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diamant, qui touche d'un bout à la terre, pendant que l'autre fe perd dans les cieux : la Néceffité placée fur un Autel fort élevé, tient ce fuseau entre fes genoux, & les trois Parques qui font au pied de l'Autel, le tournent avec leurs mains. Plutarque (a) debite fur le même fujet une Philofophie qui n'eft gueres moins fubtile. Atropos, felon lui, placée dans la Sphere du Soleil, repand fur la terre les premiers principes de la vie; Clotho qui fait fa réfidence dans le Ciel de la Lune, forme les nœuds qui lient ces femences éternelles, & Lache fis dont le fejour eft fur la terre, préfide aux destinées qui

nous gouvernent.

Après ce que je viens de dire, on croiroit aifément que le nombre des Parques fe réduit à trois, & qu'elles n'ont d'au tres noms que ceux que je leur ai déja donnés si souvent; mais on va voir que les Anciens varioient autant fur ces deux articles, que fur ceux que je viens d'expofer. En effet, ils different également fur les noms des Parques & fur leur nombre. Leurs noms génériques dans les auteurs Grecs, font ceux de moieя, ďaioa, xp, μ. Le premier avoit un rapport manifefte au partage qu'elles font enfemble de nos destinées. Le fecond marquoit ou l'obfcurité qui couvre l'avenir, felon Lylio Giraldy (1), ou plutôt l'éterDeor. Synt.6. nité des decrets divins, comme l'explique Ariftote, ou l'Auteur du livre du monde, qu'on attribue à ce Philofophe: les deux derniers enfin, n'étoient que la fatale neceffité ellemême, qui conduit toutes chofes. Les noms particuliers qu'Hefiode a donnés à ces trois divinités, Clotho, Lachefis (3) In Theog. Atropos (2), faifoient une allufion manifefte à leurs fonctions, comme je l'ai déja dit..

(1) Hift.

Paufanias nomme auffi trois autres Parques, bien différen (3) In Atticis. tes de celles dont on vient de parler: la premiere & la plus ancienne de toutes, étoit Venus Uranie (3); c'étoit elle bien mieux que Clotho, qui préfidoit à la naiffance de l'homme, fuivant cet ancien dogme de la Philofophie Payenne, que l'Amour, qui étoit la liaison des principes du monde, étoit le plus ancien de tous les Dieux. La feconde, étoit la For (a) Traité de la face de la Lune, & dans le Demon & de Socrate.

Achaicis.

tune (1), & il cite, pour prouver fon fentiment, l'autorité de (1) Pauf. in Pindare. Enfin Ilithie étoit la troifiéme, felon le témoignage d'Olen de Lycie, qui lui donne dans Paufanias l'épithete de Fileufe, E'λyov.

Proferpine, ou Junon Stygienne, laquelle fuivant les meilleurs Auteurs de l'Antiquité, difpute fouvent à Atropos l'emploi de couper le fil de nos deftinées, comme on l'a dit ailleurs, doit auffi être mise au nombre des Parques.

(3) In Corinth.

Si l'on confidere le pouvoir abfolu qu'on avoit donné aux Parques fur toutes nos destinées, il femble qu'elles auroient dû avoir le culte le plus folemnel: cependant on trouve peu de chofes fur cet article dans les Ecrits des Anciens; c'eft apparemment qu'étant regardées commes des Déeffes inéxorables qu'il étoit impoffible de fléchir, on ne crut pas qu'il füt neceffaire de fe mettre en dépenfe pour les honorer. Tout ce qu'on apprend de Paufanias, c'eft qu'elles avoient quelques Temples dans la Grece, & des Statues dans plufieurs endroits. Les Lacédémoniens, au rapport du même Auteur, leur en avoient bâti un dans la ville de Sparte auprès du tombeau d'Orefte, & les Sicyoniens en avoient un autre qui leur étoit dédié, dans un bois facré (3), où il des honoroient du même culte que les Furies; c'est-à-dire, fi nous en croyons Menandre, Auteur très - ancien, qu'on leur immoloit tous les ans des brebis noires, dans un facrifice, où parmi les autres cérémonies les Prêtres étoient obligés de porter des couronnes de fleurs Le même Paufanias (4) dit que dans la ville d'Olympie, il y avoit un Autel confacré à Jupiter conducteur des Parques, auprès duquel ces Déeffes en avoient un autre ; & il ajoute encore que dans un Temple d'Apollon de Delphes (5), on voyoit les Statues, (5) Idem in de deux Parques auprès de celle de Jupiter, qui tenoit lieu Phocicis. de la troifiéme ; & qu'à Megare la Statue de ce même Dieu, faite par Theofcomus, portoit fur fa tête celles de ces trois Déeffes. Enfin nous apprenons du même Auteur (5), que parmi les autres figures qui étoient reprefentées fur le coffre de Cypfele, on voyoit celle d'une efpece de monftre avec un air farouche, de grandes dents & des mains crochues,

(4) In Elia

cis. 1. 1.

(6) In Elia

cis. 1. 1.

thal. Pelei & Thetidis.

que l'Infcription qui y étoit, marquoit être une Parque. Il eft aifé de voir par tout ce que je viens de rapporter, (1) In Epi- & par le portrait que Catulle fait de ces Déeffes (1), de quelle maniere on les representoit ; mais malgré tout cela, il ne nous en refte aucune figure antique ; celles qu'on trouve dans Cartari & dans quelques autres Auteurs, n'étant faites que d'après les portraits qu'en ont laiffé les Poëtes & les Philofophes. On croit cependant qu'on voit la figure d'une Parque fur une Medaille que Patin a mife dans fon Threfor; mais les Antiquaires n'en conviennent pas.

La maniere au refte, dont on dit que les Anciens reprefentoient ces Déeffes renfermoit quelques myfteres, qu'il est bon de développer. On les faifoit paroître ordinairement fous la figure de trois femmes accablées de vieillesse, avec des couronnes faites de gros flocons de laine blanche, entremêlée de fleurs de Narciffe: une robe blanche leur couvroit tout le corps, & des rubans de la même couleur nouoient (1) Loc. cit. leurs couronnes, comme le dit Catulle (2). L'une tenoit la quenouille, l'autre le fufeau, & la troifiéme les cifeaux pour couper le fil, lorfque le temps de la mort, que Virgile appelle le jour des Parques, étoit arrivé.

Selon d'autres Auteurs les habits de ces trois Déeffes ne fe reffembloient point. Clotho vétue d'une robe de differentes couleurs, portoit fur la tête une couronne de fept étoiles, & tenoit à la main une quenouille qui defcendoit du ciel en terre. La robe de Lachefis étoit parfemée d'étoiles fans nombre, & elle avoit près d'elle une infinité de fuseaux; & Atropos étoit vétue de noir, des ciseaux à la main, avec un nombre de pelotons de fil plus ou moins garnis, felon la longueur ou la briéveté de la vie de ceux dont ils contenoient les deftinées.

La grande vieilleffe des Parques marquoit fans doute l'éternité des decrets divins. La quenouille & le fuseau apprenoient que c'étoit à elles à en regler le cours ; & ce fil myfterieux, le peu de fond qu'on devoit faire fur une vie qui tenoit à fi peu de chofe. Lycophron ajoute qu'elles étoient boiteufes, pour faire voir, comme le remarque Euftathe,

in Parcas.

l'inégalité des évenemens de la vie, & cette alternative de biens & de maux que nous éprouvons tour à tour. Si elles avoient des ailes, comme le dit l'Auteur d'un Hymne à Mercure, qu'on attribue à Homere, c'étoit pour faire allusion à la rapidité du temps, qui s'envole & paffe comme un fonge. Les couronnes qu'elles portoient fur la tête, annonçoient le pouvoir abfolu qu'elles avoient fur tout l'univers dont elles regloient les événemens ; & l'antre affreux où Orphée (1) (1) Hymno dit qu'elles habitoient, étoit un symbole de l'obfcurité qui couvre nos deftinées. Cet air farouche que donne Paulanias (2) à celle des trois Parques qui étoit près du tombeau (2) In Eliae. d'Etheocle & de Polynice; ces grandes dents & ces mains crochues qui la rendoient plus effroyable que les bêtes les plus feroces; tout cela faifoit voir qu'on ne pouvoit rien imaginer de plus affreux que la deftinée de ces deux freres infortunés, & que leurs jours avoient été filés par la plus terrible des Parques. Enfin fi les Philofophes les ont placées dans les Spheres céleftes, où elles accordoient leur yoix aux chants des Sirenes ou des Mufes, c'étoit pour nous apprendre qu'elles regloient cette harmonie admirable dans laquelle confiftent l'ordre & l'arrangement de l'univers.

Q

CHAPITRE XV.

Nemefis, ou les Nemefes, & Adraftée.

UOIQUE les Mythologues ne s'accordent pas pour la claffe dans laquelle on doit mettre la Déeffe Nemesis, je crois que celle qui lui convient le mieux eft la claffe des Dieux de l'Enfer.

En effet, l'idée qu'on en avoit étoit celle d'une Divinité qui veilloit à la punition des coupables, non-feulement en ce monde, quelle parcouroit avec une grande follicitude pour les découvrir & les punir, mais auffi dans l'autre où elle les châtioit avec la derniere rigueur. Et c'eft pour cela qu'on la

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repréfentoit avec des ailes, quelquefois même avec un gouvernail & une roue, pour nous apprendre qu'elle pourfuivoit les coupables par mer & par terre. Fille de la Juftice, elle étoit, fi nous en croyons Ammian Marcellin, préposée pour venger l'impieté, & en même-temps pour récompenfer les bonnes actions (a).

Telle est l'idée que l'Antiquité nous donne de cette Divinité; c'est même ce qui a porté quelques Auteurs à la confondre avec les trois Parques, ou à en former une quatrième. Phurnutus dit en effet que Nemefis & Adraftée avoient rang parmi les Déesses: la premiere, difoit-il, corrigeoit l'injuftice du fort, & la feconde étoit le Miniftre des vengeances céleftes; mais cet Auteur, pour le dire en paffant, fe trompe en faifant deux Divinités de Nemefis & d'Adraftée, puifque celle-ci n'eft qu'un furnom de Nemesis, qui lui fut donné lorfqu'A draftée lui fit élever un Autel. Ainfi il ne devoit pas en partager les fonctions : Nemefis en corrigeant l'injuftice du fort, étoit le Miniftre des vengeances céleftes.

Plufieurs d'entre les Anciens, & beaucoup de Modernes croyent que Nemefis eft la même que Leda, mere de Caftor & Pollux, qui prit ce nom après fon Apotheofe; mais la plus commune opinion eft que Nemefis elle-même étoit la mere de ces deux Heros qu'elle eut de Jupiter, & que Leda n'en fut que la nourrice.

D'autres, & en grand nombre, confondent Nemesis avec la Fortune, & croyent que la roue qui accompagne ordinairement fes ftatues, ne peut marquer autre chofe; mais je crois avoir donné la veritable fignification de ces deux fymboles. Il est vrai cependant qu'on convient que fon nom fignifie la force, ou le pouvoir de la Fortune, vis Fortuna.

Quoiqu'il en foit, Nemesis étoit honorée en plusieurs lieux tant dans la Grece que dans l'Italie, jufques même dans le Capitole ; & felon P. Victor elle avoit un temple dans Rome; mais il n'y avoit point de lieu dans le monde où le culte qu'on lui rendoit fût plus folemnel qu'à Rhamnus, bourg de l'Atti

(a) Ultrix facinorum, bonorumque pramiatrix. Amm. L. 14.

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