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Pythagore croyoit que dès que l'ame étoit féparée du corps,

elle alloit fous la conduite de Mercure dans un lieu où l'air
étoit très-pur, & où étoient les Champs Elysées, que Vir-
gile nomme les Champs Aëriens, Aerios Campos. C'étoit-là,
ajoutoit Pythagore, que les ames des Philofophes, les meil-
leures de toutes, devenoient semblables aux Dieux, pendant
que celles des mechans étoient tourmentées fans relâche par
les Furies: mais les unes & les autres, après un certain ef-
pace de temps, qu'il appelle le temps des purifications, re-
venoient fur la terre habiter de nouveaux corps. Ce fut lui,
pour le dire en paffant, qui enfeigna en
enfeigna en Europe, du moins
publiquement, la doctrine de la Metempsycofe, ou de cette
circulation éternelle des ames dans de nouveaux corps,
qu'il
avoit apprife des Egyptiens, chez lefquels il avoit voyagé. Je
dis qu'il enfeigna cette doctrine; car long-temps avant lui,
Orphée & Homere, qui l'avoient auffi puifée chez le même
peuple, en avoient parlé dans leurs Ouvrages.

po

Les Egyptiens doivent donc être regardés comme les premiers auteurs de cette opinion, qui dans la fuite fe répandit d'un côté dans l'Europe, où Melampus, Orphée, Homere, & quelques autres la porterent, & qui pénétra pareillement jufqu'au fond des Indes, où elle fit des progrès fi étonnans qu'elle y regne encore aujourd'hui. Ce que je viens d'annoncer au fujet de cette opinion, Herodote l'affure fitivement (1). Les Egyptiens, dit-il, ont été les premiers (1) Liv. 2. qui ont cru l'ame immortelle, ce font eux auffi qu'on doit regarder comme les inventeurs de la Metempsycofe. Leurs Prêtres, dit-il, enfeignent que les ames ne mouroient point avec le corps, & qu'Amenthes les recevoit. Cet Amenthes étoit un lieu fouterrain, à peu près comme l'Enfer des Poëtes Grecs. Plutarque (2) qui dit que ce mot veut dire, celui qui reçoit, & qui donne, ajoute que c'étoit un lieu au centre Of de la terre, où toutes les ames fe rendoient. Comme ce goufre les recevoit, il les rendoit de même ; & quand elles en fortoient, elles alloient habiter de nouveaux corps; premierement, ceux des animaux terreftres, enfuite ceux des poiffons & des monftres marins, puis ceux des oiseaux,

(2) De If. &

loc. cit.

& après avoir circulé l'efpace de trois mille ans d'un de ces (1) Herod. Corps dans un autre (1), elles revenoient animer le corps des hommes, d'où elles reffortoient auffi pour recommencer le même manége: & c'étoit ainfi qu'elles étoient immortelles. C'eft de cette opinion, dit Herodote, que provenoit le foin que les Egyptiens avoient d'embaumer les corps avec une dépense infinie, de même que ces fuperbes tombeaux où ils employoient des fommes fi confiderables; pendant qu'ils négligeoient leurs maisons, qu'ils ne regardoient que comme des hôteleries, des lieux de paffage, qui ne meritoient pas leur attention: ce qui a fait dire à Diodore de Sicile, que ce peuple étoit moins curieux à bâtir des maisons pour les vivants, que des tombeaux pour les morts.

L

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·

Es Poëtes quoique livrés ordinairement au feu d'une verve que la raifon ne guide pas toujours, ont cependant pensé fur l'état des ames après la mort, à peu près comme les Philofophes; mais chacun d'eux ayant fuivi fon caprice, il n'eft pas étonnant de trouver dans leurs Ouvrages tant d'idées particulieres. En effet, quoiqu'ils conviennent en général que les ames vont ou dans les Champs Elysées, ou dans le Tartare, ils ne font pas d'accord fur la fituation de ces deux demeures.

Quelques-uns placent les Champs Elysées au milieu des airs; d'autres dans la Lune, quelques uns dans le Soleil; enfin dans la centre de la terre à côté même du Tartare. L'opinion la plus commune eft qu'ils étoient dans une des Ifles de l'Ocean, qu'on appelloit les Ifles fortunées, & qu'on croit être les Canaries. Mais connoiffoit-on dans ces anciens temps des Ifles auffi éloignées de la terre ferme? Ainsi il vaut mieux dire que felon eux le féjour des bienheureux étoit

dans

dans le charmant pays de la Bétique (a), où les Phéniciens avoient voyagé dès les temps les plus reculés. Ce Pays étoit délicieux, arrofé de fleuves, de ruiffeaux & de fontaines. Il y avoit des plaines charmantes, des bocages & des bois enchantés; les montagnes enfermoient de mines d'or & d'argent, & la terre y fourniffoit en abondance tout ce qui étoit neceffaire à la vie: c'eft l'idée qu'en donnent tous les Anciens ; & dès-là rien n'étoit plus propre à fournir aux Poëtes les defcriptions charmantes qu'ils font du féjour des Bienheureux.

D'ailleurs le Tarteffe qui coule dans cette Province, eft fans doute le Tartare des Poëtes; c'eft du moins le fentiment du fçavant Bochart. Que fi on ajoute que ce pays eft au bout du monde, puifqu'on ne connoiffoit rien autrefois audelà, & qu'on croyoit que le Soleil alloit tous les foirs se coucher dans l'Ocean où il n'éclairoit plus le monde jusqu'au lendemain matin, il eft évident qu'on a dû croire que le pays étoit couvert d'éternelles ténèbres.

Les mêmes Poëtes ne different pas moins entr'eux au fujet de l'Enfer. Tout ce qu'on peut recueillir de la Theogonie d'Hesiode, eft que ce lieu qu'il nomme toujours le Tartare, étoit une prifon où furent mis les Titans, & Saturne lui-même; que cette affreufe prifon étoit gardée par je ne fçai quelle efpece d'être, qu'il nomme Campé, que Jupiter devenu maître du monde fit garder par des Geants à cent mains. Homere (1) avoit des idées plus nettes fur ce fejour des ↳ morts; & felon lui toutes les ames y étoient conduites par Mercure il établit même le lieu où il étoit, c'est-à-dire, au pays des Cimmeriens, peuples couverts d'éternelles ténebres, & à l'extrémité de l'Ocean, où couloient le Styx, le Periphlegeton, & les autres fleuves d'Enfer. Les Anciens ont été fort embarraffés à déterminer de quel Pays ce Poëte avoit voulu parler. Il y en a qui prétendent qu'il faut l'entendre des environs de Cadix, ou de la Bétique, parce que ce pays étoit aux extrémités de l'Ocean, où le Soleil va se plonger dans les eaux, & où par conféquent doivent être ces tenebres dont il parle. Il y en a qui penfent que ce (a) Aujourd'huy l'Andalousie à l'extrémité de l'Espagne, du côté de Cadix.

Tome II.

Ggg

1.

(1) Ody

10. & l. 11.

uniy.

α

Poëte, qu'on a toujours regardé comme un excellent Géographe, avoit désigné par-là les habitans du Nord, ceux même qui font privés pendant des mois entiers de la lumiere du Soleil. D'autres croyent qu'il faut l'entendre des peuples qui habitoient à l'extrémité du Pont - Euxin, où étoit le Pays des Cimmeriens, & Strabon favorise ce sentiment, lorsqu'il dit, en parlant d'Homere : « Ce Poëte a connu les Cimme➡riens du Bofphore qui habitent vers le Septentrion, dans → un lieu toujours couvert d'épais nuages; & il ne pouvoit les ignorer, car c'eft vers le temps de la naiffance de ce Poëte, • ou peu d'années auparavant, que ces Cimmeriens firent des courses jufques dans l'Ionie ». Ce Poëte connoiffoit donc les Cimmeriens du Bofphore, & par le privilege de la Poëfie, il les a transferés fur les côtes d'Italie, comme il y a transferé auffi les Cyanées ou Symplegdes qui font des rochers à l'entrée du Pont-Euxin.

1) Biblioth. M. le Clerc (1) croit qu'Homere avoit voulu parler des Epirotes où des Thefprotes,peuples qui faifant fans ceffe travailler aux mines,étoient véritablement enfévelis dans les ténebres. Dailleurs c'eft dans l'Epire, ainfi qu'on le dira dans la fuite, qu'on trouvoit les fleuves dont parle ce Poëte. Mais il eft évident qu'il ne faut pas aller chercher.fi loin les Cimmeriens dont parle Homere; ils étoient fur les côtes occidentales de l'Italie, près de Bayes & de Pouzolles ; & la raison en eft, qu'Uliffe y arrive le même jour qu'il reçoit fon congé de Circé. La defcription qu'il fait de cette contrée eft, felon Strabon, très-conforme à la Géographie; & fi le Poëte ajoute que ce lieu eft aux extrémités de l'Ocean, c'eft ces licences qu'autorife la poëfie.

par une de

Voici ce que dit Circé à Ulyffe effrayé de la proposition qu'elle lui faifoit de defcendre aux Enfers, pour y confulter l'ombre de Tirefias: Dreffez votre mât, déployez vos voi

les, & foyez fans inquiettude, les feuls fouffles de Borée → vous conduiront; & quand vous aurez traversé l'Ocean, » vous trouverez un lieu commode, & les bois de Proferpine, pleins d'arbres ftériles.... Abordez à cette plage de l'Ocean, & allez de là dans le ténebreux Palais de Pluton,

à lendroit où l'Acheron reçoit dans fon lit le Periphlegeton » & le Cocyte, qui eft un écoulement des eaux du Styx: Ulyffe muni de cet itineraire s'embarque le matin, & le foir du même jour arrive au lieu que cette Déeffe lui avoit défigné. Il eft donc évident que l'Ocean n'eft mis là que pour donner plus de merveilleux à la navigation de ce Heros. Auffi Strabon dit pofitivement; Que les Cimmeriens d'Homere, foient fur les côtes d'Italie, c'est un fait certain ; les Anciens, ajoute-t-il, avoient placé la Necromantie d'Homere près du lac Averne (a). C'étoit là où étoient les fleuves dont il est parlé dans le paffage que nous venons de citer. Servius, qui en convient (1) rend en même temps raifon de ce qui peut (2) Sur le liv. avoir donné lieu à ce Poëte de dire que ce pays étoit couvert de tenebres : « Près de Bayes, dit ce fçavant Commen»tateur, eft un lieu bas & fombre, environné de tous cô» tés de hautes montagnes qui empêchent qu'on y voye ni le lever ni le coucher du Soleil ». Que fi on ajoute que c'eft là où eft le lac Averne, dont les exhalaifons étoient autrefois mortelles, que le pays eft rempli de fouffre & de bitume, on aura de quoi juftifier Homere d'y avoir placé l'entrée du Royaume de Pluton.

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Pline ajoute encore, qu'outre le lac Acherontie, l'Aver& les Champs brûlés des Phlegréens, il y avoit autre fois en ce lieu-là une ville nommée Cimmerie (b)..

ne,

6. de l'En.

Bochart (2), pour le dire en paffant, peut donc bien avoir (2) Chanl1. raison en difant que le mot Cimmerien vient du mot Pheni- c. 33. cien Cimmir, tenebreux, ou plûtôt la noirceur des ténebres ; mais je crois qu'il fe trompe en plaçant les Cimmeriens d'Homere fur les côtes de Provence; car comment Ulyffe y feroitil arrivé le même jour qu'il étoit parti du Promontoire Circéi? (1) En. L.6. Quoiqu'il en foit, Virgile (3) a fuivi l'idée d'Homere en plaçant comme lui, mais fans déguisement, l'embouchure de l'Enfer fur la même côte, & près du lac Averne, comme

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| (b) Avernus lacus, juxta quem Cime-
rium oppidum quondam dein Puteoli
poftque Phlegræi campi, Archerufia palus,
&. Pline. L. 3.c.6.

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