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La tradition leur apprenoit cela du Charon d'Egypte, comme nous le dirons dans un moment : mais comme ils vouloient paffer en tout pour originaux, ils ont inventé sur ce fujet plufieurs fables; ils ont compofé à ce Dieu une Genealogie, & ont dit qu'il étoit fils de l'Erebe & de la Nuit, dignes parens du Batelier de l'Enfer. On lui donne une humeur trifte & fevere, & fans aucun égard ni pour les dignités, ni pour les biens, ni pour les richeffes; & je ne fçai par quel hazard fon nom marque la joye & l'allegreffe (1), (1) Nat. 1.jɛ à moins que ce ne foit par une contreverité.

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Les Poëtes fe font égayés à faire differens portraits de Charon mais aucun d'eux n'a approché l'inimitable Virgile (a). Le Nautonier Charon, qui a l'intendance • de ces fleuves, n'abandonne jamais cette rive redoutable. Toute fa perfonne infpire de l'horreur. Son men» ton eft hériffé d'une barbe blanche & touffue, fes yeux font pleins de feu, fon corps n'eft couvert que de quelques » haillons noués qui lui pendent fur les épaules. Il eft vieux, » mais fa vieilleffe eft verte & vigoureufe; lui feul fait toute ⚫ la manœuvre de fa barque ; il tend les voiles, il manie la perche & la rame, & conduit fa nacelle d'un bord à l'autre ». Comme on croyoit que Charon ne paffoit perfonne gratis, on établit la coutume de mettre fous la langue du défunt une piece de monnoye, que les Latins appellent, Naulus, & les Grecs Aavant, pour le droit du paffage, autrement dit, naulage (b). Cette coutume leur venoit auffi des Egyptiens, qui donnoient quelque chofe à celui qui paffoit les morts au-delà du marais Acherufe. Il y a même encore dans pays une ancienne tradition, qui porte que Charon exerçoit en cela une petite Tyrannie, exigeant cette capitation même des enfans des Rois. Auffi Lucien nous affûre que la coutume de mettre une obole dans la bouche des morts, pour payer leur droit de paffage, étoit univerfelle chez les

le

(a) Portitor has horrendus aquas & flumina fervat,
Horribili fqualore Charon, cui plurima mento
Canities inculta jacet, &c.

(b) Voyez Lucien, Dial. du Deuil; Diodore, Liv. 1.

Grecs & chez les Romains; & on ne connoît que les Hermoniens qui s'en difpenfoient, parce qu'ils fe croyoient fi près de l'Enfer, qu'ils ne croyoient pas qu'il fût néceffaire de rien payer pour le voyage (a): mais l'on peut ajouter que Charon n'y perdoit rien; car fi ce Peuple ne lui payoit pas fes droits, les Atheniens furent affez fuperftitieux pour croire qu'il falloit donner quelque chofe de plus pour leurs Rois, afin de les diftinguer du commun des ames vulgaires, & ils (1) Nat. 1. 3. mirent dans leurs bouches jufqu'à trois pieces d'or (1). Lorfque Charon fe trouvoit obligé de paffer dans fa barque quelque perfonne vivante, il falloit qu'on lui montrât auparavant le rameau d'or, dont nous parlerons dans la fuite; & parce que Hercule y fut admis fans ce paffeport, lorfqu'il alloit délivrer Alcefte, Charon, comme nous l'apprend Servius après Orphée, fut mis en prifon pour un an, quoiqu'il l'eût reçu à regret & comme forcé. Auffi s'en plaint-il à Enée ; « Je n'ai » pas eu lieu de me rejouir, lui dit-il, d'avoir reçu dans ma barque Hercule lorsqu'il vint ici, non plus que Thesée & Pyrithous, quoiqu'ils euffent des Dieux pour leurs peres ». Mais il eft bon de fçavoir encore qu'on ne fe contentoit pas de cette piece de monnoye ; & afin de mieux affurer le paffage, on mettoit dans le cercueil du défunt une attefta(2) Eufth. in tion de vie & mœurs (2). C'étoit une espece de fauf-conduit dont un Auteur nous a confervé le formulaire : « Moi fouffig» né Anicius Sextus Pontife, j'atteste qu'un tel a été de bon»ne vie & mœurs: que fes Manes foient en paix (b); par où il paroît qu'afin que cette atteftation fût mieux reçûe en l'autre monde, le Pontife lui-même étoit dans l'ufage de l'écrire. Les Mofcovites pratiquent encore aujourd'hui cette coutume, qui venoit d'Egypte, où l'on portoit fur le bord du lac l'éloge du défunt, afin que les Juges ne fe laiffaffent pas prévenir par fes accufateurs, comme le dit Diodore de Sicile.

Hom. & le

Scholiafte de
Pindare.

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y a des Auteurs qui ont cru que Charon avoit été un

(a) Lylio Girald. Synt. de Diis inferis, | hunc honeftè vixiffe: Manes ejus inveniant Nat. L. 3. après Strabon. requiem. Fab. Cel. Lib. 3. Ant.

(b) Ego Sextus Anicius Pontifex, tefor

Roi d'Egypte, & qui le confondent avec je ne fçais quel Prince, dont le nom a rapport au fien, ainsi qu'on l'a dit dans le Chapitre précedent; mais un Auteur Arabe (a) est allé plus loin, croyant que Charon étoit coufin-germain ou oncle de Moyfe: & comme il fut d'abord dans le parti de fon parent, il fit observer avec exactitude fes Loix & fes Ordonnances; & celui ci en récompenfe lui apprit la Chimie & le fecret du grand - oeuvre, dont Charon fe fervit fi bien, qu'il amaffa en peu de temps de grandes richeffes, comme on le croit encore aujourd'hui en Egypte, fuivant plufieurs Relations (1). Voffius, dans fon Traité de l'Idolâtrie, pré- (1)Voyez le tend que le mot Charon vient de l'hebreu, & fignifie cole- 3. Voyage de re, parce qu'il eft le miniftre de la colere & de la ven- 1.3. geance des Dieux, & eft perfuadé en même temps qu'il eft le même que le Mercure infernal, dont la fonction, comme on l'a dit ailleurs, étoit de conduire les ames en Enfer, Mais je m'en tiens au Charon d'Egypte, le vrai modele de celui des Grecs, dont le nom fignifie, felon Diodore, un Batelier. Mahomet parle auffi d'un Charon (2) qui fut abyfmé fous (2) Alcoran. terre à la priere de Moyfe; mais il y a apparence qu'il a ch. 28. confondu Charon avec Coré, qui fut englouti pour avoir murmuré contte ce Législateur.

Difons maintenant quelque chofe de Cerbere, ce fameux gardien des Enfers, dont l'idée venoit auffi d'Egypte, où l'on faifoit garder par des dogues le lieu des fépultures; mais ce que je vais dire du Serpent de Tenare, fervit à l'embellir.

Paul Lucas,

Dans la profonde Caverne de Tenare habitoit autrefois Cerbere. un affreux Serpent, ou une espece de Dragon, qui ravageoit

les environs de ce Promontoire (3) ; & parce qu'on regardoit (3) Paufan. cet antre comme la porte de l'Enfer, on prit de là occafion in Lacon. de dire que ce Dragon étoit le portier de ces triftes demeures : & voilà l'origine de Cerbere, qu'on appella le chien de

l'Enfer (4), quoique ce ne fût qu'un Serpent. Homere eft le (4) Nat. 1 5. premier qui l'ait ainsi nommé. Il est vrai que dans la fuite on

(a) Murtadi dans fon Egypte. Voyez la Traduction qu'en a faite Vattier. Iii iij

a regardé Cerbere comme un chien à trois têtes, mais on ne s'eft pourtant jamais défait entierement de la premiere idée du Serpent de Tenare: auffi au lieu de poil, on disoit que fon col étoit environné de couleuvres (a); & même on ne lui donna trois têtes & trois langues, que parce que le mouvement rapide de la langue des Serpens en fait paroître trois, ou parce que leur langue eft faite à peu près comme un dard (b). On peut ajouter que l'Hiftoire d'Aidonnée, qui faifoit garder les mines par des dogues, peut auffi avoir donné lieu à la fable de Cerbere : & comme Hercule paffant par l'Epire, délivra Thefée, & emmena peut-être quelqu'un de ces dogues, on publia qu'il avoit enchaîné le Cer (1) Voyez bere (1).

Hift. d'Her

cule.

Mais l'opinion la plus commune eft que l'origine de cette fable vient de ce qu'Hercule par ordre d'Euryfthée alla chercher dans l'antre de Tenare le Serpent qui y faifoit son sé jour, & l'emmena enchaîné au Roi de Mycennes ;,& fi on a ajouté que Cerbere paffant par la Theffalie avoit vomi un ve nin qui en avoit empoisonné les herbes, c'eft qu'on trouvoit beaucoup de plantes venimeufes dans ce pays : ce qui a auffi donné occafion à toutes les fables des Sorcieres de cette con trée, qui attiroient, difoit-on, par leurs enchantemens la Lune fur la terre. N'oublions pas dire qu'Hefiode a cru que Cerbere étoit fils de Typhon & d'Echidne. Quelques Auteurs font venir l'étymologie de fon nom du mot Grec czyś (2) Bochart, carnivorans, qui fignifie dévorer de la chair (2). (3) In LaPaufanias parle ainsi (3) du Promontoire de Tenare, & de com cap. 25. la fable de Cerbere. « A cinquante ftades de Teuthrone, » vous avez le Promontoire de Tenare, qui avance confide » rablement dans la mer, & fous lequel il y a deux portes. Sur ce Promontoire eft un Temple de Neptune en forme de grote, & à l'entrée une Statue de ce Dieu. Quelques Poëtes ((a) Cui vates horrere videns jam colla colubris. Virg. En. 6.

liv. 8.

Quamvis furiale centum muniant angues čaput. Hor. l. 3. (b) Cui funt tres linguæ, tergeminumque caput. Tibull.

Sordidum tabo caput

Lambunt colubræ; viperis horrent jubæ,

Longoque torta fibilar canda draco. Sen in Her. Fur.

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Grecs ont imaginé que c'étoit par-là qu'Hercule avoit » emmené le chien de Pluton; mais outre que dans cette Grote il n'y a aucun foûterrain, il n'eft pas vraisemblable qu'un Dieu tienne fon Empire fous terre, ni que nos ames s'attroupent là après notre mort. Hecatée de Milet a eu une idée affez raifonnable, quand il a dit que cet endroit du Tenare fervoit de repaire à un Serpent effroyable, que l'on » appelloit le chien des Enfers, parce que quiconque en étoit piqué, mouroit auffi-tôt ; & il prétend qu'Hercule emmena ce Serpent à Euryfthée. Homere qui a parlé le premier du chien des Enfers qu'Hercule traîna après lui, ne le dif tingue par aucun nom propre, ni ne le dépeint, bien qu'il dépeigne la Chimere: mais ceux qui font venus après lui » ont appellé ce chien, Cerbere, lui ont donné trois têtes, & en ont fait un gros dogue; quoiqu'Homere, par le chien des Enfers, ait auffi-bien pu entendre un Dragon, qu'un - animal domestique

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CHAPITRE VII.

Des Fleuves d'Enfer.

'ACHERON eft un fleuve d'Epire, ou plûtôt de la Acheron. Thefprotie, qui prend fa fource au Marais d'Acheru

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fe (a), & fe déchargelprès d'Ambracie, autrement dite, l'Arte, dans le Golfe Adriatique

(a) Strabon, Liv. 7. quoique Platon, in Phad. dife qu'il entre dans l'Acherufe. Cependant Tite-Live, L. 8. appelle le lieu où ce fleuve, après avoir reçu les eaux de quelques autres ruiffeaux, fe jette dans la mer, le golfe Thefprotique: mais comme le paffage de cet Auteur parle en détail du cours de ce fleuve, il faut le rapporter ici. Il s'agit d'Alexandre Roi d'Epire, à qui l'Acheron devoit être fatal: Accito à Tarentinis in Italiam, data dictio erat, caveret Acherufiam aquam,Pan

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I

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