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n'avoient aucune jurifdiction fur ceux-là; le partage une fois fait, les trois freres devinrent abfolument indépendans les uns des autres. Lorfque Junon porta Eole à exciter cette tempête qui fit tant fouffrir la flotte d'Enée (1), Neptune fit bien connoître qu'il étoit le Maître.

(1) Ea. Li

CHAPITRE XIX.

Hiftoire de ceux que les Poëtes ont placé dans le Tartare.

O

LES GEANTS ET LES TITANS.

dy

N doit bien juger d'abord qu'on ne manqua pas mettre les Titans & les Géants, pour avoir déclaré la guerre aux Dieux. L'histoire même des Titans, telle que nous l'avons rapportée d'après Evhemere & les autres Anciens,porte que Jupiter après les avoir vaincus, les avoit relegués les uns fous le mont Etna qui étoit regardé comme un foupirail de l'Enfer, les autres dans le Tartare même. C'étoit là en effet, qu'on trouvoit Egeon, Porphyrion, & tous les autres; mais nous en avons affez parlé dans l'hiftoire des Dieux.

Les mêmes Poëtes font trouver dans ces triftes demeures plusieurs autres perfonnages célebres dans l'Hiftoire fabuleuse.

Sifyphe.

PARMI les illuftres malheureux qu'on trouvoit dans le Tartare, étoit auffi Sifyphe qui étoit condamné à conduire une groffe roche au haut d'une montagne, d'où elle retomboit auffitôt par fon propre poids; & cette trifte & penible occupation ne lui laiffoit aucun moment de repos. Le nom de ce Prince eft fort celebre dans l'hiftoire ancienne de la Grece Illuftre par fa naiffance, il rapportoit fon origine à Eolus duquel il descendoit en droite ligne. Après la retraite, ou si Sff

Tome II.

(1) Apoll liv. I.

on veut, la fuite de Médée, qui depuis le retour des Argonautes avoit regné dix ans à Corinthe (1), Sifyphe monta fur le Trône à qui elle l'avoit destiné, & où le droit de sa naiffance l'appelloit; & fi on met deux ans de distance entre le retour de Jason à Iolchos, où il emmena Médée, avant qu'ils fuffent obligés de se retirer à Corinthe, ce sera environ douze ans après la conquête de la Toifon d'or, que Sifyphe aura commencé de regner. Or comme on fçait l'époque de l'expédition des Argonautes (2), on connoît dès-là celle du regne (2) V. cette du Prince dont je parle ; c'est-à-dire, qu'il regnoit 24 ou 25 ans avant la guerre de Troye: on ignore combien d'années regna, mais on fçait qu'il vécut fort long-temps.

Hiftoire au
Tome III.

in Corinth.

il

Eumelus (3), ancien Poëte qui avoit écrit l'hiftoire de Co(3) Paufanias rinthe, après avoir dit que Sifyphe étoit monté sur le Trône à la place de Médée,donnoit la fuite des defcendans de ce Prin ce, jufqu'à la conquête de Corinthe par les Heraclides, & cette généalogie commençoit par Ornytion le plus jeune des enfans de Sifyphe, & duroit jufqu'à Doridas & Hyathincidas, qui furent les deux derniers, & qui regnoient à Corinthe au temps du retour des Heraclides dans le Peloponnefe, c'eft à-dire, 80. ans après la prise de Troye. C'est Paufanias qui nous a confervé ce morceau de l'Hiftoire d'Eumelus cependant Paulmier de Grant - Menil eft perfuadé que le Poëte dont Paufanias rapporte le sentiment s'eft trompé en faisant Sifyphe contemporain de Jafon. Sifyphe, dit-il, qui regna à Corinthe, étoit fils d'Eolus, & frere de Cretheus ayeul de Jafon, & par conféquent plus ancien que ce Prince. Ce fçavant Critique fe fonde fur la Medée d'Euripide, dans laquelle il paroît que Sifyphe n'étoit plus au monde quand Jafon vint à Corinthe, puifque c'étoit Creon qui y regnoit. Mais ne pourroit-on pas, pour concilier ces deux opinions, dire qu'il y a eu deux Sifyphes, l'un fils d'Eolus, & l'autre fon defcendant; que le premier n'avoit point eu de fucceffeur de fa famille, & que Medée en abandonnant le trône de Corinthe, y avoit fait monter Sifyphe II à qui il appartenoit? Car enfin la généalogie que donne Eumelus de Sifyphe paroît bien fuivie; & il n'eft pas rare

fur-tout pour ces anciens temps, qu'on ait confondu deux Princes de même nom; ni extraordinaire, que les fucceffeurs du premier n'ayant pas regné, la couronne foit enfuite rentrée dans fa famille. Mais ce qui prouve clairement ce que je viens d'avancer, c'eft que Paufanias, qui avoit parlé dans fon voyage de Corinthe, de Sifyphe qui étoit contemporain de Medée & de Jafon, fait mention d'un autre qui étoit frere d'Athamas, qui après la mort funefte propre de fes enfans avoit adopté fes petits-neveux, Coronus & Haliartus, fils de Therfandre, & petits-fils de Sifyphe. Or Athamas, pere de Phryxus qui s'étoit retiré dans la Colchide, vivoit avant l'expedition des Argonautes, qui n'armerent que pour aller recueillir fa fucceffion.

J'ai dit que Sifyphe avoit vécu long-temps, & fur cet article les Anciens débiterent deux fables. Suivant Pherecide qui publia la premiere, on difoit que ce Prince avoit enchaîné la Mort, & qu'il la retint jufqu'à ce que Mars la délivra, à la priere de Pluton, dont le Royaume étoit défert, à caufe que les hommes ne mouroient plus. La feconde apprenoit qu'à la vérité Sifyphe étoit mort jeune, mais qu'il avoit obtenu du Dieu des Enfers la permiffion de revenir au monde, pour aller punir fa femme de lui avoir trop bien obéi (a); mais que quand il eut une fois repaffé le Cocyte, il ne voulut plus retourner dans les Enfers.

Ces deux fictions nous laiffent entrevoir fans doute, que Sifyphe revint d'une maladie qu'on avoit jugée mortelle, & qu'ayant recouvré fa fanté, lorfqu'on l'avoit cru mort, il avoit

» ayant fait, il demanda permiffion à Plu» ton d'aller châtier fa femme qui tenoit

fi peu compte de lui, promettant de re» tourner en bref. Mais lui ayant fa re» quefte accordée fous cette condition, » comme il eut derechef goûté l'air de ce , monde, il ne voulut plus, retourner en ,, l'autre, jufqu'à tant que Mercure l'em, poignant au collet, l'y ramena, met

(a) Sifypbe, felon la fable, revint des Enfers. Voici comment Noel le Comte raconte la chofe après Demetrie fur les Olympies de Pindare. « Les autres main» tiennent que Sifyphe fut condamné à rouler fa pierre aux Enfers, pour avoir » deloyaument trompé les Demons foû» terrains, difant qu'après la mort il def» cendroit aux Enfers, & fit là-bas un » tour de fon metier à Pluton. Comme il tant en execution ledit Arrêt des Dieux » étoit à l'article de la mort, il comman- ,, contre lui. D'autres veulent encore que »da à fa femme de jetter fon corps em- ce foit avoir pris à force fa nièce pour mi la place fans fépulture: ce qu'elle, Tyrrho. Trad. de Jean de Mont-Lyard.

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(1) In Ccrinth.

enfuite vécu jufqu'à une extrême vieilleffe. Ce fut pour cela, difoit-on, que Pluton l'avoit condamné à rouler inceffamment l'énorme rocher dont j'ai parlé au commencement de cet article; comme fi on avoit voulu nous apprendre par-là que les foins ni les efforts des hommes ne peuvent arrêter le cours rapide des jours qui leur ont été deftinés, ni reculer le terme fatal qui leur a été prefcrit: ou plutôt pour nous laiffer l'emblême d'un Prince ambitieux, qui roula longtemps dans fa tête des deffeins qui n'eurent point d'execu

tion.

Paufanias rapporte cependant une autre caufe du fupplice de ce Prince, & dit qu'il eft puni dans les Enfers pour avoir appris à Afope l'endroit où Jupiter avoit caché Egine dont

ce Dieu étoit amoureux.

Sifyphe étoit, dit-on, un homme fin & rufé. Il épousa Anticlée fille d'Autolycus, dont il eut une fille de même nom, qui fut mariée à Laërte pere d'Ulyffe. Autolycus, qui se croyoit auffi rufé au moins que Sifyphe, lui vola quelques boeufs, & les ayant mêlés avec les fiens, il crut cacher parlà fon vol; mais Sifyphe qui avoit fait marquer tous fes troupeaux fous le pied, n'eut pas de peine à les reconnoître. Ce trait frappa Autolycus, qui ayant conçu bonne opinion de Sifyphe, lui donna fa fille en mariage.

Paufanias (1) rapporte encore un trait de la vie de Sifyphe, que je ne dois pas omettre, & qui prouve fa pieté envers Melicerte. Cet Auteur parlant des environs de Cremion où Thesée avoit défait un bandit, furnommé Pytocamptès, dit qu'il y avoit près de là un Autel de Melicerte; car on affüroit qu'un Dauphin l'avoit retiré de la mer où il s'étoit noyé, & l'avoit porté en cet endroit. Sifyphe l'ayant trouvé expofé fur le rivage le fit enterrer, & inftitua en fon honneur les Jeux Ifthmiques. Ce fut dans le même Ifthme de Corinthe, au rapport du même Auteur, que Sifyphe fut enterré; mais le lieu de fon tombeau n'étoit connu que de peu de perfonnes.

Tityus.

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1. II.

HOMERE, dans fon Odyffée (1), parle deux fois de Ti- (1) Liv. 7.& ryus: la premiere, lorfqu'Alcinous raconte à Ulyffe que Rhadamanthe avoit été autrefois dans l'Ifle d'Eubée à deffein d'y voir Tityus : la feconde, lorfque parlant des Ombres qu'Ulyffe trouva dans les Enfers, il lui fait dire : « Là je vis Tityus » ce fils de la Terre tout étendu, & qui de fon vaste corps couvroit neuf arpens. Deux Vautours inceffamment attachés à fon Ombre, lui déchirent le foye, fans qu'il puiffe » les chaffer; car il avoit eu l'infolence de vouloir violer La» tone, comme elle traversoit les délicieuses Campagnes de Panope, pour aller à Pytho». Strabon prétend en effet que ce Tityus étoit un Tyran de Panope, ville de la Phocide, peu éloignée de Delphes, qui pour fes violences s'attira l'indignation du peuple, & fut haï également des hommes &

D

20

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des Dieux.

Les fables que l'Antiquité avoit publiées à fon occafion, font aifées à expliquer. La premiere, qui dit qu'il étoit fils de la Terre, n'a pour fondement que le nom de ce Tyran, qui veut dire, terre ou boue; ou fi l'on veut, elle tire fon origine d'une autre fiction, qui portoit que Jupiter étant devenu amoureux d'Elara fille d'Orchomene, elle avoit été obligée, pour fe dérober à la jaloufie de Junon, de fe cacher dans les entrailles de la terre, où elle accoucha de Tityus. La feconde, qui portoit que c'étoit un Geant dont le corps couvoit neuf arpens de terre, n'étoit fondée, comme le dit Paufanias (2), que fur ce que le lieu de fon tom- (2) In Phoc. beau qui étoit près de Panope, contenoit précisément une pareille quantité d'arpens ; ce qu'Homere qui apparemment avoit entendu parler de ce tombeau, avoit exprimé poëtique

ment.

La troifiéme, qu'Apollon à coups de fleches avoit délivré la terre de ce monftre, parce qu'il étoit mort apparemment dans un âge peu avancé, ou d'une mort violente, & que toutes les morts violentes ou prématurées étoient

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