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paffer pour l'amant de Cerès, ne pourroit-on pas ramener à l'hiftoire toute cette fiction, & dire qu'on donna à fon fils le nom du Dieu des Richeffes? Il faudroit, dira-t-on, avoir quelque autorité, fur laquelle on pût prouver qu'il eut un fils appellé Plutus; mais s'il ne faut que cela, cette autorité ne manque pas. Hygin dans l'endroit que j'ai déja cité, rapporte le témoignage d'un ancien Hiftorien de la ville de Gnoffe dans l'Ifle de Crete, nommé Petellidès, qui l'affûre pofitivement. « De Cerès & de Jafion, difoit cet ancien Hif"torien, nâquirent deux fils, Philomelus & Plutus, qui fe reffemblerent peu. Le dernier qui étoit extrémement riche, ne faifoit aucune part de fon bien à fon frere; celuici vendit le peu de bien qu'il avoit, en acheta deux boeufs, » & fe mit à labourer la terre, & il fut le premier qui s'appliqua à l'agriculture. Sa mere Cerès après avoir admiré l'art que fon fils venoit d'inventer, le plaça parmi les Aftres, où il forme le Bootes, ou l'Artophylax ». Voilà donc fuivant l'autorité d'un ancien Hiftorien, qu'Hygin ne contredit pas, un fils de Jasion, nommé Plutus, homme très - riche, & qui par confequent doit être le Dieu des richesses adoré par les Grecs (a).

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Quel qu'ait été le Plutus Dieu des Richeffes, comme on croyoit qu'il les difpenfoit fort mal, on dit qu'il étoit aveugle, de même que l'Amour. Ariftophane, dans la Comédie qui porte le nom de Plutus, ajoute qu'il étoit auffi boiteux, parce que quand il faifoit tant que d'enrichir les gens de bien, il n'arrivoit que très-lentement chez eux; que cependant quand il venoit à les favorifer, on difoit qu'il étoit trèsclair-voyant, & avoit de bons yeux. On fçait de quelle maniere ce Poëte comique raille les Atheniens au fujet de ce Dieu, & comment, lorfque le bon Chremyle lui a rendu la vûe, il le

(a) Ex his (id eft Cerere & Jafione,) ut Petellides Gnoffius hiftoriarum fcriptor demonftrat, nafcuntur filii duo Philomelus Plurus , quos negant inter fe conveniffe: nam. Plutum qui ditior fuerit, nihil fratri fuo de bonis conceffiffe: Philomelum autem neceffario adductum, quodcumque habuerit,

vendidiffe,ex eo boves duas emiffe, & ipfum primum plauftrum fabricatum effe. Itaque arando & colendo agros ex eo fe aluiffe. Cujus matrem inTentum miratam,ut arantem eum inter fidera conftituiffe, & Bootem appellaffe. Hygin Cal. Poet. Aftr. in Artophy.

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met à la place de Jupiter, & n'invoquent plus que lui.

Pindare, Ariftophane & Lucien, difent que Plutus étoit un Dieu timide, d'où Erasme a pris occafion de faire un de fes proverbes; mais Plutus fe défend lui-même de cette qualification, dans la Comédie que j'ai déja citée, & dit que comme les Voleurs n'avoient jamais pu l'attraper, c'eftà-dire, n'avoient jamais poffedé de grandes richeffes, ils ont traité fa prévoyance de timidité.

Saint Jerôme, fuivi de plufieurs Ecrivains Eccléfiaftiques, pretend que le mot Syrien ou Chaldéen Mammona, étoit la même chofe que le Plutus des Grecs; il eft vrai que ce mot fignifie les richeffes, & que dans la Genefe & dans Job, Mathmon eft pris pour les tréfors; mais cela, je crois, ne prouve pas que les Syriens & les Chaldéens ayent fait un Dieu de ces mêmes richeffes.

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I on a reproché avec justice aux Payens d'avoir suivi une Théologie licentieufe, fuivant laquelle les Dieux euxmêmes avoient donné l'exemple des plus grands déreglemens, on doit du moins leur rendre juftice fur quelques dogmes où ils avoient confulté une raifon plus éclairée : tel eft entre autres celui des Furies, établies pour châtier dans l'autre monde ceux qui avoient mené une vie déreglée dans celui-ci. Quoique j'aye traité particulierement ce fujet dans une Differtation imprimée dans les Mémoires de l'Académie des (1) Tom. 7. Belles-Lettres (1); je ne fçaurois me dispenser d'en mettre ici l'abregé.

Lorsqu'on recherche l'origine des Dieux du Paganisme, on eft obligé d'avoir recours aux Poëtes qui en ont fait la généalogie; mais on apperçoit bientôt qu'ils n'avoient d'autres guides qu'une tradition confufe, qui leur laiffoit toujours la liberté de choisir le sentiment qui leur paroiffoit le plus mystérieux. (1. Liv. 1. En effet, Apollodore (1) dit que les Furies avoient été for◄

1. 1.

(2) Theog.

(3) Opera

mées dans la mer du fang qui fortit de la playe que Saturne
avoit faite à fon pere Coelus. Hefiode qui les fait plus jeunes
d'une génération (2), les fait naître de la Terre, qui les avoit
conçues du fang de Saturne; mais le même Poëte dans un
autre Ouvrage (3), tant les principes de la Théologie qu'il
fuivoit étoient peu sûrs, afsûre que ces Déeffes étoient filles & dies.
de la Difcorde; & pour donner une plus grande preuve de
fon exactitude, il ajoute qu'elles étoient nées le 5è. jour de
la Lune, sentiment que Virgile a fuivi dans fes Géorgiques (a);
ayant ainsi assigné à un jour que les Pythagoriciens croyoient
confacré à la Justice, la naiffance des Déeffes qui devoient
la faire rendre avec la derniere rigueur.

Lycophron (4) & Efchile (5) prétendent que les Furies (4) In Alex. (5) In Euétoient filles de la Nuit & de l'Acheron. L'auteur d'une Hym- menid. ne adreffée aux Eumenides afsûre qu'elles doivent leur naissance à Pluton & à Proferpine; Sophocle (6) les fait fortir de la (6) In Oedip. Terre & des Ténebres, & Epimenidès dit qu'elles étoient fœurs de Venus & des Parques, & filles de Saturne & d'Evonyme. Si je voulois faire ici quelque étalage d'érudition, je m'étendrois fur ce que difent les Mythologues & les Commentateurs à l'occafion des différentes origines que je viens de rapporter mais faut-il un grand effort d'imagination, pour appercevoir que ces Poëtes ont fuivi en cela les traditions de leur temps & de leur Pays? ou que chacun a donné à ces divinités les parens qui paroiffoient le mieux convenir à leur caractere; & que n'ayant rien de sûr ni de raifonnable à nous débiter fur ce fujet, ils ont du moins voulu donner à leurs génealogies un air de mystere qu'on n'osoit pas toujours approfondir? Je crois qu'il faut remonter plus haut pour trouver la véritable origine des Divinités dont je parle.

On a penfé qu'il devoit y avoir après cette vie des lieux deftinés pour punir les méchans & pour recompenfer les bons; & c'eft fans doute fur cette idée que furent formés les Champs Elyfées & l'Enfer : & comme on y établit des Juges pour rendre à chacun la juftice qu'il méritoit, on imagina des Furies

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pour leur fervir de miniftres & exécuter les fentences qu'ils avoient portées contre les fcélérats. Peut-être même (cat après tout l'idolâtrie a fuivi de trop près la véritable Religion, pour n'en avoir pas confervé quelques vérités;) peut-être, dis-je, qu'une connoiffance confufe de la chute des Anges & de leur punition, a donné lieu à l'introduction des Furies, qui font elles-mêmes des démons deftinés à tourmenter les coupables; & voilà fans doute la véritable origine de ces divinités ; c'est-là ce qui les a fait inventer par ceux qui ont fuivi cette idée naturelle, qu'il devoit y avoir après cette vie des récompenfes & des châtimens. Car quoique cette vérité ait été défigurée par les fables abfurdes qu'on y a mêlées, il eft aifé de diftinguer le fond du dogme, d'avec les voiles dont on a été obligé de le couvrir pour le rendre plus familier.

C'étoit-là où devoient nous conduire les Philofophes, qui avoient fans doute des idées plus faines que le Peuple, & (1) Liv. 3. ne pas dire avec Lucrece (1), que tout ce qu'on publioit de P'Enfer n'étoit que pour cette vie (a).

(2) Gryph.

num. ternarii.

(3) In Herc.

Si les Anciens ont varié fur l'origine des Furies, ils n'ont pas été plus uniformes fur leur nombre: d'abord il paroît qu'ils n'en admettoient que trois, Tifiphone, Megere, & Alecto; & ces noms qui fignifient, rage, carnage, envie, &c. leur conviennent parfaitement (b). Aufone même en a fait une espece d'axiome (2): il y a trois Gorgones, trois Harpies, & trois Parques. Euripide (3) met la Déeffe Liffa au nombre des Furies, parce qu'elle infpiroit la fureur & la rage, d'où elle avoit tiré fon nom. Junon dans ce Poëte ordonne à Iris de la conduire armée de ferpens auprès d'Hercule pour lui infpirer cette fu(4) De fera reur qui lui fit enfin perdre la vie. Plutarque (4) ne reconnoît Numin. vin- qu'une Furie, qu'il nomme Adraftie, fille de Jupiter & de la Néceffité, & c'étoit elle, felon cet Auteur, qui étoit le feul Miniftre de la vengeance des Dieux.

furente.

dicta.

(a) Arque ea nimirum quæcumque. Ache- |
ronie profundo

Prodita funt effe; in vita funt omnia

nobis.

(b) Tifiphone, quafi rivis i póvas.

Megere vient de uyalpe, invideo, on
de μydan Epis, grande contention: &
Alecto, qui n'a ni ceffe ni repos. Voyez
Phurnutus.

De la maniere dont Virgile peint les Harpyes, il paroît qu'il les met auffi au nombre des Furies: il leur en donne même le nom, lorsqu'il dit en faisant parler Celeno (1), Vobis Furiarum maxima pando.

Enfin la Déeffe Némefis, ou les Nemefes, car on en reconnoiffoit plus d'une, doivent être mifes auffi au nombre des Furies. Elles en ont tout le caractere : filles de la Nuit & de P'Ocean, elles étoient deftinées à examiner les actions des hommes, à punir les méchans & à récompenfer les bons.

(1) Eneid. 1. 3.

Outre ces trois noms particuliers, les Anciens en avoient donné d'autres à ces trois Déeffes. Les Latins les appelloient Furies, à caufe de la fureur qu'elles infpiroient; & les Grecs Erynnyes, comme qui diroit pas v8, contentio mentis, ou parce que, comme le remarque Paufanias, pavvue fignifie tomber en fureur. Les Sicyoniens, au rapport du même Auteur, les nommoient déμvas bras, les Déeffes refpectables, & les Athéniens μavia (2). Enfin, après qu'Orefte les eut appaifées par (2) InArcad. des facrifices, on les appella Eumenides, ou bienfaifantes; car & in Atticis. je ne fuis point du fentiment de Lylio Giraldi, qui dit qu'elles furent ainfi nommées par contre vérité, quòd minimè fint

benevola (3): l'occasion feule qui leur fit donner ce nom, dé- (3) Synt 6. ment cette étymologie. Les Poëtes Grecs & les Latins donnent souvent aux Furies des épithetes qui marquent, ou leur caractere, ou leur habillement, ou les ferpens qu'elles portoient au lieu de cheveux, ou les lieux où elles étoient honorées : c'eft ainfi qu'Ovide (4) les appelle les Déeffes de Pa- (4) Faft. 1. 4. leftine, lorfqu'il parle de la fureur qu'elles infpirerent à Atys.

Il n'eft pas difficile de voir, après ce que je viens de dire, quelles étoient les fonctions des Furies. L'antiquité les a toujours regardées comme les Miniftres de la vengeance des Dieux, & comme des Déeffes feveres & inexorables, dont l'unique occupation étoit de punir le crime, non seulement dans les Enfers, mais même dès cette vie, pourfuivant fans relâche les fcélérats par des remords qui ne leur donnoient aucun repos, & par des vifions effrayantes qui leur faifoient fouvent perdre le fens. Il faudroit copier prefque tous les Poëtes, fur tout Euripide, Sophocle & Seneque, fi on

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