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de ce Peuple ne le ceda enfin à aucune autre en fuperftition & en cruauté.

Je regarde comme le fecond temps de la Religion Gauloife, celui qui s'écoula depuis la conquête de Jules Cefar jufqu'à l'établiffement du Chriftianifme dans les Gaules. Or cette même Religion reçut dans cet intervalle differens changemens. D'abord elle adopta la plupart des Dieux de leurs vainqueurs, le Vulcain, le Jupiter, l'Hercule, le Caftor & Pollux: le monument élevé du temps de Tibere, dont nous parlerons dans la fuite, & fur lequel fe trouve le nom de ces Dieux, en prouvant cette verité, fait voir qu'on ne fut pas long-temps, après la conquête de Jules Cefar, à introduire ces nouveaux Dieux dans le pays. Enfin on fe conforma prefqu'en tout aux pratiques religieufes des Romains. On commença à bâtir comme eux des Temples, des Chapelles, & à faire des ftatues des Dieux.

Mais pour entrer dans quelque détail fur cette ancienne Religion des Gaulois, je crois pouvoir avancer qu'outre qu'ils avoient de leurs Dieux une idée plus pure que les autres idolâtres, puifqu'ils ne croyoient pas qu'on pût les repréfenter fous une figure, ni en renfermer la majefté dans des Temples; ils avoient préferé pour l'exercice de leur Religion les bois folitaires & fombres, dont l'afpect feul infpire je ne fçai quelle frayeur religieufe.

Je fuis perfuadé même qu'à l'exemple des Perfes, dont ils avoient reçu une partie de leurs dogmes, ils commencerent par n'avoir d'autres Dieux que les Aftres & les Elemens. En effet, nous verrons dans la fuite qu'ils rendoient un culte particulier au Soleil, different de celui d'Apollon; qu'ils honoroient la Lune, qu'ils fçavoient bien diftinguer de leur Diane; & qu'ils rendoient auffi un culte religieux à la Terre, qu'ils regardoient, ainfi que les autres Peuples idolâtres, comme la mere des Dieux & des hommes.

Le Feu éternel qu'ils entretenoient dans leurs forêts qui leur fervoient de Pyrées, & le refpect qu'ils avoient pour Mithras, font voir qu'ils rendoient à cet Element le même honneur que les Perfes.

Ils avoient encore un refpect religieux pour les Lacs & pour les Marais, qu'ils regardoient ou comme autant de Divinités, ou du moins comme des lieux qu'elles choisisfoient pour leur demeure. Ils donnoient même à ces Lacs, comme aux arbres, le nom de quelques Dieux particuliers. Le plus célébre de ces Lacs étoit celui de Toulouse, dans lequel ils jettoient foit en efpeces, foit en barres, ou lingots, l'or & l'argent qu'ils avoient pris fur leurs ennemis. Il y avoit auffi dans le Gevaudan, au pied d'une montagne, un grand Lac confacré à la Lune, fous le nom d'Elané, où felon Gregoire de Tours, on s'affembloit tous les ans, des environs, pour y jetter les offrandes qu'on faifoit à la Déeffe. Strabon (1) parle encore d'un Lac célebre dans les Gaules, qu'on (1) Liv. 4. nommoit le Lac des deux Corbeaux, parce qu'il y avoit deux oiseaux de cette efpece qui y faifoient leur fejour, & defquels on faifoit mille contes ridicules; mais ce qu'il y a de certain c'eft que dans les differends qui arrivoient, les deux parties s'y rendoient & leur jettoient chacun un gâteau : celui que les Corbeaux mangeoient, fe contentant déparpiller l'autre, avoit gain de cause.

Au culte des Lacs & des Marais les Gaulois joignoient celui des Fleuves, des Rivieres, & des Fontaines, qu'ils croyoient autant de Divinités ; & ce qu'on a dit dans le Livre II. des honneurs rendus à l'Eau, regarde ces Peuples au moins autant qu'aucun autre. Ils lui facrifioient comme les autres Nations idolâtres, jettoient dans les eaux courantes des habits & d'autres chofes, & noyoient dans les gouffres les chevaux qu'ils avoient pris fur leurs ennemis. Il est inutile d'entaffer ici les témoignages des Anciens pour prouver cette propofition: ils font tous d'accord fur cet article, & on connoît ces beaux vers qu'Aufone a faits en l'honneur de la célébre Fontaine de Bordeaux qu'on nommoit Divona, ou Fontaine divine.

Comme les Egyptiens honoroient le Nil, & les Indienst le Gange, d'un culte particulier, les Gaulois avoient pour le Rhin un plus grand refpect que pour les autres Fleuves: perfuadés qu'il les animoit au combat, ils comptoient beaucoup fur fon fecours.

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Mais ce qu'il y avoit de plus facré & de plus refpectable dans la Religion des Gaulois, étoient les Bois & les Forêts, & parmi les autres arbres le chêne étoit celui de tous pour qui on avoit une plus grande vénération, comme on va le voir dans le Chapitre suivant.

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Es Gaulois n'avoient anciennement d'autres Temples, que les Bois & les Forêts, comme nous venons de le dire, ni d'autres Statues de leurs Dieux, ni d'autres Autels que les arbres de ces Bois: ces Bois étoient une chofe fi facrée parmi eux, qu'il n'étoit pas permis de les abattre, ni de s'en approcher qu'avec un refpect religieux, & feulement pour les orner de fleurs & de trophées, & y suspendre les reftes des Victimes immolées aux Dieux qu'ils représentoient. Il n'étoit pas permis de fe fervir de certains arbres, même lorsqu'ils étoient tombés par caducité, ou par quelqu'autre accident. En un mot, les Forêts & les arbres étoient leurs Temples, leurs Autels, & les Statues de leurs Dieux. C'étoit au milieu de ces Bois qu'on offroit les facrifices, que fe faifoient toutes les affemblées de Religion.

Ce ne fut que fort tard qu'ils fe prêterent fur cet article aux usages des autres Nations Payennes. Cefar en effet, ne dit rien de leurs Temples, ni des Statues de leurs Dieux: on a cent autres preuves de cette vérité, & le fait eft inconteftable. Cependant d'anciens Hiftoriens parlent des Temples des Gaulois, au temps même de la Conquête de Jules (1) In Cx- Cefar. Suetone (1) dit que ce Conquerant pilla & faccagea ces Temples, qui étoient remplis de tréfors; Strabon, fans citer les autres, fait auffi mention des Temples & des Oratoires des Gaulois; mais on peut répondre que ces Auteurs parlent le langage de leur Nation, & suivant leurs préjugés.

Il eft vrai que les Gaulois avoient des lieux deftinés & confacrés fpécialement au culte de leurs Dieux ; que c'étoit dans ces lieux que se pratiquoient les cérémonies religieufes ; qu'on y offroit les facrifices, &c. mais ces Temples, fi on veut les appeller ainfi, n'étoient pas des édifices comme ceux des Grecs & des Romains: c'étoient des bois, c'étoient à Touloufe les bords d'un Lac confacré par la Religion, qui fervoient de Temple. C'étoit dans ces lieux qu'on renfermoit les trefors. Ainfi les Auteurs que j'ai cités, ont eu raison en un fens, de dire que Cefar avoit pillé leurs Temples; c'està-dire, les lieux qui leur en fervoient. C'eft fuivant cette diftinction qu'il faut entendre ce que dit Strabon, que c'étoit dans leurs Temples que les Gaulois crucifioient les hommes qu'ils immoloient à leurs Dieux, c'est-à-dire, dans ces Forêts mêmes qui leur fervoient de Temples. Car comment feroient entrés dans des édifices, quelques fpacieux qu'on les fupposât, ces Coloffes d'ofier, dans lefquels ils mettoient ou les criminels ou les captifs, & quel défordre n'y auroit pas caufé le feu qui les confumoit?

Rien au refte, n'est fi célebre dans l'Hiftoire des anciens Gaulois que les Bois du Pays Chartrain, qui étoient, fi j'ofe m'exprimer ainfi, la Metropole du Pays, où l'on s'affembloit de toutes parts, autant pour les cérémonies de la Religion, que pour les affaires d'Etat, ainfi qu'on le dira plus au long dans l'Hiftoire des Druydes : & la Forêt qui étoit près de Marseille, où étoit le fecond College de ces Prêtres, & le plus fréquenté après le Pays de Chartres. Tacite (1) parlant des Semnons, Celtes d'origine, & qui (1) De Mor. fuivoient la même Religion que les Gaulois, confirme ce qu'on vient de dire. « Ces Peuples, dit-il, n'ont pour Temple qu'une Forêt, où ils s'acquittent de tous les devoirs de » la Religion. Personne n'a entrée dans ce Bois, s'il ne porte » une chaîne, marque de la dépendance & du domaine fuprême que Dieu à fur lui.

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Ce ne fut donc que depuis l'entrée des Romains dans les Gaules, qu'on commença à y en bâtir, l'usage même n'en fut pas d'abord général : on continua, malgré ces nouveaux

Ger.

Temples, à facrifier dans les forêts, & à fe fervir des arbres mêmes pour repréfenter les Dieux; & cet ufage dura longtemps, puifque Maxime de Tyr dit que la Statue de leur Jupiter n'étoit encore qu'un chêne fort élevé.

Ce culte rendu aux arbres étoit fort ancien dans cette nation, & dès-là fi difficile à détruire, que malgré les Canons de differents Conciles, & les exhortations réiterées des Prélats, qui n'oublioient rien pour l'abolir, il subsista dans quelques cantons des Gaules, long-temps après que le Chrif tianisme y eut triomphé de l'Idolâtrie, & on en décou vroit encore quelques reftes du temps de Charlemagne. L'Hiftoire Eccléfiaftique fait souvent mention des arbres que de faints Perfonnages faifoient abbattre, parce qu'ils étoient encore l'objet de la vénération publique ; & elle nous apprend en particulier que faint Severe de Vienne en fit déraciner un qui repréfentoit à la fois cent de leurs Dieux, ainsi qu'il paroiffoit par l'Infcription pofée dans l'Eglife qui fut bâtie à la place de cet arbre. Mais les Gaulois s'accoutumerent enfin fi bien aux mœurs & aux coutumes de leurs Vainqueurs, qu'on vit de tous côtés s'élever un grand nombre de Temples, où furent dépofées les Statues qui représentoient également les anciens Dieux du Pays & ceux des Romains. Les Antiquaires, & furtout le R. P. Dom Bernard de Montfaucon, ont fait deffiner les reftes de plufieurs de ces Temples, qu'on peut voir dans leurs Ouvrages. On remarque qu'ils font prefque tous de figure ronde, ou octogone, comme fi on avoit cru ne devoir renfermer les Maîtres du monde que dans des lieux qui lui reffemblaffent par leur fi

gure.

Les Sçavans ont recherché avec foin d'où venoit ce refpect des Gaulois pour les arbres, & en particulier pour le chêne, pour lequel ils avoient tant de vénération, qu'on peut dire qu'il étoit en même temps leur Temple & leur Dieu; & le plus grand nombre eft perfuadé qu'il tiroit fon origine du chêne de Mambré fous lequel Abraham, comme il est rapporté dans la Genese, invoqua le nom du Seigneur. On ne fçauroit nier en effet que ce chêne ne foit devenu trèscélébre

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