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C. 36.

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Ce que penfoient les Egyptiens fur l'état des ames
après la mort.

Il y a quelque point où la Theologie des Payens s'écarte moins des lumieres naturelles, c'eft celui qui regarde l'état des ames après la mort, & la juftice qui leur étoit rendue en l'autre Monde, puifqu'il fuppofoit la connoiffance de l'immortalité de l'ame.

Il est vrai que cet article avoit été alteré par des fables fi ridicules & fi abfurdes, que les enfans même n'y ajoutoient aucune foi, fi nous en croyons Juvenal; mais toujours eftil également vrai que le fond en étoit bon, & qu'il pouvoit fervir de frein à la licence & à la cupidité.

Il est certain d'abord, que cette partie de la croyance des Grecs leur étoit venue d'Egypte; & pour le prouver, je vais rapporter ce que Diodore de Sicile nous apprend des coutumes égyptiennes à cet égard, & le comparer enfuite avec ce qu'on trouve dans les Poëtes les plus anciens, & dans les ufages pratiqués par les Grecs.

(1) Liv. 1. L'Auteur que je viens de nommer, après avoir dit ( 1 ) que fuivant les Egyptiens eux-mêmes, Orphée avoit porté dans la Grece toute la fable de l'Enfer, ajoute: « Les fupplices → des méchans dans le Tartare, le féjour des bons aux Champs Elyfées, & quelques autres idées semblables, font vifiblement prifes des funerailles des Egyptiens. Mercure conducteur des ames chez les Grecs, a été imaginé fur un ➡homme à qui l'on remettoit anciennement en Egypte le corps d'un Apis mort, pour le porter à un autre qui le rece » voit avec un mafque à trois têtes, comme celles de Cer» bere. Orphée ayant parlé en Grece de cette pratique, Homere en a fait ufage dans ces vers de l'Odyffée:

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Avec fon Caducée, aux bords des fleuves fombres
Mercure des Heros avoit conduit les ombres (1).
Le Poëte ajoute un peu plus bas :

Ils paffent l'Ocean, & le pâle rocher ;
Et bien-tôt abordant, par l'effort du Nocher,
Aux portes du Soleil, lieu des images vaines,
Ils parviennent enfin à ces heureuses plaines,
Où jouissant de tout, excepté de leurs corps,
Et libres de nos foins, on voit errer les morts.

Or l'Ocean eft le Nil même, auquel les Egyptiens donnent en leur langage un nom qui fignifie la même chofe que »l'Ocean. Les portes du Soleil font la ville d'Heliopolis; & » ces plaines heureufes qu'on dit être le fejour des Juftes » morts, ne font à la lettre que les belles campagnes qui font » aux environs du lac d'Acherufe auprès de Memphis, & qui font partagées par des champs & par des étangs cou» verts de blé ou de fotos. Ce n'eft pas fans fondement qu'on a dit que les morts habitent là; car c'eft-là qu'on termine » les funerailles de la plupart des Egyptiens, lorsqu'ayant fait » traverser le Nil & le lac d'Acherufe à leurs corps, on les dépofe enfin dans des tombes qui font arrangées fous terre » en cette campagne.

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» Les céremonies qui fe pratiquent encore aujourd'hui dans l'Egypte, conviennent à tout ce que les Grecs difent de l'Enfer; comme à la barque qui tranfporte les corps, « à la piece de monnoye qu'il faut donner au Nautonnier, ❤ nommé Caron en langue Egyptienne; au temple de la téne → breuse Hecate placé à l'entrée de l'Enfer; aux portes du Cocyte & du Lethé, pofées fur des gonds d'airain; à d'autres portes qui font celles de la vérité; au fimulacre de la Juftice qui eft fans tête. Il en eft ainfi de tout le reste, qui paroît • n'être qu'une copie exacte de ces funerailles, telles même qu'on les fait actuellement. Dans la ville d'Acanthe qui » eft au-delà du Nil du côté de la Libye, à fix vingts stades

(1) Traduc de M. Terraf Loa.

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de Memphis, il y a un tonneau percé dans lequel trois » cens foixante Prêtres verfent tous les jours de l'eau apportée du Nil. Non loin de-là, on execute réellement la fable de l'Afne dans une affemblée publique, où un homme file (1) Voyez une longue corde de jonc, qui eft défilée en même temps des gens qui font derriere lui.

les Adages

d'Erafme.

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» par

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Ce même Auteur, après avoir parlé de la maniere dont les Egyptiens embaumoient les cadavres,pourfuit ainfi: «Quand le corps doit être inhumé, on en va annoncer le jour premierement aux Juges, & enfuite à toute la famille & à » tous les amis du mort. Cette indication fe fait en expri» mant fon nom, & en difant qu'il va paffer le lac. Auffi-tôt quarante Juges s'affemblent & vont s'affeoir dans un Tribunal formé en demi-cercle, & placé à l'autre bord du lac. Des Ouvriers prépofés à cette fonction, mettent fur ce lac une barque qu'ils ont conftruite, & qui eft gouvernée par un Pilote, que les Egyptiens nomment Caron en leur lan» gue. On dit qu'Orphée étant venu en Egypte, & ayant vû » cette céremonie, båtit la fable de l'Enfer, en ajoutant quelques circonftances à ce qu'il avoit vû pratiquer : nous en parlerons bien-tôt plus au long. Avant qu'on place le cercueil dans cette barque, la loi permet à tout le monde de » venir faire fes plaintes, contre le mort. Si quelqu'un le convainc d'avoir mal vécu, les Juges portent la Senten»ce, & privent le mort de la fépulture qu'on lui avoit préparée. Mais fi celui qui a intenté l'accufation ne la prou» ve pas, il eft fujet à de grandes peines. Quand aucun ac» cufateur ne fe prefente, ou que ceux qui fe font presentés > font convaincus eux-mêmes de calomnie, tous les parens quittent le deuil, louent le défunt, fans parler néanmoins de fa race comme font les Grecs, parce que tous les Egyptiens fe croyent également nobles. Ils commencent fon éloge par fon éducation; parcourant enfuite tous les âges de la vie, ils relevent fa piété, fa juftice, fon courage, & prient les Dieux infernaux de le recevoir dans le fejour des bienheureux. Toute l'affistance applaudit à cette Oraison fu→ nebre: elle y mêle de nouvelles louanges, & félicite le mort

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de ce qu'il doit paffer l'éternité dans la paix & dans la
gloire ».

Le même Diodore après avoir dit qu'on gardoit quelque-
fois les ancêtres dans la maison tout embaumés, pour con-
ferver en les voyant le fouvenir de leurs bonnes actions
ajoute qu'on y confervoit auffi les cadavres de ceux à qui
on avoit refusé la fépulture pour raifon de crime & de dette;
& qu'il arrivoit quelquefois que leurs defcendans devenus ri-
ches ou puiffans, acquittoient leurs dettes,ou pourfuivoient leur
juftification, & les faifoient enfevelir honorablement. Car les
Egyptiens, dit-il encore, fe font fait de tout temps une re-
ligion d'honorer particulierement leurs morts. Ils donnent
affez fouvent leurs corps pour sûreté de leurs dettes ; & ceux qui
ne les retirent pas font déclarés infames pendant leur vie, &
privés de fépulture après leur decès.

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1.4.

Porphyre (1) nous a confervé la priere, ou plutôt l'abso-, (1) De Abst. lution que les Prêtres Egyptiens donnoient aux parents en faveur du mort, & il l'avoit tirée d'Euphantus Auteur que nous n'avons plus. « O!Soleil,premiere Divinité,& vous Dieux du Ciel, par qui les hommes ont reçû la vie, daignez me recevoir aujourd'hui dans vos facrés tabernacles. J'ai fait >> tous mes efforts pour que ma vie ait été telle que vous l'avez demandée de moi. Mon refpect a été fans bornes » pour les Dieux qu'on m'a fait connoître dans mon enfance, & je n'ai jamais manqué d'égards pour ceux qui m'ont - donné la lumiere, ni de tendreffe pour le fein qui m'a porté: mes mains font pures du fang d'autrui; le dépôt fut toujours facré pour moi; & le filence des hommes qui ne " me reprochent rien, n'eft-il pas le gage affûré de mon in»nocence? Si cependant il m'étoit échappé quelque faute » perfonnelle & fecrette, foit dans le boire ou le manger, ce font ces entrailles qui en font coupables ». Les parens montroient alors les entrailles du mort, & auffi-tôt on les jettoit dans le lac.

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» Les Grecs, remarque le même Diodore, ont corrompu - par leurs fictions & par leurs fables, ce que l'on doit croire de la récompenfe des bons & de la punition des méchants;

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» & par-là ils ont livré aux railleries des libertins un des plus puiffants motifs qu'on puiffe propofer aux hommes, pour les engager à bien vivre ».

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CHAPITRE II.

Sentimens des Philofophes Grecs fur le même fujet.

PLATON eft celui des Philofophes qui a le plus raifon

né fur la nature de l'efprit, & fur l'état des ames après la mort; mais il faut avouer que fon fyftême, ainfi que celui de tous les autres, eft mal foutenu & rempli de contradictions: dès qu'on eft éloigné de la bonne voye, on s'éga re à mesure qu'on avance. Lorsqu'un homme eft mort, felon ce Philofophe, fon ame va dans un lieu qu'on appelle Divin, & elle eft jugée. Quand on a mené une vie conforme aux lumieres de la raison, on eft conduit dans un lieu élevé, où l'on jouit de toutes fortes de profperités & de plaisirs en la compagnie des Dieux : les ames des méchans tombent dans un abyfme où il n'y a que des ténebres fort épaiffes, & où l'on fouffre toute forte de maux. Ce Philofophe fait enfuite la defcription de l'Enfer, des Champs Elysées, & parle des Fleuves de ces lieux, des Juges, des Furies, &c. à-peuprès comme Homere, dont il a fuivi les idées.

Socrate fon maître avoit penfé la même chofe que lui. Ce Philofophe diftinguoit trois fortes d'états pour les ames. Celles qui n'avoient ni merite ni vices, habitoient aux environs de l'Acherufe, où purgées par les eaux de ce lac, elles alloient recevoir la récompenfe du peu de vertus qu'elles avoient pratiquées. Celles des mechans erroient autour des tombeaux qui enfermoient leurs corps, où elles étoient tourmentées de differentes manieres. Enfuite après avoir bûn de l'eau du fleuve d'oubli, elles rentroient dans de nouveaux corps, plus ou moins nobles, fuivant leur merite. Enfin les ames des bons alloient tout de fuite dans les Champs Elyfées.

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