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vouloit rapporter tout ce qu'ils difent des fureurs de ceux qu'elles tourmentoient. On fçait avec quels traits Virgile peint le défordre que caufa une de ces Furies à la Cour de Latinus. Ce que fit Tifiphone à l'égard d'Etheocle & de Polynice, n'est (1) Thebaid. ignoré que de ceux qui n'ont point lû Stace (1).Ovide représente avec la même vivacité tout le ravage que caufa à Thebes la (2) Met. 1.4. Furie que Junon avoit envoyée pour se venger d'Athamas (2); & tout ce que fit endurer à Ifis une autre Furie que la même Déeffe avoit fufcitée pour la perfécuter. Mais de tous ceux que ces implacables Déeffes ont tourmentés, personne n'a été un exemple plus éclatant de leur vengeance que le malheureux Orefte; & les Théâtres de la Grece ont fouvent retenti des cris de ce parricide qu'elles pourfuivoient avec tant de fureur.

Les Furies étoient occupées non feulement à punir les coupables, mais aussi à châtier les hommes par des maladies, par la guerre, & par les autres fleaux de la colere célefte. Cependant Virgile femble avoir partagé ces différentes fonctions entre les trois Furies, de maniere que Tifiphone étoit em(3) Georg. ployée pour les maladies contagieufes (3) ; que les fonctions d'Alecto regardoient particulierement les défordres de la (4) Eneid. guerre (4); fuivant cette même idée,Stace a nommé cette Furie la mere de la guerre (5) : enfin lorsqu'il s'agiffoit de faire mou(5) Theb. rir quelqu'un, c'étoit ordinairement de Megere que les Dieux fe fervoient.

liv. 3.

1.7:

1. 4.

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Ciceron a rapporté à un trait de morale fort judicieux toutes les différentes fonctions des Furies. Ne vous imaginez » pas, dit-il, que les impies & les fcélérats foient tourmen »tés par les Furies, qui les poursuivent avec leurs torches » ardentes. Les remords qui fuivent le crime, font les véritables Furies, dont parlent les Poëtes. C'eft fans doute ce témoignage d'une mauvaise confcience, ce vers rongeur qui perfécute fans relâche les coupables, & dont Neron avouoit (6) In Ne- lui-même, au rapport de Suetone (6), qu'il n'avoit jamais pu fe délivrer.

ron.

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Des Déesses si redoutables s'attirerent des hommages particuliers. En effet, le refpect qu'on leur portoit étoit fi grand,

qu'on

ne.

qu'on n'ofoit prefque les nommer, comme le dit Euripide dans fon Orefte, ni jetter les yeux fur leurs Temples on regarda, fi nous en croyons Sophocle (1), comme une im- (1) In Oepiété, la démarche que fit Edipe, lorfqu'allant à Athenes dip. Epicolecomme fuppliant, il fe retira dans un bois qui leur étoit confacré dans le bourg de Colone; & on l'obligea avant que de fortir, de les appaifer par un facrifice, dont ce Poëte & Theocrite dans fa Pharmaceutrie, nous ont laiffé la defcription. Les habitans de Colone lui commanderent de répandre de l'eau de fontaine, & de la puiser dans des Vaiffeaux dont les anfes étoient couvertes avec de la laine d'un jeune agneau: enfuite de quoi s'étant tourné du côté du Soleil levant, il fit une libation avec de l'Oxicrat, & jetta à terre par trois fois neuf branches d'Olivier: on lui défendit furtout de mêler du vin dans ce facrifice.

Les Furies avoient des Temples dans plufieurs endroits de

:

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la Grece les Sicyoniens, fi nous en croyons Paufanias (2), (2) In Arleur facrifioient tous les ans au jour de leur fête, des brebis cad. pleines, & leur offroient des couronnes & des guirlandes de fleurs, furtout de Narciffe, felon Sophocle & Phurnutus plante chérie des divinités infernales, à cause du malheur arrivé au jeune Prince qui portoit ce nom (a). Elles avoient auffi un Temple en Achaïe dans la Ville de Coryne, où l'on voyoit leurs ftatues qui étoient de bois & affez petites (3). Ce (3) Idem in lieu étoit fi fatal à ceux qui étoient coupables de quelques Achaicis. crimes, que dès qu'ils y étoient entrés, ils étoient failis d'une fureur fubite qui leur faifoit perdre l'efprit: tant la préfence de ces Déeffes, jointe au fouvenir du crime, leur caufoit de trouble. Il falloit même que ces exemples fuffent arrivés plus d'une fois, puifqu'on fut obligé, comme le dit Paufanias, d'en défendre l'entrée. Ce même Auteur ajoute que les ftatues de ces Déeffes n'avoient rien de fingulier ni de fort recherché, mais qu'on en voyoit dans le Veftibule plufieurs autres en marbre, d'un travail exquis, qui repréfentoient des femmes

(a) Euftathe fur le 1. Livre de l'Iliade, dit que la raison pourquoi on offroit le Narciffe aux Furies, venoit de l'étymologie de ce mot vapaa, torpere, quia Furia torporem immittebant fceleratis.

Tome II.

PPP

Midiam.

Attic.

qu'on croyoit avoir été les Prêtreffes de ces Divinités. C'eft le feul endroit que je fçache, où il foit dit que les Furies avoient des Prêtreffes, puifqu'on fçait d'ailleurs que leurs Miniftres étoient des hommes, que les habitans de Tilphufe en Arcadie, nommoient Hefichides. Demofthene avoue lui-même avoir (1) Orat. in été Prêtre de ces Déeffes (1), dans le Temple qu'Orefte leur (2) Pauf. in avoit fait bâtir auprès de l'Areopage (2). On dit que Perilas oncle de Clytemneftre cita ce Prince infortuné à ce fevere (3) Id. in Tribunal (3); & que fa cause ayant été examinée avec beaucoup de foin, & les fuffrages des Juges fe trouvant égaux, Minerve ajouta le fien, & le fit abfoudre; c'eft-à-dire, que la fageffe & l'équité l'emporterent enfin fur les brigues & le credit de fa partie. Tous ceux qui paroiffoient devant ces Juges, étoient obligés d'offrir un facrifice dans le même Temple, & de jurer fur l'Autel des Furies, qu'ils étoient prêts à dire la vérité.

Arcad.

Mais de tous les Temples dédiés à ces Divinités, il n'y en avoit point après celui de l'Areopage, de plus connus que les deux que leur fit bâtir le même Orefte en Arcadie. Ce (4) Près de fut dans cette partie du Peloponnefe que les Furies (4) lui apMegalopolis. parurent pour la premiere fois ; ce qui le fit tomber dans une fi grande fureur, qu'il fe mangea le doigt: s'étant retiré de là près d'un champ nommé Até, les mêmes Déeffes fe firent voir avec des habits blancs & un vifage plus doux ; ce qui rétablit le calme dans fon efprit. Orefte fit élever deux Temples dans ces deux endroits, & offrit aux Furies noires des facrifices expiatoires pour appaifer les manes de fa mere, & aux Furies blanches un facrifice d'actions de graces. Ce fut, pour le dire en paffant, à cette occafion que les Furies prirent le nom d'Eumenides. Ajoutons que les Temples des Furies étoient un afyle affûré pour ceux qui s'y retiroient. Pau(5) In Achaic. fanias (5) remarque qu'après la mort de Codrus, les Doriens qui en étoient coupables, auroient tous été punis de mort par les Juges de l'Areopage, s'ils ne l'avoient évitée en se refugiant dans le Temple de ces Déeffes.

Quoique le culte des Furies n'ait pas fait en Italie autant de progrès que dans la Grece, les Romains ne les avoient

(1) Lib. 5

pourtant pas oubliées; & nous apprenons de Varron (1) & de Ciceron, que la Déeffe Furine, que ce dernier croit être de ling. lat. la même que les Furies, avoit un Temple à Rome dans la quatorziéme region, & un bois facré ; & que le jour de fa fête, qui s'appelloit les Furinales, étoit marqué dans le Calendrier & dans les Faftes, le fixiéme avant les Calendes de Septembre.

Outre le Narciffe on se servoit auffi dans leurs facrifices, de branches de cedre, d'aulne, de l'aubépine, du fafran, & du geniévre; on leur immoloit des brebis & des tourterelles, comme nous l'apprenons d'Elien (2), & l'on employoit (2) De An dans leurs facrifices les mêmes céremonies que dans ceux des autres Divinités infernales.

L'Auteur du Poëme des Argonautes fait une belle defcription d'un de ces facrifices, que Medée offrit pour Jafon avant son combat avec le Dragon qui gardoit la Toifon d'or, & où elle invoque les Furies. D'abord elle fait trois foffes, dans lesquelles elle répand le fang des Victimes, en prononçant quelques paroles pour évoquer ces Divinités : enfuite elle éleve un bûcher de bois de cyprès, d'aulne, de geniévre & d'aubépine, fur lequel elle fait brûler les brebis noires qu'elle venoit d'égorger; & après avoir fait plufieurs libations avec du vin doux & d'autres liqueurs compofées avec du miel, comme si elles avoient été plus propres à adoucir l'humeur severe de ces Déeffes, elle crut enfin les avoir renduès favorables à fon Amant.

Paufanias remarque (3) que dans les premiers temps les Statues de ces Déeffes n'avoient rien de different de celles des autres Divinités, & que ce fut le Poëte Efchile, qui les fit paroître le premier dans une de fes Tragédies, avec cet air hideux & ces ferpens qui les rendirent fi redoutables, que la premiere représentation de fa Piece devint funefte à un grand nombre de Spectateurs. L'idée de ce Poëte fut fuivie, & ce portrait des Furies paffa du Théâtre dans les Temples : il ne fut plus queftion de les reprefenter autrement qu'avec un visage trifte & un air effrayant, avec des habits noirs & enfanglantés, ayant au lieu de cheveux des ferpens entortillés

mal. 1. 10. C. 46.

cad.

(3) In Ar

autour de leur tête, une torche ardente à une main, & un fouet de ferpens à l'autre, & pour compagnes, la Terreur la Rage, la Pâleur & la Mort. C'est ainsi qu'affifes autour du trône de Pluton dont elles étoient les premiers Miniftres, elles attendoient fes ordres avec une impatience qui marquoit toute la fureur dont elles étoient poffedées.

Nous avons peu à préfent de figures antiques de ces Déeffes; on voit feulement fur un Abraxas publié par M. Chifflet, leurs trois têtes, avec des ferpens, pendus à un arbre, & autour, le mot lao; & dans une lampe de Licetti, qui représente un homme mort couché fur un lit, les têtes de deux Furies avec une face horrible. On a outre cela deux Medailles Grecques, l'une du Cabinet du Roi, frappée fous le le jeune Gordien par les habitans de Lyrba, ville de l'Afie mineure; & l'autre par ceux de Maftaura ville de Lycie, où elles font représentées avec des ferpens, des clefs, des torches allumées, & des poignards dans les mains, fans que leurs vifages ayent rien d'effrayant : celles de la premiere de ces deux Medailles, ont des boiffeaux fur la tête, & celles de la feconde, des feuilles ou des plantes, & les cheveux à l'ordinaire. Mais au défaut du marbre & du bronze, les (1) Eneid. Poëtes, furtout Virgile (1), nous ont laissé dans leurs Ouvrages des portraits de ces Déeffes, qui en représentent bien le caractere.

liv. 6.

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Les Parques, le Deftin & les Deftinées.

L n'y avoit point de Divinités dans le Paganisme qui euffent un pouvoir plus abfolu que les Parques. Maitreffes du fort des hommes, elles en regloient les deftinées : tout ce qui arrivoit dans le monde étoit foumis à leur Empire, & l'on fe tromperoit fi l'on s'imaginoit que leurs fonctions se bornoient à filer nos jours, puifque je ferai voir que le mouvement des Spheres céleftes, & l'union des principes qui forment le monde, étoient auffi fous leur jurifdiction; car les Philofophes, comme les Poëtes, ont parlé du pouvoir de ces

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