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que, où elle avoit une ftatue de dix coudées de haut, d'une feule pierre, & d'une fi grande beauté qu'elle ne cédoit en rien aux plus beaux ouvrages de Phidias. Ageracrite fon difciple qui l'avoit faite, felon Pline (a), pour une Venus, voyant qu'on lui préféroit celle d'Alcamene écolier du même Maître, & qui venoit de travailler fur le même fujet, la vendit aux Rhamnufiens, à condition qu'on ne la prendroit que pour une ftatue de Nemesis (1), d'où lui eft venu le furnom (1) Liv. 36. de Rhamnufia. Anciennement les ftatues de Nemesis n'avoient point d'ailes, fi nous en croyons Paufanias (2), & les (2) Loc. cit. habitans de Smyrne furent les premiers qui lui en donnerent; cependant on n'en trouve point aujourd'hui fur les statues ni dans les médailles de cette Déeffe.

J'ai mis dans le titre de ce Chapitre, Nemesis ou les Nemefes, parce que Paufanias en parle en nombre pluriel dans le fait que je vais rapporter. « Alexandre le Grand, dit cet Au» teur (3), étant à la chaffe au mont Pagus, & s'étant endormi (3) Liv. 7. » fous un plátane près du Temple des Nemefes, les Déesses lui » apparurent, & lui commanderent de bâtir une ville en cet endroit, & d'y transporter l'ancienne ville de Smyrne : ce qu'il exécuta, car c'est lui qui eft le fondateur de cette Ville telle qu'elle eft aujourd'hui ». N'oublions de dire pas les Romains avant que de partir pour la guerre, offroient un facrifice à Nemefis, comme nous l'apprenons de Pomponius Lætus, , prenant apparemment cette Déeffe pour la Fortune, qui doit accompagner & favorifer les guerriers.

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que

(a) Paufanias dans fes Attiques, differe de Pline, & prétend que cette Statue étoit l'ouvrage de Phidias lui-même, d'autres la donnent au Sculpteur Diodore.

(1) Liv. 4.

(2) 6. En.

CHAPITRE X V I.

Des Dieux Manes.

UOIQUE la fonction des Dieux Manes fût de veiller à la confervation des tombeaux, où l'on croioit qu'ils faifoient leur féjour, on les met cependant dans la claffe des Dieux des Enfers, parcequ'ils y avoient foin auffi des Ombres de ceux dont ils gardoient les cadavres dans le lieu de leur fépulture, & Pluton étoit leur maître : c'eft pour cela même que ce Dieu portoit le nom de Summanus, comme qui diroit fummus manium, le fouverain des manes, comme le dit Martianus Capella (a).

Les anciens n'avoient pas une idée bien nette des Dieux Manes, puifqu'ils donnoient auffi leur nom aux ombres même des morts: on les confondoit fouvent avec les Dieux Lares, quelquefois avec les Lemures.

Ce que leur mythologie nous apprend de plus certain à ce fujet, eft que les Dieux Manes étoient des Génies établis pour avoir foin des fépultures, & des ombres qu'on croyoit errer autour de leurs tombeaux.

Quelques Anciens donnent pour mere aux Manes la Déeffe Mania; mais leur veritable origine doit fe rapporter à l'opinion où l'on étoit que le monde étoit rempli de Génies, ainfi que nous l'avons dit dans le premier volume (1); qu'il y en avoit également pour les vivans & pour les morts; que les uns étoient bons, & les autres mauvais, & que les premiers s'appelloient Lares familiers, & les feconds Lemures ou Larves. Auffi quand Virgile dit, quifque fuos patimur manes, c'eft, felon Servius, comme s'il difoit, nous avons chacun notre Génie (2).

Un paffage d'Apulée, au fujet du Démon de Socrate, (a) Manes corpore humano præfules attributi funt, qui fub Plutonis potestate sunt : qui ideo Summanus, dicitur quafi fummus manium.

développe

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developpe toute cette mythologie. Le Génie, dit-il, eft » l'ame de l'homme dégagée & délivrée des liens qui l'attachoient au corps. Je trouve que dans l'ancien langage latin, » on la nommoit alors Lemure: de ces Lemures, ceux qui » ont en partage le foin de ceux qui habitent dans les maifons où ils avoient eux mêmes demeuré, & qui font doux - & pacifiques, s'appellent Lares familiers. Ceux au contrai»re, qui en punition de leur mauvaise vie, n'ont point de » demeure assûrée, font errans & vagabonds, & causent des » terreurs paniques aux gens de bien qu'ils cherchent à épou» vanter, & font véritablement du mál aux méchans, font nommés Larves; & les uns & les autres, foit Lares, foit Larves, portent le nom de Dieux Manes; & c'est par honneur qu'on les appelle Dieux: Honoris gratia dei vocabulum » additum eft

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Je ne fçais au refte quelle vertu avoit le bruit & le fon de l'airain & du fer, mais Lucien & Agatharcide, cités par Photius, affurent (1) qu'il étoit fi infupportable aux Dieux Manes, qu'il les mettoit en fuite.

(1) Phil. Pfeud.

Il en étoit de même des ombres qui étoient dans les Enfers; auffi Circé, dans Homere (2), recommande-t-elle à Ulyffe (2) Odyff. lorfqu'il aura offert un facrifice aux Dieux qui y préfident, & 1.1. répandu le fang des victimes dans une foffe, de mettre l'épée à la main pour en éloigner les Ombres qui viendront pour humer ce fang dont elles font fort friandes. Virgile toujours copifte de ce Poëte Grec, dit de même, qu'Enée étant arrivé dans les Enfers, prit son épée, pour écarter les mêmes Ombres qui voltigeoient autour de lui. Mais il paroît qu'il y alloit de bonne forte, & qu'il avoit envie de ferailler, lorsque la Sybille lui fit appercevoir que ces coups feroient inutiles, parce que ce n'étoient que de vains phantômes contre lefquels le fer n'avoit point de prife (a).

Quoiqu'il en foit, la crainte, du moins autant que le refpect, faifoit qu'on avoit une extrême vénération pour ces Dieux, & on ne manquoit jamais de leur recommander les

(a) Et ni docta comes tenues fine corpore, &c. Æn. 1. 6. Tome II.

Rrr

morts; delà la formule ordinaire qui fe trouve fur les tombeaux anciens, D. M. Diis Manibus. Delà encore ces libations fréquentes qu'on y faifoit, & qui avoient pour objet non ⚫ feulement les Ombres des morts, mais auffi les Dieux Manes qui les gardoient. Les Augures honoroient auffi ces Dieux d'un culte particulier, & ne manquoient jamais de les invoquer, parce qu'ils croyoient qu'ils étoient auteurs des biens & des maux qui nous arrivoient (a).

(a) Comme on tiroit le nom de manes, du mot manare, on avoit raison de croire que les biens & les maux venoient de ces Dieux, manabant.

(1) Theog.

C. I. V. 2.

CHAPITRE XVII.

Des Divinités de la Nuit, du Sommeil, & de la Mort.

ON

N met auffi au nombre des Dieux des Enfers la Nuit,
le Sommeil & la Mort.

La Nuit, fuivant Hesiode (1), étoit fille du Chaos; & dès qu'on en fit une divinité, on a dû la regarder comme la premiere & la plus ancienne de toutes, puifqu il eft vrai que les tenebres ont précédé la lumiere, & qu'elles couvrirent d'a(2) Genef. bord la face de l'abime: Et tenebræ erant fuper faciem abyffi (2). Auffi l'Auteur qui porte le nom d'Orphée, dit-il qu'elle étoit la mere des Dieux & des hommes. Les Poëtes qui font venus après ceux que je viens de citer, fe font efforcés à l'envi de peindre cette divinité: Theocrite la fait paroître montée sur un char, précédé par les Aftres du Firmament: d'autres lui donnent des ailes, pour marquer la rapidité de fa courfe ; mais celui de tous qui en a fait le portrait le plus ingenieux, eft Euripide qui repréfente cette Déeffe couverte d'un grand voile noir parfemé d'étoiles, parcourant fur fon char la vafte étendue des Cieux; & cette maniere de la peindre a été suivie par les Peintres & les Sculpteurs. On la trouve cependant quelquefois fans fon char, avec fon voile parfemé d'étoiles qui voltige au gré des vents, pendant qu'elle s'approche de

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la terre pour éteindre la torche qu'elle tient à la main, ainsi qu'on la voit dans un beau deffein tiré d'un manuscrit de la Bibliotheque du Roi, que le R. P. Dom Bernard de Montfaucon a fait graver dans fa Paleographie; ce qui prouve que cette maniere de peindre ainfi la Nuit, fut pratiquée jufqu'au moyen âge, & étoit encore en ufage au dixiéme fiecle.

Comme la Nuit n'étoit qu'une divinité Physique, ou, pour parler plus jufte, n'étoit qu'un néant, puifque les ténébres ne font qu'une fimple privation de la lumiere, les Poëtes lui donnerent des enfans de la même efpece, qu'on difoit qu'elle avoit eu de l'Erebe (1); fçavoir, la Crainte, la Douleur, l'En- (s) Cic. 1. 3. vie, le Travail, le Deftin, la Vieilleffe, l'Amour, la Mort, de Nat. Deor. les Ténebres, la Mifere, les Parques, les Hefperides, les Songes, ou le Sommeil lui-même. Ajoutons avant que de finir cet article, que les Anciens confondoient la Nuit avec Diane, en tant qu'elle repréfentoit la Lune, & qu'ils les peignoient l'une & l'autre de la même maniere; ou, ce qui revient au même avec le Dieu Lunus, qui suivant Spartien (2), étoit (2) In Comm. honoré à Carres, Ville de la Mefopotamie, où l'Empereur Caracalla fit un voyage pour rendre honneur à ce Dieu. Monfieur Maffei a fait graver une ftatue de Lunus, qui le représente avec le bonnet Phrygien recourbé fur le devant : & on le trouve fur les Médailles debout, en habit militaire, la pique à la main droite, tenant de la gauche une Victoire, & ayant à fes pieds un Coq, dont le chant avertit pendant la nuit du retour de la lumiere.

Nuctúlius étoit encore un autre Dieu de la Nuit ; mais il n'eft connu que par une infcription trouvée à Breft fur une ftatue qui repréfente ce Dieu fous la figure d'un jeune homme vêtu à peu près comme Atys, éteignant fon flambeau, & ayant à fes pieds une Chouette, oiseau nocturne.

Nous ne difons rien ici de la Lune, la premiere Déeffe de la Nuit, parce que nous en avons affez parlé dans l'article de Diane, qui à certains égards, étoit la Lune elle-même.

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