Imágenes de páginas
PDF
EPUB

qu'une yvreffe myfterieufe, qui fignifioit qu'il étoit profondement enfeveli dans fes fpéculations. Theopompe de l'Inle de Chio, lui fait tenir un difcours à Midas, qui eft rapporté, (1)Var. Hift. 1.3. c. 18. par Elien (1), fur une Ifle qui eft fituée au-delà de toutes les mers, où il y avoit entre autres deux villes, dont l'une étoit nommée la ville pacifique, l'autre la ville guerriere. Les habitans de la premiere, fans chagrin & fans inquiétude, couloient des jours heureux, & vivoient plufieurs fiécles ; pendant que ceux de la feconde, toujours en armes contre leurs voifins,mouroient prefque tous à la guerre. On ne fçait de quel pays Silene vouloit parler: étoit-ce des Ifles fortunées, qu'on croit être les Canaries, ou de la célebre Jfle Atlantique fur laquelle Platon a tant discouru; ou enfin des Hyperboréens qui felon les Anciens, menoient une vie femblable à celle des habitans de la ville pacifique ? C'eft ce que je ne déciderai point (a).

Ciceron, Plutarque, & bien d'autres encore, avoient conçu de Silene la même idée, & l'ont toujours regardé comme un homme très-habile, & un grand Philofophe. Virgile lui fait débiter, dans fa fixiéme Eglogue, les principes de la Pholofophie des Epicuriens, fur la formation du monde, & des êtres qui le compofent: Namque canebat uti, &c.

L'avanture au refte qui livra Silene à Midas eft finguliere, & a donné lieu à bien des fables que je dois expliquer. Ce Prince informé des rares talens de Silene, fouhaitoit depuis long-temps de s'entretenir avec lui. Bacchus qui avoit abandonné la Thrace, où les Bacchantes venoient de déchirer le malheureux Penthée, étoit venu dans la Lydie aux environs du mont Tmolus, où il croiffoit d'excellent vin. Silene qui rodoit dans le pays, monté fur fon âne, s'arrêtoit souvent près d'une fontaine pour cuver fon vin, & fe repofer de fes fatigues (a). L'occafion parut favorable à Midas: il fit jetter du vin dans cette fontaine, & mit quelques payfans en em- . bufcade. Silene but un jour de ce vin avec excès, & ces paysans qui le virent yvre, fe jetterent fur lui, le lierent avec

(Voyez fur les Hyperboréens, la Differtation de M. l'Abbé Gedouya, & ung autre de moi. Mem. de l'Acad. des Belles-Lettres, T. 7.

des guirlandes de fleurs, & le menerent ainfi au Roi. Ce Prince qui étoit lui-même initié aux mysteres de Bacchus, reçut Silene avec de grandes marques de refpect; & après avoir célebré avec lui les Orgies pendant dix jours & dix nuits confécutives, & l'avoir entendu difcourir fur plufieurs matieres, le ramena à Bacchus. Ce Dieu charmé de revoir fon pere nourricier, dont l'abfence lui avoit caufé beaucoup d'inquiétude, ordonna à Midas de lui demander tout ce qu'il voudroit. Midas qui étoit extrémement avare, fouhaita de pouvoir convertir en or tout ce qu'il toucheroit; ce qui lui fut accordé. Mais le prefent devint bien-tôt funefte à celui qui l'avoit fouhaité avec tant d'empreflement. D'abord les expériences qu'il fit le charmerent: il toucha un rameau, des pierres, des épics, tout devint or ; mais auffi, quand il fut prêt à fe mettre à table, & qu'il voulut fe laver les mains, l'eau reçut le même changement: enfin le pain le vin, les viandes qu'on lui fervoit, devenoient de l'or à mefure qu'il y touchoit ; & il étoit prêt à mourir de faim au milieu de tant de richeffes, lorfque s'étant adreffé au même Dieu pour le prier de le délivrer d'un pouvoir fi incommode, Bacchus lui ordonna de laver fes mains dans le Pactole; ce qu'il fit; & perdant cette fatale vertu, il la communiqua au fleuve, qui depuis roule un fable d'or.

Ceft ainfi que les Grecs fe plaifoient à traveftir l'Hiftoire en fables ingenieuses. Je dis l'Hiftoire, car c'en eft une véritable, & quoique j'aye déja parlé affez au long de Midas, dans l'Hiftoire d'Apollon, la liaison qu'elle a avec celle de Silene m'oblige à y revenir, & cela d'autant plus volontiers que j'en avois laiffé plufieurs circonftances à expliquer, ou que j'explique ici les mêmes, d'une maniere qui m'a paru plus fatisfaifante. Midas, fuivant tous les Anciens, étoit Roi de cette partie de la Lydie & de la Phrygie, où coule le Pac(1) Liv. 1. tole. Herodote (1) qui dit qu'il regna après fon pere Gordius, ajoute qu'il envoya de grands prefens au Temple de Delphes, & entre autres une chaîne d'or d'un prix inefti(1) Liv. 8. mable. Ce même Auteur parle ailleurs (2) des Jardins de ce Roi, où il croiffoit fans culture des rofes d'une grande

C. 14.

C. 138.

1

beauté, & c'étoit dans ces Jardins mêmes, qu'on croyoit qu'avoit été pris Silene. Midas œconome jufqu'à l'avarice, regnoit fur un pays fort riche, & retiroit de la vente de fes grains, de fes vins, & de fes beftiaux, des fommes confiderables: voilà fans doute ce qui fit dire qu'il convertiffoitt en or tout ce qu'il touchoit, jufqu'au pain, au vin, aux viandes qu'on lui fervoit. Son avarice changea d'objet, & ayant appris que le Pactole rouloit des grains d'or, il abandonna le foin de la campagne & employa fes Sujets à retirer l'or de ce Fleuve, ce qui lui procura de nouvelles richeffses: c'est là encore le fondement de la fiction qui porte qu'il avoit communiqué au Pactole fa vertu aurifique.

Au milieu des foins que demandoient tant de travaux differents, Midas n'abandonnoit pas les affaires de la Religion, & il fit tant de changemens dans celle des Lydiens, qu'on le regarda, au rapport de Juftin (1), comme un fecond Numa. Il fe fervoit même, dit-on, pour faire recevoir ces changemens, du ftratagême qui fut dans la fuite fi utile au Roi de Rome: car comme celui-ci publioit qu'il apprenoit de la Nymphe Egerie tout ce qu'il faifoit en matiere de Religion, Midas difoit de même que c'étoit Silene qui l'inftruifoit dans les nouveaux myfteres qu'il avoit deffein d'établir, principalement dans ceux des Orgies; car ce Prince qui poffedoit d'excellens vignobles, étoit très-dévot à Bacchus. Quelques Auteurs même (a), penfent qu'ayant pris près de la fontaine dont on a parlé, quelque Satyre, c'est-à-dire, quelque animal reffemblant au Singe, il avoit affûré que c'étoit Silene, le nourricier & le compagnon de Bacchus, qu'il interrogeoit fur tous fes deffeins, à peu près comme on a dit que Sertorius interrogeoit fa Biche privée; mais, pour parler plus jufte, c'étoit véritablement Silene lui-même qui lui communiquoit une partie de fes lumieres, puifqu'il vivoit en même temps que lui, & étoit fon voifin, comme on le diradans la fuite. Comme Midas avoit par tout des efpions, qu'il interrogeoit & écoutoit avec attention, on difoit qu'il entendoit de (a) Voyez les Notes d'Abraham Gronovius far le Chap. XVIII. du troifiéme Livre d'Elien.

Ddd iij

(1) Liv.2.c.7.

i.

(1) Hift. d'Apollon.

loin, qu'il avoit de longues oreilles, comme on dit d'un Roi puiffant, qu'il a les bras longs; & voilà encore l'origine de la fable qui lui donna des oreilles d'âne; explication plus na turelle encore que celle que nous avons déja donnée à la mê me fiction (1).

On doit conclure de tout ce que je viens de dire que Mi das étoit un Prince puiffant, & que Silene dont il fe fervoit utilement, étoit un profond Philofophe qui l'aidoit de fes confeils dans l'établiffement de fes Loix & de fes Céremo nies religieufes. Peut-être auffi qu'on n'a dit qu'il étoit un peu yvrogne, ce qui l'a fait paffer pour le pere nourricier de Bacchus & fon compagnon inféparable, que parce que c'é toit lui qui avoit fait recevoir dans la Lydie les Orgies & les autres Fêtes de ce Dieu. Comme je fuis en train d'expliquer les Fables qu'on a débitées à son occafion, je crois voir le dénouement de celle qui le faifoit toujours aller fur un âne, dans ce qu'a dit Diogene Laerce, lorfque comparant Arif tote à Silene, il dit que le premier étoit toujours à cheval, & que le fecond n'avoit qu'un âne pour monture: ce qui veut dire fans doute que Silene ne faifoit dans la Philofophie que des progrès lents, mais fûrs; au lieu que l'autre alloit au grand trot, & bronchoit quelquefois. Celle des oreilles d'â(2) Liv. 2. ne, felon Tertullien (2), nous apprend qu'il étoit doué (3) de Idol. d'une grande intelligence. Enfin Voffius (3) explique celle de la Fontaine de vin, dont nous avons parlé, en difant qu'el le fignifie feulement l'envie qu'avoit Midas de poffeder Sile ne, qui felon lui étoit Roi de Carie, & devint en effet grand ami de Midas.

de Anima.

1.2.

Quelques Auteurs, au refte, confondent Silene avec Mar fyas, ce celebre Joueur de flûte dont on a parlé dans l'Hiftoire d'Apollon, qui le fit écorcher vif. Ce qui peut donner de la vrai-femblance à cette opinion, c'eft que Marfyas eft représenté comme un Satyre, ainfi qu'on peut le voir dans fes Images (4) or les Silenes étoient de vieux Saryres, comexpl. T. 1. me on vient de le dire; mais ce qui acheve de déterminer en faveur de ce fentiment, c'eft qu'Herodote parlant de Mar(5) L.7.c.26. (yas, l'appelle Silene.(5) Dès-là les temps conviennent à mer

(4) Antiq.

veille, & il n'eft plus étonnant que Midas ait fait fi grand cas
'de lui, puifque ce fut pour avoir jugé en fa faveur contre
Apollon, que ce Dieu lui donna des orellles d'âne.

Après cela je ne rapporterai ce qu'a dit Bochart au sujet
'de Silene, que comme une de ces conjectures fçavantes dont
ceux qui poffedent les Langues, veulent à tout propos faire
parade. Les Anciens, dit-il, par la Fable de Silene, nous
font juger qu'ils avoient quelque connoiffance du Meffie,
puifque le nom de ce Satyre vient de Silo, que prefque tous
les Interpretes entendent de Jefus-Chrift (1).

(1) Chan

(2) In Eliaci

Silene fut honoré après fa mort comme un Demi-Dieu, & L. c. 18.
recevoit les honneurs dûs aux Heros, indépendamment mê-
me de Bacchus. C'eft la remarque de Paufanias (2), qui par-
lant du Temple que Silene avoit dans l'Elide, s'exprime ainsi:
Là vous verrez encore un Temple de Silene, mais un Temple qui
lui eft propre & particulier, fans que Bacchus en partage l'hon-

neur.

[ocr errors]

J

[merged small][merged small][ocr errors][merged small]

E dois finir l'Hiftoire des Dieux de la Terre par celle des Lares & des Penates, qui étoient les gardiens & les protecteurs des maisons & des biens de la campagne.

On a dit dans le premier Volume (3) que chaque homme (2) Liv.

& chaque femme avoit fon Genie particulier: il y en avoit

auffi pour chaque maison, pour chaque ville, & en general
pour toute la campagne ; & pendant que ceux des hommes
& des femmes retenoient le nom de Genies, ceux des mai-
fons étoient appellés Lares, & ceux des villes & des lieux
particuliers, Penates, quoiqu'il foit vrai cependant, que
fouvent on confondoit ces derniers les uns avec les au-

tres.

Comme les Dieux du Paganisme, de quelqu'ordre qu'ils

[ocr errors]
« AnteriorContinuar »