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excepter même Madame Dacier, qui prétend que par la corne qui eft transparente on a voulu marquer les fonges qui viennent de l'air, & par l'yvoire qui eft un corps opaque, ceux qui fortent de la terre. Que ceux-ci qui viennent des vapeurs terreftres font faux, pendant que les autres venant de l'air & du Ciel, font véritables. Le paffage de l'Ecriture qu'elle employe en cette occafion, ne paroît pas fait pour expliquer de pareilles rêveries (a). On peut demander ici fur quoi étoient fondés les voyages aux Enfers que firent la plupart des Héros de la Fable. Je crois que ce qui y a donné lieu, étoit l'évocation de l'ombre d'Euridice faite par Orphée. Comme il fut fort touché de la perte de fon épouse qu'un accident funefte lui enleva, il alla dans la Thefprotie où étoit un Oracle des Morts, & ce voyage fur déguisé dans le Poëme qui fut compofé à ce fujet, fous l'idée d'un voyage aux Enfers. Homere qui a imité cet ancien Poëme, y fait aufli defcendre Ulyffe, pour confulter l'ombre de Tirefias; ce prétendu voyage a, comme on l'a déja remarqué, tout l'air d'une évocation. La Fable publioit de même que Thésée & Pyrithous avoient fait le même voyage pour enlever Proferpine, ainsi qu'Hercule qui avoit délivré Thefée que Pluton retenoit prifonnier, & en avoit emmené le Cerbere. On y a fait auffi defcendre Bacchus, pour y aller confulter Semelé fa mere: Pindare y fait aller Perfée, & Virgile y fait conduire Enée par la Sibylle de Cumes. Enfin Herodote (b) raconte que Rampfinithe, Roi d'Egypte, étoit descendu dans le lieu où les Grecs difoient qu'étoit l'Enfer, qu'il y avoit joué aux dés avec Cerès, que quelquefois il avoit gagné, & quelquefois perdu; & que la Déeffe le renvoya avec un préfent qu'elle lui donna.

(a) Il eft dit dans l'Ecclefiafte, nifi ab Altiffimo emiffa fuerit vifitatio, ne dederis in illis cor tuum: Si les fonges ne viennent de Dieu, n'y mettez pas votre cœur. (b) Liv. 2. c. 122. Gronovius traduit le

mot grec κειρομακτρον χρύσεον, par Mantile aureum, ce qui fignifie en François un linge ou une ferviette d'or, ou plutôt brochée d'or.

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pag. 371.

C'E

CHAPITRE IX.

Des Juges d'Enfer.

'ETOIT encore des Egyptiens que les Grecs avoient emprunté l'idée des Juges d'Enfer, ainsi que nous l'avons dit après Diodore de Sicile. Cependant, à les entendre, cette Fable étoit très - ancienne parmi eux, ainfi qu'on le voit (1) In Gor- dans différens endroits de Platon. (1) Selon les anciennes gia pag. 523. traditions, difoit-on, on apprenoit qu'il y avoit eu dans tous in Axiop. les temps une loi établie, qu'au fortir de la vie les hommes fuffent jugés, pour recevoir la récompense ou le châtiment de leurs bonnes ou mauvaises actions. Sous le regne de Saturne, & dans les premieres années de celui de Jupiter, ce jugement se prononçoit à l'inftant même qui précedoit la mort; ce qui donnoit lieu à de criantes injuftices. Des Princes qui avoient été injuftes & cruels paroiffant devant leurs Juges avec toute la pompe & tout l'appareil de leur puiffance, & produifant des témoins qui dépofoient en leur faveur, parce qu'ils redoutoient encore leur colere tant qu'ils étoient en vie, les Juges, éblouis par ce vain éclat, & féduits par ces témoignages trompeurs, déclaroient ces Princes innocens, & les faifoient paffer dans l'heureuse demeure des Juftes. Il en faut dire autant à proportion des gens de bien, mais pauvres & fans appui, que la calomnie pourfuivoit encore jufqu'à ce dernier Tribunal, & trouvoit le moyen de les y faire condamner comme coupables.

La Fable ajoute que fur les plaintes réiterées qu'on en porta à Jupiter, & fur les vives remontrances qu'on lui fit, il changea la forme de ces Jugemens. Le temps en fut fixé au moment même qui fuit la mort. Rhadamanthe & Eaque, tous deux fils de Jupiter, furent établis Juges, le premier pour les Afiatiques, l'autre pour les Européens; & Minos au-deffus d'eux, pour décider fouverainement en cas d'obscu

rité & d'incertitude. Leur Tribunal eft placé dans un endroit appellé le Champ de la Vérité, parce que le menfonge & la calomnie n'en peuvent approcher. Là comparoît un Prince dès qu'il a rendu le dernier foupir, dépouillé de toute fa grandeur, réduit à lui feul, fans défense & fans protection, muet & tremblant pour lui-même après avoir fait trembler toute la terre. S'il eft trouvé coupable de crimes qui foient d'un genre à pouvoir être expiés, il eft relegué dans le Tartare pour un tems feulement, & avec affûrance d'en fortir quand il aura été fuffifamment purifié.

Minos, Eaque & Rhadamanthe, étoient donc les trois perfonnages qu'une exacte probité avoit fait choisir pour être les Juges de l'Enfer. Ce feroit ici le lieu de donner leur hiftoire; mais j'aurai une occasion plus naturelle d'en parler ailleurs dans l'histoire de la Grece, où ils joueront un grand rolle (1).

(1) Dans le Tome 3.

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CHAPITRE X.

Des Dieux de l'Enfer, Pluton, Cerès,* Proferpine, & Cotytto.

LUTON fils de Saturne & de Rhea ou Ops, étoit le plus jeune des trois freres Titans, qui échapperent à la cruauté de leur pere. Nous avons dit que dans le partage du monde l'Enfer lui étoit échû; c'est-à-dire, l'Italie, & enfuite l'Espagne. Aux raifons que j'ai apportées pour prouver que c'étoit de ces deux Pays que les Grecs avoient voulu parler, lorfqu'ils avoient dit que ce Prince avoit eu l'Enfer fon partage, je dois joindre celle que rapporte Diodore de Sicile, fçavoir, qu'on n'avoit publié cette fable que parce qu'il étoit le premier qui avoit établi l'usage d'enfevelir les corps,

Quoique Cerès foit au nombre des Divinités de la Terre, on joint fon Hiftoire avec celle de Pluton, à caufe de

pour

la liaison qui s'y trouve, & pour éviter
les répetitions.

de les tranferer dans un fépulchre, & de rendre d'autres hon neurs aux morts dont avant lui on ne prenoit aucun foin. Mais quelle apparence qu'on ait négligé des devoirs fi naturels jufqu'au temps de Pluton? Il eft donc beaucoup plus vraisemblable qu'il fut regardé comme le Roi des Enfers, parce qu'il vivoit dans des lieux fort bas par rapport à la Grece où Jupiter avoit etabli fon Empire; & voici les véritables fondemens d'une Hiftoire qu'on a fi fort défigurée.

Pluton retiré dans le fond de l'Espagne, s'appliqua beaucoup à faire travailler aux mines d'or & d'argent, qui étoient fort communes, furtout du côté de Cadis, où il alla s'établir (a). Sur quoi il eft bon de remarquer que quoique l'Espagne ne foit pas regardée aujourd'hui comme un pays fertile en métaux, cependant les Anciens nous en parlent com me d'une contrée où il y avoit beaucoup de mines d'or & d'argent on dit même par une efpece d hyperbole, que les montagnes & les collines étoient prefque toutes, des montagnes d'or (1); qu'auprès du Tartefe il y avoit une monta(2) Avienus. gne d'argent (2). Ariftote nous apprend que les premiers Pheniciens qui y aborderent, y trouverent une fi grande quantité d'or & d'argent, qu'ils firent leurs Ancres de la matiere précieu(3) L. 1.c.8. fe de ces metaux. L'Auteur du Livre des Machabées (3) parlant des Romains, dit que par la conquête de l'Espagne ils fe rendirent maîtres des mines d'or & d'argent qui étoient en ce Pays-là (b). Le Poëte Silius appelle l'Espagne une Campagne dorée (c).

(1) Poffidonius.

C'eft fans doute ce qui obligea Pluton, qui étoit habile dans cette forte de travail, d'établir fademeure vers le Tartele; & c'eft auffi ce qui le fit paffer dans la fuite pour le Dieu des richesses, & lui fit donner le nom de Pluton (d), au lieu

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de celui d'Agefilaus qu'il portoit ; ce qui l'a fait confondre fouvent avec Plutus le Dieux des richesses, dont on parlera dans le Chapitre suivant.

C'est, au refte, la fituation du Royaume de Pluton, qui étoit un pays fort bas à l'égard de la Grece, qui l'a fait paffer le Dieu de l'Enfer. D'ailleurs comme il faifoit fans pour ceffe travailler aux mines qui obligent ceux qui font deftinés à ce travail de fouiller bien avant dans la terre,& pour ainfi parler, jufques dans l'Enfer & dans les fombres demeures des Manes, pour les chercher (a), on a dit qu'il habitoit au centre de la terre. Ajoutez que ceux qui travaillent aux mines, y meurent ordinairement: ainfi Pluton étoit regardé comme le Roi des morts : le nom même qu'il portoit, Ades, fignifioit perte, mort (b).

D'ailleurs on regardoit l'Ocean fur les bords duquel il regnoit, comme un lieu couvert de ténebres; & c'eft - là je crois, le fondement de toutes les fables qu'on a débitées dans la fuite fur Pluton & fur fon Royaume. Il est vraisemblable, par exemple, que le fameux Tartare, ce lieu fi connu dans l'Empire de Pluton, vient de Tartefe, qui eft près de Cadis (c) le fleuve Lethé vient fans doute du Guadelethe, qui coule à l'oppofite de cette ville; & le lac Averne du mot Aharona, qui veut dire, qui eft aux extrémités; nom qu'on a donné à ce lac, qui eft près de l'Ocean: auffi Pluton eftil honoré spécialement à Ĉadis, fous le nom de la Mort, comme le remarque Philoftrate (d); de quoi on ne sçauroit douter, puifque les Pheniciens dont la langue s'étoit établie à Cadis avec les Colonies que leur Hercule y avoit conduites, appelloient Pluton Muth, qui parmi eux veut dire mort (e).

Au refte, tous les noms qu'on lui donnoit dans les différens Pays où il étoit honoré, ont tous rapport à cette qualité de Dieu des morts. Les Latins l'appelloient Sumanus (ƒ), les

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