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les autres pour le Dieu de la raillerie & des bons mots. Satyrique jufqu'à l'excès, il ne laiffoit rien échaper, & les Dieux & Jupiter même étoient l'objet de fes plus fanglantes railleries. Perfonne ne l'a peint avec plus de fidelité & de naïveté que Lucien ; & on peut voir dans le Confeil des Dieux où il s'agiffoit de chaffer ceux qui étoient étrangers, & qui s'étoient introduits mal-à-propos dans le Ciel, de quelle maniere Momus en parle, & combien peu il les ménage. C'est au refte de cette maniere de reprendre les vices & les défauts des autres, que Momus tire fon nom (1). C'étoit lui qui trouvoit à redire que les Dieux en formant l'homme ne lui euffent pas fait une petite ouverture ou une petite porte à la poitrine, afin qu'on eût pû voir dans leur coeur ce qu'ils penfoient, quoiqu'à dire vrai, Vitruve (2) attribue cette penfée à Socrate.

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CHAPITRE V.

Des Dieux de la Medecine, & de la Santé, Efculape,
Hygeia, Thelefphore, Jafo, Panacée, &c.

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E nom d'Efculape, que les Grecs appelloient Afclepios, paroît un nom étranger, & femble tiré des Langues de l'Orient, comme on le dira dans la fuite ; & ce qui confirme cette conjecture, c'eft que véritablement Efculape étoit connu dans ces pays-là long-temps avant que de l'être dans la Gre

ce. Ciceron (3) dit qu'il y avoit eu plufieurs perfonnes qui (3) De Nat. avoient porté ce nom. « Le premier des Efculapes, dit-il, Deor. 1. 3. le Dieu de l'Arcadie, qui paffe pour avoir inventé la fonde

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-» & la maniere de bander les plaies, eft fils d'Apollon. Le fecond, qu'un coup de foudre tua, & qui fut enterré à Cynofure, eft frere du fecond Mercure. Le troifiéme qui » trouva l'ufage des purgations, & l'art d'arracher les dents, > eft fils d'Arlippe & d'Arfinoë. On montre en Arcadie fon tombeau, & le bois qui lui eft confacré, affez près du fleuve

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le Fragment de cet Auteur, Tom. I. 1. 2.

» Lufius». Mais quelque fcavant qu'ait été Ciceron dans la connoiffance de la Religion des Grecs & des Romains, il paroît qu'il ignoroit celle des peuples qui la leur avoient apprife. Sanchoniathon, dont l'ouvrage n'avoit pas été traduit du temps de cet Auteur, nomme un Efculape encore plus ancien, puifqu'il étoit fils de Sydick, ou le Jufte, & d'une (1) Voyez des Titanides (1). Il étoit le huitiéme de fes enfans, & le frere des Cabires. Il y a eu, comme le prouve Marsham, un Efculape Roy de Memphis, fils de Menès, frere de Mercure premier, qui vivoit environ deux cens ans après le Déluge, plus de mille ans avant l'Efculape Grec. Enfin Eufe(2) Chron. be (2) parle d'un Afclepius ou Efculape, qu'il furnomme ToRois de Mem- forthrus, Egyptien, & célebre Médecin, à qui d'autres Anciens donnent la gloire de l'invention de l'Architecture, & d'avoir beaucoup contribué à répandre en Egypte l'usage des lettres que Mercure avoit inventées.

Dyn. 3. des

phis.

Ce n'est donc point dans la Grece, mais dans la Phenicie & dans l'Egypte qu'il faut chercher le veritable Esculape. Honoré comme un Dieu dans ces deux pays, fon culte paffa dans la Grece, & fut établi d'abord à Epidaure ville du Peloponnefe, voifine de la Mer, où apparemment quelques colonies s'arrêterent d'abord.. Il n'en fallut pas davantage aux Grecs pour publier que ce Dieu étoit originaire de Grece. Mais comme leur Mythologie étoit fondée fur des traditions fort incertaines, ils racontoient différemment fon hiftoire; peut-être auffi que la pluralité des perfonnes qui avoient porté le même nom, étoit cause de cette confufion. En effet fans vouloir rapporter ici tout ce qu'on a dit de ses parens, je m'en tiens à l'opinion la plus généralement reçue dans la Grece, qui lui donnoit pour pere Apollon, c'est-à-dire quelque Prêtre de ce Dieu, & pour mere Coronis fille de Phlegyas; car pour la tradition qui portoit qu'il devoit le jour à Arfincë fille de Leucippus, c'eft felon Paufanias celle de toutes la moins vraisemblable & la moins autorisée. En effet Apollophane, pour obliger les Meffeniens, du pays defquels étoit Leucippe, étant allé à Delphes pour s'informer du lieu de la naiffance d'Esculape, &

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de celui de fes parens, l'Oracle, ou pour parler plus jufte Apollon lui-même répondit qu'il étoit fon pere, que Coronis étoit fa mere, & qu'il étoit né à Epidaure.

Phlegyas l'homme le plus belliqueux de fon temps, étant allé, felon Paufanias (1), dans le Peloponnefe, en apparence (1) In Codans le deffein de voyager, mais en effet pour examiner le rinth. pays, avoit amené fa fille avec lui, laquelle pour cacher sa groffeffe à fon pere, alla du côté d'Epidaure, où elle accoucha d'un fils qu'elle expofa fur une montagne qui s'appelle encore aujourd'hui le mont Titthyon, ou de la mammelle; au lieu qu'avant cette avanture on l'appelloit myrtion, à cause des myrthes qui y croiffoient ; & la raison de ce changement eft que cet enfant ayant été ainfi abandonné, fut allaité par une des chevres qui paiffoient dans un bois voisin (a), & gardé par le chien du troupeau. Arifthenes, c'étoit le nom du chevrier, venant à paffer en revûe fon troupeau, s'apperçut qu'il lui manquoit une chevre avec fon chien, & s'étant mis à les chercher, il trouva l'enfant & voulut l'emporter; mais au moment qu'il s'approchoit pour le prendre, il le vit tout refplendiffant de lumiere, ce qui lui fit croire qu'il y avoit là quelque chofe de divin, & il s'en retourna. Auffitôt la renommée publia par tout qu'il étoit né un enfant miraculeux. Paufanias ajoute au recit que je viens de rapporter, qu'on difoit auffi que Coronis dans le temps même de fa groffeffe, fe laiffa débaucher par Ifchys fils d'Eletus; on publioit encore qu'elle mourut en couche ; & de ces deux circonftances Óvide (2) a bâti la fable qu'Apollon ayant ap- (3) Met. 1. 24 pris du corbeau l'infidelité de sa maitreffe, lui avoit percé le fein d'un coup de fleche, en avoit retiré l'enfant dont elle étoit groffe, & l'avoit envoyé au Centaure Chiron, qui s'étoit chargé de fon éducation. Le fondement de cette double fiction, eft que le délateur fut regardé comme un oifeau de mauvais augure ainsi que l'oiseau dont Ovide lui donne le nom, que Coronis étant morte en couche, on dit qu'elle avoit été tuée d'une des fleches d'Apollon. Mais comme il étoit

&

(a) Lactance, Div. Liv. I. dit que ce fut une chienne qui lui donna à tetter.

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rare qu'on attribuât à ce Dieu les morts prématurées des femmes, ainsi qu'on l'a dit dans fon hiftoire, une autre tradi(1) Pauf. tion (1) portoit que c'étoit Diane elle-même qui pour venfon frere de l'infidelité de fa maitresse (2), lui avoit ôté la vie, ce qui eft très conforme à l'opinion qu'on avoit de ces fortes de morts.

Loc. cit.

(2) P. ibid.

faux Alex.

ger

Comme le nom de Coronis dans la Langue Grecque est le même que celui de la corneille, on publia à ce fujet encore une nouvelle fable, en difant, comme on le voit dans (2) Dial. du Lucien (3), qu'Efculape étoit forti fous la figure d'un ferpent, d'un œuf de cet oifeau; mais cette fiction dont on apperçoit le fondement dans la conformité de nom, n'eut lieu, 1°. Que parce que le ferpent étoit le fymbole d'Efculape, 2°. Qu'à caufe du conte que fit courir le faux Alexandre dont nous parlerons dans la fuite de ce Chapitre.

Efculape retiré du lieu où il avoit été expofé, fut nourri par Trigone, qui étoit peut-être la femme même du Che vrier qui l'avoit découvert, & lorfqu'il fut en état de profiter des leçons que donnoit en ce temps-là le célebre Chi

Phlegyas à qui fans doute on l'avoit remis, l'envoya à fon école. Comme il étoit, ainfi que nous l'apprenons de Diodore de Sicile, d'un efprit très- vif & très-fubtil, il y fit de tels progrès, fur-tout dans la connoiffance des fimples & dans la compofition des remedes, dont il en inventa un grand nombre de très-falutaires, ayant joint fuivant l'usage de ce temps-là, la Chirurgie à la Médecine, qu'il devint dans la fuite, non-feulement un grand Médecin, mais paffa même pour l'inventeur & le Dieu de la Médecine.

Il eft vrai que les Grecs qui ne fe foutiennent gueres dans l'hiftoire de ces fiecles reculés, donnoient à Apis fils de Phoronée la gloire d'avoir inventé cet art; mais peut-être que l'ayant laiffé encore très-imparfait, Efculape le porta à un point de perfection qui fit dire qu'il en étoit l'inventeur.

Contemporain de Jafon & d'Hercule, Efculape peut avoir eu le même maître qu'eux, & Chiron étant celui qui paffoit pour le plus habile homme de fon temps dans l'édution de la Jeuneffe, peut très-bien les avoir élevés tous trois.

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Cet habile Centaure poffedoit égalemenr l'Aftronomie, la Mufique, l'art de la Guerre & la Médecine. Ainfi pendant qu'Hercule s'appliquoit à la lutte & aux autres exercices du corps, & Jafon à l'art de la Guerre, Efculape fe donna tout entier à la Médecine, & y fit de grands progrès. Comme les connoiffances de College font ordinairement les plus durables, lorfque Jafon & Hercule entreprirent l'expedition de la Colchide, ils engagerent Efculape à être du voyage (4), & il leur rendit de grands fervices en qualité de Médecin. Enfin il s'acquit tant de reputation dans fon art, qu'il mérita après la mort comme Hercule & quelques autres de fes contemporains, les honneurs de l'Apotheofe, & fut regardé comme le Dieu de la Médecine. Même fi nous en croyons Paufanias, ce fut peu de temps après fa mort qu'il reçut les honneurs divins. On ajoute encore qu'il formoit dans le ciel le figne qu'on appelle le Serpentaire. Ses defcendans suivant Paufanias (1) regnerent dans une partie de la Meffenie, & (1) In Meff. ce fut de-là que Machaon & Podalire fes deux fils partirent pour aller à la guerre de Troye. Les Meffeniens citoient même les vers d'Homere qui représente Neftor confolant le Roi Machaon bleffé d'un coup de fleche, comme étant fon voilin, car ils regnoient l'un & l'autre dans la Messenie. On voyoit, au rapport du même Auteur, à Geranie le tombeau de Machaon, & à Pherés un temple qui lui étoit dedié. Car il eut part auffi aux honneurs divins, & ce fut Epithès Roi d'Andamie qui établit fon culte dans la Meffenie. Pour Podalire, on ignore l'hiftoire des dernieres années de fa vie. Tzetzès nous apprend cependant fur l'autorité du Médecin Soranus d'Ephefe, qu'il avoit passé à Rhodes, où apparemment il étoit mort.

nomment fa

Efculape époufa Epione (3), de laquelle il eut les deux (2) D'autres fils dont nous venons de parler, & quatre filles, Hygiéa, femme LamEglé, Panacea & Jafo.

Je n'ignore pas que quelques Sçavans du dernier fiécle & de celui-ci, prétendent qu'il n'y eut jamais d'autre Efcu

(a) Clem. d'Alex. Strom. 1. 5. Voyez ma Diff, fur les Argonautes. Mem. de l'Acad. des Belles-Lettres, pag. 2.

potie.

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