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une partie de ce que nous avons dit de celle des Gaulois. Cependant comme chaque Peuple fe donna la liberté de faire à la Religion de fes Peres les changemens qu'il jugeoit propos; que fouvent il introduifoit de nouveaux Dieux à la place des anciens, & qu'il ne manquoit gueres d'adopter ceux des pays qu'il venoit habiter, il fe trouve quelques différences entre la Religion des Gaulois & celle des Germains.

Le Sacerdoce auffi n'étoit pas le même : car les Germains n'avoient pas de Druydes comme les Gaulois & les habitans de la Grande Bretagne, quoique les uns & les autres de ces trois Peuples euffent un grand refpect pour leurs Prêtres. Ceux des Germains, fuivant Tacite (i), avoient un grand crédit, (1) De Mor. & il n'étoit permis qu'à eux feuls de reprendre quelqu'un, de German. le lier & de le battre; encore n'étoit-ce point le plus fouvent pour punir celui qu'ils traitoient ainfi, des fautes qu'il pouvoit avoir commifes, ni pour exécuter des ordres fuperieurs, mais parce, difoient-ils, que les Dieux l'exigeoient ainsi. C'étoient eux encore qui tiroient des bois facrés les représentations des Dieux, qu'ils portoient dans les combats : ce que c'étoient que ces représentations, l'Auteur ne le dit pas ; il affûre feulement qu'ils n'avoient point de ftatues, en forte que les deux paffages que je vais citer, femblent difficiles à accorder: Effigies & figna ( Deorum ) extracta lucis in prælium ferunt... Cæterùm nec cohiberi parietibus Deos, neque in ullam humani oris fpeciem affimilari, ex magnitudine cæleftium arbitran¬ tur. C'étoient apparemment quelques fymboles informes, tels que l'épée, qui chez les Scythes repréfentoit le Dieu Mars. (a)

A cela près les deux Religions fe reffembloient beaucoup. Comme Jules Cefar eft celui de tous les Anciens qui a parlé avec le plus de détail de la Religion des Gaulois, Tacite eft auffi celui qui s'eft le plus étendu fur celle des Germains. En effet, foit que Céfar ne connût pas affez ces Peuples, ou

(a) La coutume de porter les images des Dieux à la Guerre étoit établie chez differens Peuples d'Allemagne, tels que les Cimbres, les Ambrons, les Germains, & pour abreger, prefque tous les Celtes; d'où l'Auteur de l'Hiftoire de la ReliTome II.

Igion des Gaulois, T. I. p. 57. conclud
qu'ils avoient apris cet ufage des Philif-
tins qui portoient pareillement leurs
Dieux à la Guerre, ou même des He-
breux qui avoient fouvent dans leur camp
l'Arche d'Alliance.

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que n'y ayant pas fait de conquêtes, il fe foit moins embar raffé d'étudier leurs moeurs & leur Religion; ou qu'enfin depuis fon temps jufqu'à Tacite, la Religion & les mœurs de cet ancien Peuple euffent reçû bien des changemens, le premier dit feulement : « que les Germains ne connoiffent point » d'autres Dieux que ceux qu'ils voyent, & ceux dont ils reçoivent évidemment quelque bienfait, le Soleil, Vul» cain & la Lune: des autres ils n'en ont pas feulement oui parler (a) «. Tacite, dans le Livre intitulé, des mœurs des Germains, & dans plufieurs endroits de fon Hiftoire, eft entré à ce fujet dans un fort grand détail, & je ne sçaurois mieux faire, que de raffembler ici tout ce qu'il nous en apprend, en y joignant de courtes reflexions.

Il dit d'abord, au commencement de ce Livre que les Germains reconnoiffoient un Dieu Tuifton, qui tiroit fon origine de la terre, & qui avoit un fils nommé Mannus, dont ce Peuple étoit defcendu : que Mannus avoit eu trois fils, defquels avoient pris leurs noms les Ingevons, les Hermivons & les Iftævons, aufquels on joignoit encore les Marfes, les Gambriviens, les Sueves & les Vandales. Comme les Germains, non plus que les Gaulois, n'écrivoient rien c'étoit dans des vers retenus par coeur qu'étoient contenues ces anciennes généalogies.

Les Auteurs Allemands, & Schoedius en particulier qui a compofé fur ces Dieux des Germains un Traité fort sçavant, fe font donné la torture pour expliquer ces Généalogies prétendans qu'ils appercevoient dans les mots rapportés par Tacite, des termes de la langue Teutonique, ce qui n'eft pas fans fondement. Pour moi, je croirois que l'origine de Tuifton étoit totalement inconnue, & que ce fut pour cela qu'on avoit dit qu'il étoit fils de la terre. Pour fon fils Mannus, il ne fignifie dans la langue du Pays qu'un Homme, Mann. Comme le même Tacite (a) rapporte qu'un Ambaffadeur des Tencteres, nation Germanique près du Rhin, rendoit graces aux Dieux du Pays, & particulierement à Mars, le principal

(a) Germani Deorum numero eos folos ducunt quos cernunt, & quorum opibus apertè juvantur, Solem, Vulcanum, Lunam. De Bell. Gall. I. 6.

me que

(1) De orig. & progr. Idol. 1.2.c. 15.

d'entr'eux, de ce que ceux de Cologne étoient rentrés dans le Corps Germanique, on conclut de-là que Mars étoit le premier & le principal des Dieux de cette Nation guerriere, & Voffius (1) croit qu'il étoit parmi les Germains le mêle Soleil: mais Tacite dit dans un autre endroit que Mercure étoit leur premier Dieu; Deorum maximum Mercurium colunt, & qu'on lui immoloit des victimes humaines. Un Peuple reculé dans le fond de la Germanie, dit le même Auteur (2), honore Cybele d'une maniere finguliere, puif- (2) De Mor que fon culte confifte à porter dans les fêtes de cette Déeffe German. des figures de fangliers ; ce qui tient lieu d'armes offenfives & défensives à ceux qui les portent, & les met à l'abri de tous dangers, même au milieu du feu & du carnage.

Tacite parle fans doute en cet endroit conformément aux idées des Romains : cependant on peut croire que cette Nation rendoit un culte particulier à la Terre, regardée par tous les Idolâtres comme la mere commune des hommes & des Dieux. Ces Barbares ne vivoient apparemment que de la chaffe, & des fangliers qu'ils tuoient, qui étoient communs dans les forêts, & lui en offroient en facrifice; car c'étoit toujours des chofes dont on fe nourriffoit qu'on tiroit les victimes.

<< Une partie des Sueves, dit-il encore, facrifie à Ifis; je » ne fçais pourquoi ils ont adopté cette Divinité étrangere: la figure qu'ils lui donnent d'une fregate, fait voir qu'elle » a été apportée d'ailleurs. Ces mêmes Peuples, continue» t-il, honorent la Terre qu'ils nomment Herta, & Cybele ❤la mere des Dieux. La grandeur des chofes celeftes leur

perfuade qu'on ne doit point faire de figures des Dieux, ni les » renfermer entre des murailles; mais au lieu de Temples ils confacrent des bois & des forêts, & donnent les noms de » leurs Dieux à ces lieux fecrets & reculés, fur lefquels à pei❤ ne ofent-ils jetter les yeux, à caufe de la vénération qu'ils » leur portent.

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Ils obfervent plus que toute autre Nation, le vol des oifeaux, & fe fervent des forts, aufquels ils ajoutent beaucoup » de foi; ce qu'ils font d'une maniere fort fimple. Ils coupent une branche d'un arbre fruitier, qu'ils partagent enfuite en

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plufieurs petites parties, à chacune defquelles ils mettent » une marque particuliere, & ils les jettent enfuite au hazard fur un habit blanc. Si la confultation eft publique, c'est le » Prêtre de la Nation qui y prefide; fi elle eft particuliere > c'eft le pere de famille, qui après avoir fait fa priere aux Dieux, & élevé les yeux vers le ciel, prend trois fois ces » baguettes, & les interprete felon les marques qu'on y atracées. Si elles ne font pas favorables, ils ne confultent plus » le même jour; fi au contraire elles font de bon augure, ils employent encore les aufpices, qu'ils tirent de la voix & du vol des oifeaux & des chevaux, qui font nourris aux dépens du public dans ces bois facrés. Ces chevaux font blancs, & perfonne ne peut les toucher. Le Prêtre avec le Roy ou le Chef de la Nation les attachent à un chariot facré, les accompagnent, & obfervent leurs henniffemens » & leurs frémiffemens; & il n'eft point de préfage auquel » on ajoute plus de foi, qu'à celui qu'ils tirent par-là (a). Ils ont auffi une autre forte d'augure, dont ils font ufage pendant la guerre, pour découvrir à qui demeurera la » victoire. Ils tâchent pour cela de prendre un ennemi, l'un d'eux fe bat contre lui; & on croit que l'avantage général » fera du côté de celui qui est le vainqueur dans ce combat fingulier.

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Les Sueves, continue encore le même Ecrivain, s'af» fembloient dans une certaine faifon de l'année dans un bois la Religion du pays avoit confacré, & commençoient les cérémonies qu'ils alloient y pratiquer par le meurtre d'un homme: Stato tempore in fyluam, Auguriis patrum & prifcâ formidine facram, omnes ejufdem fanguinis populi legationibus coëunt, cafoque publicè homine celebrant barbari ritus hor renda primordia.

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Hercule, au refte, étoit, fuivant l'Auteur que je copie; un des grands Dieux des Germains, & on lui offroit ainfi qu'à Mars des animaux en facrifice. Herculem ac Martem concifis animalibus placant.

(a) Prefque tous les Peuples de la terre ont donné dans la fuperftition dont parle ici Tacite; chacun y a employé des pratiques particulieres.

Les Naharvales, autre nation Germanique, avoient un bois facré, dont le Prêtre étoit vêtu d'un habit de femme. Les Romains croyoient que les Dieux qu'on y honoroit étoient Caftor & Pollux, fur ce qu'ils étoient freres & jeunes; mais dans le pays ce Dieu étoit nommé Alcès (a), & on n'en avoit aucune ftatue. L'idée, au refte, des Hiftoriens Latins, n'avoit

pour fondement.que la Tradition qui portoit que les Argonautes, à leur retour de la Colchide, avoient remonté quelques fleuves, comme je le dirai dans leur Hiftoire (1), & (1) Tom. III. étoient entrés dans les mers du Nord. C'étoit apparemment auffi fur les longues erreurs d'Ulyffe, qu'on difoit qu'il y avoir dans les mêmes pays des veftiges de fon féjour, & qu'on lui rendoit quelques honneurs ; mais l'Historien lui-même qui rapporte ce fait, paroît n'y ajouter aucune foi.

que

Quoique les Germains n'euffent pas de Druydes, ainfi qu'on l'a dit, c'étoit dans les bois facrés qu'on tenoit les repréfentations des Dieux, comme dans les Gaules, & il ne leur étoit pas permis de les placer ailleurs. C'étoit dans les mêmes bois les uns & les autres offroient leurs facrifices ; & de tous les arbres le chêne parmi les deux Nations étoit le plus refpecté on n'offroit point de facrifices ni dans les Gaules ni dans la Germanie, fans avoir auparavant couvert l'Autel de fueilles & de branches de cet arbre. Les Grecs, pour le dire en paffant, en ufoient de même; Apollonius de Rhodes (2), parlant du facrifice folemnel qu'offrirent les Argo- (2) Argon. nautes avant leur départ, dit qu'après avoir élevé l'Autel fur le bord de la mer, ils le couvrirent de branches & de fueilles de chêne.

Je pourrois pouffer plus loin le paralléle de la Religion de ces deux Peuples; mais je me contenterai de rapporter encore deux traits de reffemblance bien marqués. Le premier eft que dans leurs affemblées de Religion, comme dans celles qui n'étoient que purement civiles, les uns & les autres

(a) Apud Naharvales antiquæ religionis lucus oftenditur præfidet Sacerdos muliebri ornatu. Sed Deos interpretatione Romaná Caftorem Pollucemque memorant. Ejus numinis nomen, Alces. Nulla fimulachra, nullum peregrina fuperftitionis veftigium. Ut fratres tamen, ut juvenes venerantur. De Mor, Germ. num. 43.

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LI.

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