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Les Grecs lui éleverent dans la fuite plusieurs Temples, & ceux de Corinthe la furnommerent Acrea, parce qu'elle en avoit un dans leur Citadelle. Cette Déeffe avoit aussi une Chapelle à Egire, avec une Statue qui avoit près d'elle l'Amour avec fes ailes, apparemment pour donner à entendre qu'en amour la Fortune fait plus que la beauté. Dans celui d'Elis elle avoit à la main la corne d'Abondance; Mais le fymbole le plus convenable étoit celui que lui avoient donné les Béotiens, l'ayant représentée dans le Temple qu'ils avoient élevé en fon honneur, tenant Plutus entre fes bras fous la (1) In Beot. forme d'un enfant ; & c'eft, dit Paufanias (1), une idée affez ingenieufe, d'avoir mis le Dieu des richeffes entre les mains de la Fortune; comme fi elle étoit fa nourrice, & fa mere. La ville de Smirne au refte, n'étoit pas la feule de l'Afie où la Fortune fût honorée; les habitans d'Antioche l'avoient (2) Paufanias en une extrême veneration (2), & il n'eft pas hors de vraifemblance de dire que plufieurs autres Peuples imitoient leur exemple; car en general prefque tous les hommes font adorateurs de la Fortune, & s'ils ne lui immolent pas toujours des Victimes, ils ne lui facrifient que trop fouvent l'honneur & la probité.

in Corinth.

Parmi les éloges que Pindare donnoit à cette Déeffe,il disoit qu'elle étoit une des Parques, & celle de toutes qui avoit le plus de pouvoir; d'où l'on doit conclure qu'on la confondoit avec ces Déeffes inéxorables, ou, pour parler plus jufte, avec la Deftinée elle-même, Divinité aveugle qui distribuoit au hazard les biens & les maux : & telle étoit l'idée qu'en avoient les Grecs.

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Les habitans du pays Latin en penfoient à peu près de même, puifque leur plus ancienne Fortune étant celle qui étoit honorée à Antium, & qui étoit confondue avec les Sorts, dont l'ufage étoit fi célebre dans cette ville (a); il est évident qu'on ne la diftinguoit pas du Deftin, ou de cette Deftinée que les Grecs appelloient Eimarmené.

Les Romains contens d'abord d'aller confulter les Sorts

(a) Voyez ce qu'on a dit là deffus, Tom. I. dans l'article de la Divination.

& la Fortune à Antium, adopterent enfin cette Divinité, & établirent fon culte dans leur ville, où elle eut dans la fuite un grand nombre de Temples. Servius Tullius fut le premier qui lui en fit conftruire un, & dès - là on voit à peu près l'époque de l'introduction du culte de cette Déeffe à Rome. Cet édifice lui étoit confacré fous differens noms; car les Romains lui en donnoient plufieurs (a): tels que ceux de la bonne Fortune, de Fortune mâle, de barbue, de bonne efperance, de douce, de pacifique, de Vierge, de Fortune du Peuple, &c. & elle avoit des Temples fous prefque tous ces differens noms. Selon Tite-Live & Plutarque, car Denys d'Halicarnaffe ne fait mention que d'un que lui fit bâtir Servius Tullius. Ancus Martius fut le fecond qui lui en bâtit un, fous le titre de Fortune Virile. Elle en avoit auffi un autre fous le nom de Fortune des Femmes, & il n'y avoit que les nouveaux mariés à qui il fût permis de l'honorer. Il y a apparence que ce furent les Dames Romaines elles-mêmes qui firen: les frais de la conftruction de cet édifice; auffi publioient-elles que lorfqu'il fut achevé, la Déeffe avoit proferé ces paroles, Rectè me matrona vidiftis, ritéque dedicaftis.

Qu. Ful. Flaccus fut celui de tous qui fit élever en l'honneur de cette Déeffe le Temple le plus magnifique, fous le nom de la Fortune Equeftre. Celui que lui fit bâtir Q. Catulus étoit dédié à la Fortune du jour, Fortunæ hujufce diei. Si celui que lui confacra Neron n'étoit pas le plus magnifique, il étoit du moins le plus fingulier & le plus brillant, par la matiere qui y fut employée. Il fut entierement conftruit d'une forte de pierre trouvée en Cappadoce, & que Pline nomme Phingias, laquelle à une blancheur éblouiffante joignoit la dureté du marbre; enforte, dit-on, que les portes fermées on y voyoit clair. Ce Temple fe trouva dans la fuite renfermé dans l'enceinte de la maifon d'or de cet Empereur. Cette Déeffe en avoit un dans la Rue neuve, fous le titre de la Fortune aux mammelles, qu'on représentoit à peu-près comme

(a) Fortuna primigenia, obfequenti, privata, vifcofe, parva, mascula, barbata, bonæ fpei, Averruncă, Blanda, Plebeia, bene speranti, Virgini, &c.

la Diane d'Ephefe, & comme Ifis, dont elle à la coëffure fur quelques figures que le temps nous a confervées. Domitien en fit conftruire un autre à la Fortune de retour, Fortunæ reduci, expreflion qui fe trouve fouvent fur les Medailles, & celle de Fortuna Redux.

Le Baron Herbert de Cherburi, Auteur d'un fçavant Traité fur la Religion des Gentils, que j'ai déja cité quelquefois, prétend que les Orientaux ni les Grecs n'avoient jamais rendu aucun culte à la Fortune ; & que les Romains étoient les feuls qui l'euffent adorée. Mais ignoroit-il que les habitans d'Antioche avoient dans leur ville un Temple magnifique de cette Divinité; que ceux de Smirne lui avoient confacré la belle Statue que Bubalus en avoit fait; & qu'enfin, au rapport de Paufanias, la Grece étoit remplie de Temples, de Chapelles, de Statues, de bas-reliefs, & de Medailles de cette même Déeffe? Quelle autre preuve plus claire veut-on avoir d'un culte religieux?

Au refte tous les monumens que le temps nous a transmis (2) Voyez de la Fortune (2), la repréfentent affez conftamment fous les dans l'Ant. la figure d'une femme avec la Corne d'abondance, ou un gouexpl.T. I. p.2. vernail, ou un timon, ou une rouë, ou un globe; marques

de fon pouvoir ou de fon inconftance. On la trouve encore affez fouvent avec les fymboles d'Ifis, fur tout avec cette coëfure finguliere, dont on a donné la defcription dans le premier Volume, & ce font alors des figures Panthées. Quelquefois couronnée par la Victoire, pour marquer quelque heureux évenement de l'Empereur qui la représentoit ainfi (3) Miscell, sur ses médailles. Enfin Spon (3) nous a donné une statue confacrée par L. Aurelianus Marcellinus, affranchi d'Augufte, qui représente la Fortune fous la figure d'un homme agé, avec de la barbe, tenant d'une main un vase, & de l'autre un gouvernail, avec cette infcription Fortune Barbata, à la Fortune Barbue. Ce qui au refte n'a rien qui doive nous étonner, les Payens ayant fouvent donné les deux fexes à leurs Divinités, ainsi qu'on l'a dit ailleurs.

Erud. Ant.

Quoique les ailes fuffent auffi un des fymboles de la Fortune, rien ne marquant mieux la rapidité avec laquelle elle combloit

combloit de biens ceux qu'elle vouloit favorifer, ou dépouilloit ceux qui les poffédoient; on ne voit cependant aucune figure Romaine de cette Déeffe avec des ailes : ce qui apparemment a quelque rapport avec ce que dit Plutarque (1), (1) De Fort. que la Fortune ayant quitté les Perfes & les Affyriens, après avoir volé légerement fur la Macedoine, vû perir Alexandre, paffé enfuite en Egypte & en Syrie, étant enfin arrivée au mont Palatin ôta fes ailes, & ayant jetté fa roue, entra dans Rome pour y établir à jamais fa demeure.

On ignore entierement quel fut le culte que les Romains rendirent à la mauvaise Fortune on fçait feule

Rom.

ment qu'ils l'honorerent, puifque fuivant Ciceron (2), elle (2) De Nat. avoit un Autel au mont Efquilin. Comme les habitans de la Deor. 1. 3. ville d'Antium, aujourd'hui Nettuno, adoroient en même temps deux Fortunes qui étoient appellées Fortuna gemina, les Fortunes jumelles, il y a apparence que c'étoient la bonne & la mauvaise Fortune. Martial qui dit auffi qu'elles étoient fœurs, ajoute qu'elles rendoient leurs oracles fur le rivage de la Mer (a). Suetone nomme les deux Fortunes, les Sorts d'Antium, parce que › parce que c'étoit par les forts qu'on les confultoit.

(a) Voici comme ce Poëte parle à l'Empereur Domitien, liv. 5. Ep. 1.

Seu tua fatidica difcunt refponfa forores

Plena fuburbani qua cubat unda freti.

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Des Dieux des Feftins & de la Joye, Comus & Momus.

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COMUS.

MME le Paganisme avoit des Dieux qui préfidoient à toutes les actions de la vie, il falloit bien qu'il y en eût un pour les feftins & la bonne chere, qui font une des plus férieufes occupations de bien des Comus cependant dont la fonction étoit d'y préfider, ne nous feroit pref

gens.

Tome II.

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de Comus.

que connu que de nom, fans Philoftrate qui en fait mention (1) Tableau dans un de fes tableaux (1). Cet Auteur peint ce Dieu, comme étant à la porte de la chambre de deux jeunes époux, qui communique à une falle où fe donnent le feftin & le bal, jeune & rempli de vin, la face enluminée, il dort debout, & avance la tête, qui eft couronnée de roses, & fon cou demeure caché: il paroît appuié de la main gauche fur un pieu, mais le fommeil lui fait lâcher prife; & comme il chancelle, la torche allumée qu'il tient de la droite femble lui tomber de la main. Le jeune Dieu craignant de se brûler, femble approcher la jambe gauche de la droite, tourne la torche vers la gauche, & cherche à en éviter la vapeur, en éloignant la main des genoux. La tête étant baiffée, on voit peu fon vifage, mais la lumiere qui tombe fur le refte du corps le laiffe appercevoir; portrait de fantaisie, comme tous les autres de cet Auteur, mais il est aifé d'y appercevoir le Dieu de la joie & des feftins.

Quelques Mythologues dérivent le nom de Comus du mot xaudely, commejari, manger, faire bonne chere; mais d'autres le font venir, peut-être avec autant de raison, d'une efpece de chanson, que les Anciens appelloient Comos. Car fi l'on mange & boit dans les feftins joieux, il eft auffi ordinaire qu'on y chante, & comme on avoit des chansons pour differens états de la vie (a), il y en avoit pour les repas & pour les feftins qui s'appelloient du nom que je viens de dire. Vigenere, fçavant Commentateur de Philoftrate, s'eft donné la peine d'expliquer toutes les attitudes du Dieu dont il eft queftion; mais outre qu'elles ne font que le fruit de l'imagination de Philoftrate, elles font aifées à entendre.

Momus.

S1 Comus étoit le Dieu de la bonne chere parmi les Grecs & les Romains, Momus qui, felon Hefiode (2) étoit fils de la Nuit & du Sommeil, paffoit chez les uns & chez

(a) V. la Diff.de M.de la Nauze fur les Chanfons des Anciens.Mem. de l'Acad. T. 9.

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