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Afcalaphe (1); là ce font ces deux Déeffes (2) qui au milieu du trouble & de la confternation que cause le combat d'Hec tor & d'Ajax, fortent des vaiffeaux des Grecs pour mettre en fuite les Troyens.

1

(1) 11.1.15.

(2) II. 1. 1 6.

Une Divinité fi bien marquée dans ces deux Poëtes, & fi redoutable par elle-même ne pouvoit manquer de s'attirer un culte religieux. Aufli chercha-t-on à l'appaifer & à s'en délivrer par des prefens & par des facrifices. Les deux fils de Medée ayant été inhumainement mnaffacrés par les Corinthiens, la mortalité leur emporta plufieurs de leurs enfans, & l'Oracle confulté leur apprit qu'il falloit offrir des facrifices aux mânes irrités de ces innocentes victimes de leur cruauté, & en même temps confacrer une ftatue à la Peur. Dans un combat que donna Tullus Hoftilius, les Albins qui s'étoient déclarés pour lui, tournerent le dos & pafferent du côté de fes ennemis. D'abord la frayeur s'empara du cœur du foldat, & tout étoit perdu, lorfque ce Prince voua un Temple à la Crainte & à la Pâleur: ce vœu eut fon effet ; le foldat reprit courage, & Tullus remporta une victoire complette. Cet évenement, qui eft l'époque de l'introduction du culte de ces deux Déeffes parmi les Romains, eft marqué fur deux médailles de la famille Hoftilia (3). Sur (3) Ful. Urs. l'une eft une tête avec des cheveux hériffés, le vifage élevé, Vaillant. la bouche ouverte, & un regard troublé, ce qui défigne bien la Divinité que représentoit la médaille; l'autre offre une face maigre & allongée, les cheveux abbatus, & un regard fixe; c'est le véritable portrait de la Pâleur qu'inspire la Crainte.

Les Lacédemoniens avoient tiré un parti plus avantageux, fij'ofe m'exprimer ainfi, de la Déeffe dont je parle, puif qu'au rapport de Plutarque, ils en avoient placé le Temple auprès du tribunal des Ephores, perfuadés que rien n'eft fi néceffaire que d'inspirer aux méchans la crainte d'un fevere

châtiment...

Enfin pour qu'il ne manquât à la Crainté aucune preuve de Divinité, on la joignoit dans les fermens avec les autres Dieux. Efchile nous apprend (4) que dans le ferment folemnel (4) Trag.des

Tome II.

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Sept devant
Thebes.

que firent les fept Chefs de l'expedition de Thebes, au milieu des facrifices, tenans tous la main dans le fang des victimes qu'on venoit d'égorger, ils jurerent par la Peur, par le Dieu Mars & par Bellone.

Telles étoient les vertus, les vices, & les paffions que les Grecs & les Romains avoient érigés en Divinités. On pourroit en joindre ici quelques autres, dont on trouve les repréfentations fur des Médailles, & des descriptions dans les Poëtes; mais comme les Anciens ne nous apprennent rien touchant leur culte, & qu'ils ne parlent d'aucun Temple, ni d'aucun Autel érigés en leur honneur, on laiffe aux Antiquaires le foin d'expliquer les fymboles avec lefquels on les repréfentoit. Il fuffit d'obferver en général que comme la Théologie Payenne n'étoit fondée fur aucun principe certain, elle adoptoit aifément tous les Dieux que différentes occasions faifoient introduire.

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Até, ou la Difcorde.

Parmi les divinités malfaifantes, je ne dois pas oublier Até, ou la Difcorde, cette cruelle Déeffe, qui, après avoir cherché à brouiller les Dieux, chaffée enfin de l'Olympe; (1) II.L19. vint fur la terre pour y exercer toute fa fureur. Homere (1) en fait parler ainfi Agamemnon dans le beau difcours qu'il fait aux Capitaines Grecs affemblés par fon ordre. La Déeffe Até, dit ce Chef de l'armée des Grecs, pour s'excufer d'avoir enlevé Brifeis à Achille: « La Déeffe Até, ce démon de difcorde & de malédiction, n'eft-elle pas toujours plus forte que les hommes, & ne vient-elle pas à bout de tous fes deffeins? Cette terrible & pernicieuse fille de Jupiter, dont l'emploi eft de nuire, qui dedaignant de toucher la terre de » fes pieds délicats, marche fierement fur la tête des hommes, pour les précipiter dans les plus grands maux, & qui, dans les cruelles diffentions qu'elle excite, quand elle ne ruine pas les deux partis, ne manque jamais d'écrafer » au moins celui qu'elle a pris pour objet de fa haine. Ne • fit-elle pas autrefois fentir fon pouvoir à Jupiter même,

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quoiqu'il foit plus puiffant que tous les hommes & que tous » les Dieux »? Agamemnon raconte enfuite comment Junon en faifant acoucher la femme de Stenelée avant terme, d'Eurysthéé qui par là eut droit de commander à Hercule, avoit fi fort offenfé Jupiter, que ce fouverain des Dieux s'en prenant à Até, qu'il croyoit avoir infpiré ce deffein à Junon, qu'il la faifit par la tête, la précipita du haut de l'Olympe, après avoir fait ferment qu'elle ne reparoîtroit jamais dans le séjour des immortels. Cette pernicieufe Déeffe, continue Agamem» non, tomba dans le malheureux féjour des hommes, où elle exerce toutes les fureurs. Il paroît par ce paffage qu'on croyoit qu'Até étoit fille de Jupiter, qu'elle avoit habité l'Olympe, & que pour avoir offenfé fon pere, elle en avoit été chaffée, & étoit venue habiter parmi les hommes.

Je fçais que quelques Peres de l'Eglife ont crû fur ce récit que les Payens avoient eu quelque connoiffance de la chute des mauvais Anges; Saint Justin afsûre même qu'Homere avoit puifé le fond de cette hiftoire en Egypte, & qu'il avoit lû l'endroit où le Prophete Ifaïe parle de la chute de ces efprits rebelles; mais comment ce Poëte auroit-il pû lire l'ouvrage de ce Prophete qui ne vint au monde que plus de cent ans après lui?

Sur cette premiere idée, les Poëtes qui font venus après Homere, ont peint cette Déeffe avec les plus noires couleurs. Virgile la représente fuivie de Bellone ayant la tête entortillée de ferpens,

Et fciffå gaudens vadit Difcordia pallâ,

Quam confanguineo fequitur Bellona flagello. n. I. 8.
& Difcordia demens

Vipereum crinem vittis innexa cruentis. L. 6.

On ne peut rien ajoûter au portrait qu'en fait Petrone (a)

(a) Infremuere tube, ac fciffo Difcordia crine

Extulit ad fuperas flygium caput hujus in ore
Concretus fanguis, contufaque lumina flebant.
Stabant irati fcabrâ rubigine dentes,

Tabo lingua fluens, obfeffa draconibus ora,”
Atque inter toto laceratam pectore veftem,

Sangumed tremulam quatiebat lampada dextrá. Petr. Sat.

dans les beaux vers de fon Poëme épique furla guerre civile. On attribuoit à cette Déeffe non feulement les guerres, mais auffi les querelles entre les particuliers, les brouilleries dans les ménages, les diffentions dans les familles; & on sçait que ce fut elle qui jetta au milieu de l'affemblée des Dieux, la fatale pomme qui occafionna entre les Déeffes cette fameufe conteftation dont les Dieux ne voulurent point être les Juges, de crainte d'entrer eux-mêmes par des fentimens de partialité, dans les débats & les altercations qui font presque toujours des fuites infeparables de la Difcorde.

Il eft jufte de joindre ce que la Mythologie nous apprend fur la bonne fortune, à ce que nous avons dit des Dieux bons & mauvais, puifqu'elle étoit elle-même une divinité bonne ou mauvaife, fuivant l'ufage qu'on en faifoit.

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De la bonne & de la mauvaife Fortune.

OMME les hommes ont toujours fait une grande eftime des biens de la terre, il n'eft pas furprenant qu'ils ayent adoré la Fortune; infenfés qui au lieu de reconnoître une Providence éclairée qui diftribue les biens & les richesses, -fuivant des vûes cachées à la vérité & impénétrables aux hommes, mais toujours fages, addrefferent leurs vœux à un Etre imaginaire, qui agiffoit fans aucune deffein, & entraîné par une néceffité inévitable: car il eft indubitable que dans le fyftême payen, la Fortune n'étoit autre chofe que le Deftin. Aufsi la confondoit-on, comme on le verra dans la fuite, avec les Parques, qui elles-mêmes étoient cette fatale néceffité dont les Philofophes ont tant discouru.

Il eft vrai que quelquefois les Chrétiens parlent au fujet de la Fortune, comme les Payens eux-mêmes; facrifier à la Fortune, attendre tout de la Fortune, fe dévouer à la Fortune, &c. Mais quand ils approfondiffent le fens de ces expreffions vulgaires, ils rapportent tout à la divine Providence.

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Je ne fçais au refte, fi les differens Peuples qui ont reconnu cette divinité aveugle & capricieuse, en ont eu la même idée; mais il est sûr qu'elle a été invoquée dès les temps les plus reculés, puifque la premiete fois que l'Ecriture Sainte fait mention des Dieux des Payens, elle parle de Gad, invoquée par Lia, que Saint Auguftin croit être la Fortune (a). Mais comme il ne s'agit ici que de l'idée qu'en avoient les Grecs & les Romains, c'eft leur Mythologie à cet égard que je dois développer. D'abord il ne paroît pas que cette Déeffe fût anciennement connue de ces deux Peuples, puifqu'Hefiode & Homere n'en parlent point, & qu'on a remarqué que ce dernier qui s'eft fervi du mot ru, qui étoit le nom que l'on donnoit à cette divinité, ne l'entendoit point de la Fortune, mais feulement d'une des filles de l'Ocean compagne de Melobofis, & de la belle Janthé. Ce grand Poëte ainfi que l'observe Paufanias (1), a bien dit que Pallas & Enyo prélidoient (1) In Mess. aux combats, Venus au mariage, & Diane aux accouche- 3.0. mens; mais bien loin de faire de la Fortune, comme on a fait depuis, une Déeffe toute puiffante, qui exerce fon empire fur toutes les chofes humaines, & qui les fait réuffir à fon gré, il ne lui donne pas feulement la moindre fonction.

Tout ce qu'on fçait de plus ancien au fujet de cette divinité, eft que Bubalus grand Sculpteur & grand Architecte, fut le premier qui en fit une ftatue pour la ville de Smirne, & que cet habile ouvrier s'avifa de la repréfenter avec l'Etoile Polaire fur la tête, tenant de la main gauche la corne d'Amalthée, appellée communement la corne d'abondance. Il eft indubitable qu'il vouloit marquer par le premier de ces deux fymboles, le pouvoir de cette Déeffe fur l'Univers ; & par le fecond, que c'étoit elle qui diftribuoit tous les biens. Pindare vint enfuite, continue Paufanias, qui célebra cette Divinité dans fes Vers, & lui donna le nom de Pherepolis, comme qui diroit la Protectrice des villes. Voilà à peu-près l'origine du culte de la Fortune dans la Grece, Divinité moderne peu connue avant Pindare.

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C.

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