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roues étoient faites comme des tambours. Les femmes mar choient à la fuite de ce chariot, criant bon jour, Mere Dio, & portant des caffettes dans lesquelles il y avoit des gâteaux, de la laine, des grenades & des pavots. Nul profane n'ofoit regarder ce chariot; & fi l'on fe trouvoit aux fenêtres, il falloit fe retirer. Le cinquiéme on marchoit toute la nuit dans les rues, pour imiter la recherche qu'avoit faite Cerès de fa fille. Le fixiéme, on conduifoit d'Eléufis à Athenes, la statue d'un grand jeune homme, couronné de Myrthe, & portant à la main droite un flambeau; on l'appelloit Iacchos, nom que M. le Clerc dérive du Phénicien Eaach, qui marque une in terjection de joie & de transport. En effet, on accompagnoit cette ftatue avec de grands cris de joye & des danfes; & il y a toute apparence qu'elle repréfentoit quelqu'un dé ceux qui accompagnerent Cerès dans fon affliction. Le feptiéme, on célebroit les jeux Gymniques, où les Combattans étoient nuds: c'étoient les plus anciens jeux de la Grece, inftitués en mémoire de l'invention du labourage. Le huitiéme jour étoit employé à l'initiation de ceux qui ne l'avoient pas été : ce jour étoit nommé Epidauria, parce qu'Efculape étoit arrivé ce jour-là d'Epidaure pour être initié, ce qu'on avoit bien voulu faire en fa faveur. Le neuviéme étoit employé à remplir deux Vaisseaux avec de l'eau, après quoi on les versoit en prononçant quelques paroles, par lefquelles il sembloit qu'on demandoit à la Déeffe de la pluye, pour rendre la ter(1) M. le re féconde (1),& ce jour-là fe nommoit Plemechoé, comme qui Clerc. loc. cit. diroit un vaiffeau de terre, plat au fond.

Tels étoient les plus grands Mysteres de la Grece, & auf quels prefque tout le monde vouloit être initié : tout y repréfentoit l'hiftoire de Cerès, fes loix, & le foin qu'elle avoit pris de l'agriculture. Le fecret y étoit furtout extrêmement recommandé, moins pour en cacher les abominations, que, comme le prétend M. le Clerc après Meurfius & quelques Anciens , parce qu'on découvroit aux initiés la véritable hiftoire de Cerès & de fa fille, qu'il étoit important de cacher au Public, de peur que venant à fçavoir que ces deux prétendues Déeffes n'avoient été que deux femmes mortelles,

leur culte ne devînt méprifable. Ciceron favorife cette opinion (1) en infinuant que c'étoit l'humanité de Cerès & de (1) Tufe. fa fille, le lieu de leurs fepulcres, & plufieurs autres chofes Quæft. 1. 1. de cette nature, que l'on tenoit cachées avec tant de foin. Cependant, il eft bon de fçavoir qu'on permettoit aux initiés de s'en entretenir entr'eux, ce qui faifoit que le fecret les incommodoit moins.

Enfin il me refte, avant que de terminer l'hiftoire de Cerès, à dire de quelle maniere on la repréfentoit, & quelles victimes on lui immoloit. Cerès paroît ordinairement fur les monumens anciens, comme comme une femme ayant le fein fort gros, couronnée d'épics, & tenant à la main une branche de pavot; circonftance qui fait allufion à ce que difent quelques Auteurs, que Cerès étant arrivée dans la Grece, on lui donna quelques grains de pavot pour lui procurer le repos dont elle n'avoit pas joui depuis l'enlevement de fa fille; & parce que d'ailleurs cette plante eft très-fertile. On lui offroit les prémices des fruits; on lui immoloit la truye, parce que cet animal eft fort nuisible aux femences. On ne fe fervoit point dans fes facrifices de couronnes de fleurs, mais de myrthe ou de narciffes, pour marquer le dueil qu'elle avoit porté depuis l'accident de Proferpine ; & les Siciliens pour imiter leur Reine, couroient la nuit avec des torches à la main; c'étoit une des principales de leurs fêtes, comme on l'a dit.

Au refte, quoiqu'il ne foit ni nécessaire ni poffible d'expliquer toutes les circonftances de ces fables, je voudrois pourtant bien que quelqu'un voulût hasarder quelques conjectures fur celles-ci. On dit que pendant que Cerès cherchoit fa fille, Neptune qui la rencontra, en devint amoureux ; que la Déeffe s'étant cachée fous la forme d'une Jument, le Dieu de la Mer fe changea en Cheval pour la féduire; dont elle conçut un fi grand déplaifir, qu'après s'être lavée dans un fleuve, elle alla fe cacher dans une caverne. Cependant la stérilité & la peste commençant à ravager toute la terre pendant l'absence de la Déeffe, les Dieux la firent chercher de tous côtés, fans qu'on en pût apprendre aucunes nouvelles, jufqu'à ce que Pan en gardant les troupeaux la découvrit, & en avertit Jupiter :

C. 13.

Cotytto.

celui-ci envoya les Parques, qui par leurs prieres lui firent quit ter fa retraite. Cette caverne étoit en Sicile, & on y voyoit une ftatue de Cerès vétûe de noir, avec une tête de cheval, tenant une colombe à une main, & un dauphin à l'autre. Les Siciliens l'appelloient Cerès la noire ou l'Erynnys, parce que l'outrage que lui avoit fait Neptune l'avoit rendue furieuse.

Je fçais que les Mythologues découvriront dans cette fable plusieurs belles allégories; heureux qui rencontrera la véritable. En attendant, j'avancerai ici, que peut-être on n'a eu d'autre but par toute cette fiction, que de nous apprendre que Cerès en cherchant fa fille par mer & par terre reçut quelque infulte d'un Corfaire dont le Vaiffeau portoit la figure d'un Cheval ; ce qu'on a enveloppé fous la fable myftérieuse que je viens de rapporter.

Je joins Cotytto à Proferpine, parce que plufieurs Mythos logues croyent que ce n'étoit qu'un furnom de cette Déesse, fondés fur la reffemblance des myfteres de Cerès & de Proferpine, avec ceux que les Athéniens célébroient en l'honneur de Cotytto. Il eft vrai que dans les uns & dans les autres il se commettoit beaucoup d'infamies; mais cela ne fuffit pas pour nous perfuader que Cotytto n'étoit qu'un furnom de Proferpine, & je crois que c'étoient deux Déesses très-différentes l'une de l'autre ; c'eft du moins le fentiment de Stra (1) Liv. 10. bon ( 1 ), qui dit que Còtytto étoit une Déeffe honorée dans la Thrace; & Synefius dans fes Epîtres, penfe comme Strabon. Les Prêtres de Cotytto s'appelloient Baptes, & étoient re gardés avec raifon comme les derniers de tous les hommes; par les infamies dont ils fe fouilloient impunément. Il falloit en effet qu'ils pouffaffent la débauche bien loin, puifque Juvenal qui les peint d'un feul coup de pinceau, dit qu'ils fatiguoient leur Déeffe Cotytto, qui étoit elle-même a Déeffe de la débauche.

(2) Sat. 2.

Cecropiam foliti Bapta laffare Cotytto (2).

Les Atheniens avoient reçu des Thraces les myfteres de cette affreuse Déeffe, qui s'appelloient Cotyttées, & les célebroient avec beaucoup de folemnité; mais d'une maniere mysterieuse

myfterieufe & cachée, comme le dit le même Juvenal. Eupolis avoit fait une Comédie intitulée, Cotytto, où il railloit ces Myfteres, & en particulier Alcibiade qui y participoit ; ce qui coûta la vie à ce Poëte.

Si nous en croyons l'ancien Scholiaste de Juvenal, c'est de ces Myfteres, & des infamies qui s'y commettoient, que parle Canidie dans Horace (1):

Inultus ut tu viferis, Cotyttia
Vulgata, facrum liberi cupidinis.

Quoi donc, après t'être mocqué hautement des Mysteres de la
Déeffe Cotytto, après avoir divulgué les libertés que l'amour y
a confacrées, tu te flatteras encore de l'impunité ?

(1) In Canid, 1.5. Od. 9.

C

CHAPITRE XII.

Plutus Dieu des Richeffes.

OMME nous allons chercher les richeffes jufqu'au sein des ombres, dit Pline, & qu'elles nous conduisent au fombre Royaume des morts, c'eft avec quelque forte de raifon qu'on a cru devoir mettre Plutus au nombre des Dieux de l'Enfer. Et plût à Dieu, s'écrioit le Poëte Timocreon (a) en apoftrophant ce Dieu, que tu fuffes toujours demeuré dans ce trifte féjour, & qu'on ne t'eût jamais vû ni fur la terre, ni fur la mer.

Quelques Anciens ont cru fur le rapport de la reffemblance des noms, que Plutus & Pluton n'étoient qu'un même Dieu; mais le plus grand nombre les a toujours diftingués. Tout le monde convient avec Hefiode que le dernier étoit fils de Chronos ou Saturne & de Rhea; or le même Poëte affure (2) que Plutus devoit le jour à Cerès & à Jafion. Cerès, (2) Theog.

() Voyez Lyl. Gyr. Synt. 6. qui a rapporté le Fragment de cet ancien Poëte Gree.
Tome II.
Ooo

in fine.

1

(1) Liv. 5.

(2) Ant.

1. 1. c. 53.

(3) Cœl Poet. in Arto

phylace.

dit-il, ayant eu commerce avec le Heps Jafion, en eut un fils nommé Plutus, dont elle accoucha dans l'Ile de Crete, & qui fut très-puissant sur terre & fur mer.

Je n'ignore pas que l'ancien Scholiafte d'Hefiode, fuivi en cela par plufieurs autres Auteurs tourne en allégorie cette généalogie de Plutus, & prétend que c'eft avec raison qu'on avoit dit qu'il étoit fils de Cerès & de Jasion, qui toute fa vie s'étoit appliqué à l'Agriculture, puifque c'est par ce moyen qu'on fe procuré de folides richeffes.

Diodore de Sicile (1) qui penfe de même que cet ancien Scholiafte, donne une autre origine à Plutus. Jafion dit-il, étant demeuré dans l'Ile de Samothrace, pendant que fon frere Dardanus étoit allé s'établir fur les côtes de la Troade, y reçut Cadmus, & lui donna en mariage fa four Harmonie ; car, dit cet Auteur, les Mythologues Grecs fe trompent lorsqu'ils foutiennent qu'elle étoit fœur de Mars. Les Dieux, ajoute Diodore, voulurent fe trouver à la célébration de ce mariage, & ce fut la premiere fois qu'ils affifterent à une pareille céremonie. Chacun d'eux y vint avec son prefent, & Cerès qui aimoit tendrement Jafion, y porta du bled. Et c'eft là, felon cet Ecrivain, l'origine de la fable. Jasion, continue-t-il au même endroit, époufa enfuite Cybe le, & fut mis au rang des Dieux.

Denys d'Halicarnaffe, Auteur auffi exact que bien inftruit des Antiquités Grecques & Romaines, parle ainsi de ce perfonnage (2): Jupiter ayant époufé Electre fille d'Atlas, en eut deux, fils Dardanus & Jafus. Celui-ci ne fut point marié; mais Dardanus époufa Chryfe fille de Palas, dont il eut Idée & Dimante, qui lui fuccederent; mais un déluge particulier à l'Arcadie où ils regnoient, ayant obligé Jafus & Dardanus d'en fortir, ils allerent chercher fortune ailleurs. Dardanus devint enfin le chef de la colonie, parce que fon frere Jafus fut écrasé d'un coup de foudre, pour avoir attenté à l'honneur de Cerès. Homere dit la même chose au fujet de la mort de Jasion, auffi bien qu'Hermippus, dans Hygin (3). L'existence de Jasion n'eft donc pas une chofe douteufe: & puisque c'étoit un homme riche & puiffant, ce qui l'a fait

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