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ceux qui ont bien vêcu pendant cette vie, jouiffent d'une paix & d'une tranquillité profonde, & des plaifirs les plus innocens. Figurez-vous des lieux enchantés où se trouve en abondance tout ce qui peut rendre heureux ; des bois toujours verds, des prairies charmantes, entrecoupées de fontaines & de ruiffeaux qui y coulent avec un doux murmure, un air pur & fain, avec une chaleur moderée, des oifeaux qui chantent éternellement dans d'agréables bocages, un Printemps perpetuel, d'autres Aftres (a). Telle eft l'idée que les (1) Homere, Poëtes (1) donnent du féjour des Bienheureux; de ces Ifies fortunées, de ce célebre Royaume d'Adrafte, comme ils Catulle, &c. l'appelloient quelquefois, en un mot des Champs Elysées. Mais comme les defcriptions qu'ils en font n'étoient que fruit de leur imagination, chacun d'eux y fait trouver des occupations & des plaifirs conformes à fes inclinations. Tibulle voluptueux & fenfible aux charmes de l'amour, y fait regner la joye & les plaifirs des fens (b).

Virg. Pind.

Claudien,

le

Virgile plus chafte n'y admet que des Jeux innocens & des occupations dignes des Heros qui y habitent, & en cela il a copié Homere. Dans le Poëte Grec, l'ombre d'Achille fait la guerre aux bêtes feroces, & dans le Poëte Latin, les Heros Troyens s'y exercent à manier des chevaux, ou à faire des armes. Quelques Poëtes ont joint à ces plai firs celui de la bonne chere, & parlent de feftins continuels, pendant qu'il difent qu'il n'y avoit rien de fi maigre que les repas qu'Hecate donnoit en Enfer. Ce qui prouve,pour le dire en paffant, que la partie de l'homme qui habitoit ces lieux; avoit pour s'y conferver, befoin de nourriture.

Si l'on fuit avec quelque attention les idées de Virgile, on trouve que ce Poëte a divifé en fept demeures la Defcription Topographique qu'il fait du féjour des ombres. La premiere eft celle des enfans morts en naiffant. « A peine

(a) Largior hic campus, ather, & lumine veftis

Purpureo, folemque fuum, fua fydera norunt.
(b) Hic chorea, cantufque vigent.

At juvenum feries teneris immiffa puellis,
Ludit, & affiduo prælia mifcet amor. L. 1.

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bat-on touché cette fatale rive, dit-il, qu'on entend les voix plaintives & les pleurs des enfans à qui le fort cruel a ravi la lumiere qu'ils n'ont fait qu'entrevoir, les plongeant en naiffant dans les ténebres éternelles. Ces malheureux enfans » à la mamelle, gémiffent à l'entrée de l'Enfer (a).

La feconde étoit occupée par ceux à qui on avoit imputé de faux crimes, & qui avoient été injuftement condamnés à la mort (b). Dans la troifiéme étoient ceux qu'un deftin barbare avoit forcés de fe donner la mort; qui tout innocens qu'ils étoient, fe voyant accablés du poids des miferes de la vie, l'avoient prife en horreur, & s'étoient détachés de leurs ames comme d'un fardeau qui les importunoit (c). La quatriéme qu'on peut appeller le Champs des Larmes, & où eft une forêt de myrtes coupée de diverses routes, eft le sejour de ceux qui pendant leur vie ont éprouvé les rigueurs de l'impitoyable amour (d). Là eft la malheureuse Phedre, qui fe donna la mort à caufe du mépris du jeune Hipolyte qu'elle ne peut jamais rendre fenfible. Procris à qui l'infortuné Cephale ôta la vie avec le dard qu'elle lui avoit donné; Eriphyle, Evadné, Laodamie, Pasiphaé, Didon, Cenée, qui de fille avoit été changée en garçon, & qui par l'ordre du Deftin avoit repris fon premier état. La cinquiéme étoit destinée aux Heros (e). Là étoient Tydée, Adrafte, Parthenopée & plufieurs autres. La fixiéme demeure étoit l'affreuse prifon du Tartare, où font les illuftres fcélerats dont je parlerai dans la fuite, les Parques, les Furies, &c. Enfin la feptiéme étoit le fejour des Bienheureux, ou les Champs Elysées, ji

Ces differentes demeures n'étoient pas partagées au hazard. Minos qui tenoit l'urne fatale, évoquoit les Ombres autour de lui, s'informoit de leurs crimes, examinoit leur vie, pefoit le merite de leurs actions, & les envoyoit chacun dans le lieu qui lui convenoit (1).

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(1) Virg. 6,

Telles étoient les Fables que les Poëtes anciens débitoient fur le féjour des ames après la mort ; fyftême embelli à la vé rité des idées que des imaginations fécondes avoient enfantées; mais dont le fond étoit tiré, comme on va le voir, des coutumes Egyptiennes.

CHAPITRE V.

Que ce que les Grecs ont dit au fujet des Enfers & des Champs Elysées, étoit tiré des pratiques Egyptiennes dont on a parlé.

M

ALGRE' toutes les fables ajoutées par les Grecs au fyftême Egyptien,il eft aifé de voir qu'il eft le fondement de tout ce qu'ils ont débité à ce fujet ; & quoique Diodore l'ait dit, comme on l'a vu dans le premier Chapitre, je crois qu'il eft neceffaire d'entrer à ce fujet dans quelque détail. D'abord le Caron des Grecs, ce batelier brufque & fevere que Virgile peint fi bien, eft le même que celui d'Egypte. Celui des Grecs eft fur le Cocyte attendant les Ombres des morts pour les paffer de l'autre côté du fleuve: celui d'Egypte avoit établi fa demeure fur les bords du lac Querron, ou Acheruse. Celui des Poëtes Grecs exigeoit impitoyablement un droit pour le paffage; celui des Egyptiens étoit fi regulier & fi fevere là-deffus qu'il ne voulut pas même, dit-on, faire grace au fils d'un Roi. Le lac des Enfers étoit formé par un fleuve qui y portoit fes eaux : celui de Querron étoit l'écoulement du Nil. Le premier faifoit neuf fois le tout du Royaume des Ombres, comme le dit Virgile: Novies • Styx interfufa, &c. Le Nil formoit en Egypte une infinité de

canaux.

Les differentes demeures que Virgile fait trouver dans les Enfers, furtout celle duTartare, prifon tenebreuse, placée au centre de la terre, font fondées fur les differentes chambres & allées du Labyrinthe,principalement de celles qui, felon Hero

dote,

dote & les autres Anciens étoient fous terre. Les Crocodiles facrés que les Egyptiens nourriffoient dans ces lieux fouterrains, avoient donné l'idée de ces monftres qu'on difoit être dans le Royaume de Pluton, & dans les avenues qui y conduifoient.

de

(2) Mem. l'Acad. T.

I. p. 9.

Homere (1) dit que l'entrée des Enfers étoit fur les bords (1) Ib. Liv. de l'Ocean; le Nil eft appellé par le même Poëte 'avès. L'i- 10.& 11. dée de ces portes du Soleil, dont les Poëtes parlent tant, n'eft fondée que fur ce que les Grecs avoient oui dire de la ville d'Heliopolis. Celle des Juges Eaque, Minos & Rhadamanthe, eft visiblement fondée fur ce que nous venons de rapporter après Diodore, de cet examen fevere que faifoient les Prêtres Egyptiens, de la vie & des actions des morts. Celle des fleuves d'Enfer, vient du lac Acherufe, ou Querron, & a fervi à former l'Acheron des Poëtes; Achou - Cherron, comme le remarque M. Fourmont (1) fignifiant, les lieux marécageux de Charon. Le Cerbere, fuivant le même Academicien, a pris ce nom de quelque Roi d'Egypte, nommé Chebres ou Kebron. Le nom du Tartare, vient de même de Dardarot, qui en Egyptien veut dire, habitation éternelle. Au-delà du lac Querron étoient des bois délicieux, & un bocage charmant, & un Temple confacré à Hecate la ténebreuse, deux marais le Cocyte & le Lethé: on trouvoit encore près de ce lieu une ville nommée Acanthe, où un Prêtre, on ne fçait par quel principe de Religion, verfoit chaque jour de l'eau du Nil dans un vaiffeau percé. De-là les Champs Elysées, le fleuve d'Oubli, le Cocyte, & le tourment des Danaïdes. Mercure le caducée à la main, qui felon Homere conduifoit les ames en Enfer, n'eft qu'une copie de ceux qui en Egypte avoient foin des funerailles, & en conduifoient la pompe.

Enfin l'Ades des Grecs eft le même que l'Amenthes des Egyptiens dont parle Plutarque (3), ce lieu fouterrain où al- (3) De If. & loient, & d'où reyenoient les ames des morts (a). Ajoutons encore que le Styx, autre fleuve d'Enfer, fe trouvoit auffi en

(a) C'eft felon Plutarque l'étymologie du mot Amenthes, qui veut dire, celui qui donne & qui reçoit.

Tome II.

Iii

Of.

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Egypte. C'eft en effet ce que dit Servius qui cite pour le prouver un Ouvrage de Seneque, intitulé: Des Ceremonies Egyptiennes, que le temps nous a ravi : « Ifis, difoit-il, ayant ≫ trouvé les membres épars d'Ofiris, que Typhon avoit fait maffacrer, choifit pour les enfevelir un lieu près d'un marais de difficile accès, au-delà duquel étoit une Ifle dans laquelle on ne pouvoit aborder; & ce marais s'appelloit Styx, parce qu'il infpiroit la trifteffe à ceux qui le voyoient Mais pour prouver encore plus clairement ce que je viens d'avancer, je vais fuivre Virgile pas à pas, & entrer dans un détail qui ne fera peut-être pas indifferent.

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L

CHAPITRE VI.

Charon & Cerbere.

'I DE'E du Batelier Charon eft venue, comme le remar que Diodore, de ce que dans la langue des Egyptiens ce mot fignifie un Batelier, Portitor; ainfi d'un nom appella tif, les Poëtes en ont fait celui d'une Divinité,

Jam fenior, fed cruda Dei viridifque fenectus";

à laquelle ils ont donné le foin de paffer les ames dans une barque, au-delà du fleuve Acheron: ils lui ont confervé le même caractere de celui des Egyptiens, le faifant comme lui, brufque, colere, chagrin, avare. La maniere dont il reçoit Enée, le peu de cas qu'il fait des paroles de ce He ros jufqu'à ce qu'il ait vû le rameau d'or, en font une preu ve «.Qui que tu fois, lui dit-il, qui parois armé fur ce rivage, aprends moi le fujet qui t'améne, & retourne fur tes pas: c'eft ici le féjour des ombres, &c. (a)

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အ.

(a) Quifquis es, armatus qui noftra ad littora tendis,
Fare age quid venias, jam iftinc & comprime gressus :
Hic locus umbrarum eft, &c. En. 6.

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