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nous le dirons dans la fuite. Mais les autres Poëtes ne font pas d'accord avec les deux dont on vient de rapporter les témoignages, puifqu'il y en a qui mettent l'entrée des Enfers au Promontoire du Tenare, où étoit cette Caverne de laquelle la fable publioit qu'Hercule avoit tiré le Cerbere lorfqu'il defcendit aux Enfers. D'autres croyent que ce lieu étoit dans la Thefprotie, & Lucain eft le feul que je fçache (3) De Bell. (1) qui ait transporté l'entrée de l'Enfer aux bords de l'Euphrate.

Civ.

(i) Voyez ce qui a été

là-deffus dans le Liv. 4.

(3) En. L. 5.

(4) En. L. 4.

Lucr.L.I.

Il faut remarquer encore que les Poëtes diftinguent trois fortes de chofes dans l'homme, fon corps, fon ame fon ombre ou fon phantôme (2). Virgile faisant invoquer à Enée les manes de fon pere Anchife avant que de célebrer fon anniverfaire, dit:

Salvete recepti

Nequicquam cineres, animaque umbræque paternæ (3).
Et Didon prête à se donner la mort, fait cette réflexion :
Et nunc magna mei fub terras ibit imago (4).
Lucrece s'exprime encore plus clairement fur cet article:
elle Acherufia templa,

Quò neque permaneant anima, neque corpora noftra,
Sed quadam fimulachra, modis pallentia miris (5).

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Les Poëtes Latins que je viens de citer, n'ont fait que copier Homere fur l'article dont il s'agit. Ce Poëte dit dans le Livre XI. de l'Odyffée en parlant de l'Enfer, que Proferpine avoit accordé à Tirefias le privilege de conferver après fa mort tout fon entendement qu'il avoit même dans ce trifte féjour, les yeux fi pénétrans, qu'il lifoit dans l'avenir, pendant que les autres morts n'étoient auprès de lui que des ombres & de vains phantômes. Mais le même Tirefias parlant à Ulysse développe bien cette Mythologie: « Telle eft, dit-il, la condition des mortels quand ils font fortis de « la vie : leurs nerfs ne foutiennent plus ni chairs, ni os; tout

ce qui ne compofe que le corps materiel, eft la pâture des » flammes dès que l'efprit l'a quitté ; & l'ame, ce corps dé» lié & fubtil, s'envole de fon côté comme un fonge ». Voilà bien nettement les trois chofes dont je parle. Le corps materiel & terreftre, qui eft réduit en cendres fur le bûcher: l'efprit, c'eft-à-dire, la partie fpirituelle de l'ame qui retourne au Ciel, lieu de fon origine; & l'ame, c'eft-à-dire, le corps délié & fubtil dont le corps eft revêtu. C'eft cette derniere partie qui defcend dans les Enfers, & qui eft appellée idole & image.

Si nous voulons remonter à la fource de cette opinion, nous trouverons qu'elle eft tirée des Egyptiens, qui croyoient que l'ame étoit compofée d'un corps fubtil & lumineux, & de ce qu'on appelle l'efprit: le corps fubtil eft la partie materielle de l'ame & l'entendement, pornos eft la partie fpirituelle. Après la mort, c'est-à-dire, après la féparation du corps terreftre de l'ame, il fe fait une autre féparation des deux parties de cette ame. Le corps fubtil, qui eft l'idole, l'image du corps terreftre, s'en va dans les Enfers, & l'entendement, l'efprit qui eft la partie fpirituelle, va dans le Ciel. Ainfi fuivant cette Theologie les ames des hommes ou plûtôt leurs ombres, quædam fimulachra, étoient dans les Enfers féparées de leur entendement ; & ce n'étoient que des phantômes, des images, qui portoient même les marques du corps terreftre ; à moins qu'elles n'euffent reçu le privilege d'y conferver leur entendement, comme Homere le dit du Devin Tirefias.

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C'étoit donc une Theologie conftante dans ces temps de ténebres, qu'après la mort le corps materiel étoit réduit en cendres; que l'efprit, quus & opóvnois, la partie fpirituelle de l'ame, retournoit dans le Ciel; & l'ame, c'est-à-dire, ce corps fubtil qui lui fervoit comme d'enveloppe, fon idole, fon image, defcendoit dans les Enfers.

Les Poëtes ne font pas d'accord fur le temps que les ames devoient demeurer dans l'Enfer, ou dans les Champs Elyfées : Anchise semble infinuer à Enée fon fils, que ces dernieres, après une révolution de mille ans, buyoient de l'eau du

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(1) Virg. En. L. 6.

(2) Virgil. ibid.

Id. ibid.

fleuve Lethé, & venoient dans d'autres corps, fuivant en quelque maniere l'opinion de la Metempsycofe, comme nous l'avons dit:

Has omnes, ubi mille rotam volvere per annos,
Lethæum ad fluvium Deus evocat agmine magno;
Scilicet immemores, fupera ut convexa revifent
Rurfus, & incipiant in corpora velle reverti (1).

Il n'en étoit pas de même de celles qui étoient condamnées
au Tartare, dont elles ne fortoient jamais. Virgile dit du mal
heureux Thefée, qu'il y eft, & y fera éternellement.
Sedet, aternumque fedebit

Infelix Thefeus.

& les autres Poëtes affûrent la même chofe des Ixions, des Tantales, des Titans, & de tous les autres criminels, quoique leurs fyftêmes ne foient gueres conftants fur cet article. Mais il eft bon de remarquer que Pythagore & fes Difciples femblent avoir fixé le temps de ces peines à mille ans; du moins c'est le terme où fe réduifent les expiations dont il eft parlé dans la République de Platon, qui paroît avoir fuivi en cela l'opinion de ces Philofophes, auffi bien que Virgile, fans parler des autres, quand il dit; mille rotam volvere per

annos.

Pour ce qui eft de ceux qui n'étoient ni dans le Tartare ni dans les Champs Elysées, mais dans les vaftes forêts qui précedoient ces deux lieux, comme Didon, Deiphobe, & les autres qu'Enée rencontra, après un certain temps de purgation & de fouffrance, ils étoient renvoyés dans les Champs Elyfées.

Quifque fuos patitur manes, exinde per amplum
Mittimur Elyftum, & pauci læta arva tenemus (2);

& c'est ce qui fait dire encore à Deiphobe parlant à la Sibylle:

Ne fævi, magna Sacerdos,
Difcedam, explebo numerum, reddar que tenebris.

CHAPITRE

I V.

Defcription particuliere de l'Enfer, fuivant les Poëtes.

D5

E tous les Poëtes qui ont parlé de l'Enfer & des peines qu'on y enduroit, je ne citerai qu'Homere, Pindare, & Virgile, parce qu'ils ont raffemblé tout ce que l'Antiquité profane enfeignoit à ce fujet ; mais avant que d'entrer dans aucun détail, je dois obferver que fi Virgile, copifte fidele d'Homere, lui eft souvent inferieur, ici il me paroît beaucoup le furpaffer, & encore plus Claudien, Silius Italicus, & les autres.

Circé après avoir enseigné à Ulysse le chemin de l'Enfer de la maniere que nous l'avons dit dans le Chapitre précédent, continue ainfi de lui parler : « Avancez jufqu'à la

D

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Roche où eft le confluent de ces deux fleuves dont la chu> te fait un grand bruit. Là, creufez un foffé d'une coudée en quarré : verfez dans cette foffe, pour tous les morts, trois » fortes d'effusions ; la premiere de lait & de miel ; la feconde, de vin pur, & la troifiéme, d'eau où vous aurez détrempé de la farine. En faifant les effufions, adressez vos prieres à toutes les Ombres, & promettez-leur que dès que vous ferez de retour dans votre Palais, vous immolerez la plus belle Géniffe de vos pâturages, qui n'aura pas encore porté; que vous leur éleverez un bûcher où vous jetterez toutes fortes de richeffes, & que vous facrifierez en particulier à Tirefias feul, un belier tout noir, & qui fera la fleur de votre troupeau. Après que vous aurez achevé » vos prieres, immolez un belier noir & une brebis noire, en leur tournant la tête vers l'Erebe, & en détournant vos regards vers l'Ocean. Les ames d'une infinité de morts fe rendront en cet endroit : alors preflez vos compagnons » de prendre les Victimes égorgées, de les dépouiller, de » les brûler, & d'adreffer leurs voeux aux Dieux infernaux,

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au puiffant Pluton, à la fevere Proferpine; & vous, l'épée » à la main, tenez-vous là, écartez les Ombres, & empêchez qu'elles n'approchent du fang, avant que vous ayez > entendu la voix de Tirefias, qui ne manquera pas de fe » rendre près de vous, Il vous enfeignera le chemin que » vous devez tenir, & la maniere dont vous devez vous conduire pour retourner heureusement chez vous ».

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Ulyffe execute à la lettre ce que Circé lui avoit prescrit: les Ombres, friandes du fang des victimes, viennent pour le humer; Ulyffe les écarte à coups d'épée, & après avoir appris de Tirefias ce qu'il avoir à faire, il se retire. Telle eft la defcription que fait Homere de l'Enfer. Il eft vrai que pour tirer parti d'une fiction si mince, & qui dans le fond n'eft qu'une fimple évocation, il fait raconter aux Ombres leurs avantures, qui fouvent font très-intéreffantes.

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Quoique Pindare femble avoir pris Homere pour modele, il s'écarte cependant de fon original, & fuit d'autres idées que celle de cet ancien Poëte. D'abord, il fait deux Royaumes differents de ce lieu fouterrain, & leur donne à chacun un Monarque particulier. C'eft Pluton, felon lui, qui gouverne l'Enfer & Saturne qui eft le Souverain des Champs Elysées où il regne avec fa femme Rhea, & a pour Affeffeur Rhadamanthe, que tous les autres Poëtes mettent (1) Op. & dans l'Empire de Pluton. Ce Poëte eft en cela conforme à Diis. v. 170. Hefiode (1), qui dit que les ames des Heros alloient habiter les lieux fortunés fitués près de l'Ocean, aux extrémités de la terre, où Saturne regnoit.Puis fuivant les idées des Pythago, riciens Pindare établit pour les aines trois fortes de tranfmigrations, tant en ce monde qu'en l'autre, difant que ceux qui dans ces trois états ont confervé leurs ames toujours pures, arrivent enfin à l'augufte palais de Saturne. Les trois tournées que Socrate fait faire aux ames des Philofophes avant leur retour au lieu de leur origine, ont beaucoup de rapport à ces trois vies que ce Poëte exige de fes Heros, avant de les placer dans les Champs Elysées Sur quoi il eft bon de faire deux remarques. La premiere, que Pindare fuppofe que l'on pouvoit également pratiquer la vertu & faire des actions méritoires, en

Enfer

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