveller dans les Jeux Floraux, où l'on commettoit une infinité d'infamies dignes de la Déeffe en l'honneur de qui ils avoient été inftitués.

N'oublions pas de dire que quelques Auteurs confondent cette Laurentia avec celle qui nourrit Remus & Romulus; mais on doit les diftinguer. Il eft vrai que l'une & l'autre furent honorées d'une fêre; mais cette fête étoit célebrée en des temps differents. Celle de la Nourrice de Remus & de Romulus, arrivoit au mois de Decembre; celle de la Courtisane, au mois d'Avril. Dans celle ci on joignoit des Jeux à la fête, & ces Jeux furent nommés le Jeux Floraux ; on ne dit rien de femblable de l'autre ; la Courtifane portoit le nom de Tarentia, ou Tarrutia; la Nourrice des deux Princes n'avoit point d'autre nom que celui d'Acca Laurentia.

Les Jeux Floraux, fi nous en croyons Pline, furent inftitués l'an 513. ou $14. fuivant la correction du Pere Hardouin; mais on doit préfumer que cet Hiftorien parle du rétablissement de ces Jeux, interrompus pendant plufieurs années par des raifons que nous ignorons, puifqu'il eft conftant, comme on l'a dit au commencement de cet article, fur l'autorité de Varron, qu'ils avoient commencé au temps de Romulus. Ceux qui prétendent qu'il faut prendre à la lettre ce que dit Pline, s'autorifent d'une Médaille d'argent de la famille Servilia, fur laquelle on lit cette legende: Floralia primus, comme fi le fens étoit, Servilius a le premier celebré les Jeux Floraux, puifqu'en fuppofant l'interruption dont on vient de parler, le fens de la legende eft naturel, comme fi elle portoit effectivement qu'après une longue interruption, Servilius fut le premier qui ordonna la celebration des Jeux Floraux dans le temps qu'il étoit Edile.

Nous apprenons des Anciens que même après ce réta blissement on ne les célebroit pas régulierement tous les ans, mais feulement lorfque l'intemperie de l'air annonçoit ou faifoit craindre la ftérilité, ou que les Livres de Sibylles l'ordonnoient; car on ne manquoit pas de les confulter dans ces occasions. Ce ne fut qu'en l'année de Rome 580. qu'on commença à les célebrer regulierement, jufqu'au temps où ils furent entierement profcrits. Au refte les infamies qui fe commettoient à la celebration de ces Jeux étoient fi criantes', que Caton qui voulut y affifter, se retira avant qu'on en eût donné le fpectacle au peuple, qui loua hautement fa retenue. Voici de quelle maniere Valere Maxime & le Philofophe Seneque racontent cette Hiftoire. Caton étant allé à la célébration des Jeux Floraux, le peuple plein de refpect & de confideration pour un homme fi grave & fi fevere, n'ofa demander, felon la coutume, que les femmes fe proftituaffent publiquement. Favonius fon ami l'ayant averti des égards qu'on avoit pour lui, il prit le parti de fe retirer, pour ne point troubler la fête, & ne point fouiller en même-temps fes regards par la vûe des défordres qui fe commettoient à ce fpectacle. Le peuple qui s'apperçut de cette complaifance,

Aaa iij

Pomone & Vertumne.

(1) Ovid.

Met. l. 14.

(2) L. cit.

donna mille louanges à Caton. Mais ce fage Romain n'auroit-il pas mieux fait, ou de ne point paroître à ces Jeux, ou d'y demeurer, puifqu'il y étoit, pour en réprimer la licence ? C'eft à-peu-près ainfi qu'en penfoit Martial. » Pourquoi, dit-il, en apoftrophant Caton, paroiffiez-vous aux Jeux, puifque vous en connoiffiez la licence? N'étiez-vous » venu au Théâtre que pour en fortir (a)?

Pomone, fi nous en croyons les Poëtes Latins, étoit une belle Nymphe, dont tous les Dieux de la Campagne difputoient la conquête. Son adresse à cultiver les jardins, fur-tout les arbres fruitiers, autant que fa beauté & fes agrémens, leur avoient infpiré de tendres fentimens pour elle. Vertumne fur-tout (1) cherchoit à lui plaire, & pour avoir occasion de la voir fouvent, il prenoit differentes figures.

Enfin s'étant métamorphofé un jour en une vieille femme; il trouva le moyen de lier converfation avec elle; & après lui avoir donné mille louanges fur fes charmes & fur fes talens pour la vie champêtre, il lui raconta tant d'avantures funeftes à ceux qui comme elle fe refufoient à la tendreffe, & marquoient du mépris pour leurs Amans, qu'enfin il la rendit fenfible, & devint fon époux.

Il y a bien de l'apparence 1°. que cette fiction qu'Ovide raconte fi au long (2), n'est qu'un pur Roman fans aucun fondement: 2°. que cette fable eft née dans le pays Latin, fans qu'on en trouve aucune trace chez les Grecs ni chez les autres peuples. Cependant je ne dois pas diffimuler qu'il y a des Auteurs qui croyent qu'on peut la rapporter à l'hiftoire de quelque perfonne du fexe qui aima la vie champêtre, & s'appliqua fur-tout à la culture des arbres fruitiers, ce qui lui merita dans la fuite les honneurs divins; car il fuffifoit dans ces fiécles de tenebres, pour parvenir au nombre des Dieux, d'avoir excellé dans quelque art utile aux hommes. Elle y participa en effet,& elle eut à Rome des Temples & des Autels. Son Prêtre portoit le nom de Flamen Pomonalis, & lui offroit des facrifices pour la confervation des fruits de la (a) Cur in Theatrum Cato fevere venifti?

An ideo tantum veneras ut exires?

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