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obligé, quand on n'en avoit pas, de les acheter fort cher; car les charlatans en faifoient un commerce public. Les devoirs dont je viens de parler, confiftoient à les changer d'habits toutes les nouvelles Lunes; de mettre dans le petit coffret où on les tenoit enfermées, de la foye & de la laine, pour qu'elles y fuffent mollement couchées ; de les laver tous les Samedis avec du vin & de l'eau, & de leur fervir à chaque repas à boire & à manger, fans quoi elles jettoient, dit-on, des cris comme des enfans qui fouffrent la foif ou la faim.

Les Sçavans n'ont pas manqué de chercher l'origine d'un usage fi ancien en Allemagne, qu'il remonte jufqu'au temps de leur premiere Idolatrie; quoique dans les derniers temps on ait ajouté à la pratique un grand nombre de fuperftitions inconnues à la fimplicité des anciens Germains.

Qelques-uns de ces Sçavans ont cru trouver l'origine de ces petites figures, dans l'imitation que les premiers Peuples firent de l'Arche d'Alliance ; & comme ils croyoient que Moyfe y avoit enfermé des figures qu'on ne connoiffoit pas, mais dont la vertu étoit telle, que cette Arche portoit bon heur à tous les lieux où elle repofoit, comme dans la maison d'Obededon, ils firent ces petites images, qu'ils tenoient proprement renfermées dans de petits coffrets. D'autres qui n'en font pas remonter fi haut l'origine, la tirent de l'ufage que les Grecs faifoient de la Mandragore. L'Auteur qui donne lieu à cet article, croit que ces figures étoient plus vraifemblablement l'ouvrage des femmes Germaines, qui paffoient pour connoître l'avenir, & qu'on appelloit Alrunes (a). Sur ce principe, il regarde ces petites images comme des Dieux Penates, ou Lares, qui prenoient foin des maifons & des perfonnes qui y habitoient. Mais en ce cas-là, il faut conclure qu'elles n'étoient pás auffi anciennes qu'il le prétend, puisque, felon Tacite, les Germains n'avoient dans les premiers temps aucunes images, aucunes figures humaines de leurs Dieux, qu'ils ne repréfentoient que par quelques fymboles. Quoiqu'il en foit, cette fuperftition tant de fois profcrite

(4) Mot composé de Al, omnis, universus, & de Runa myfterium.

Xxxx ij

par

les Conciles, dure encore parmi ce Peuple, ainsi qu'on déja remarqué, tant l'erreur qui s'eft perpetuée d'âge en âge, eft difficile à déraciner.

Tacite nous apprend auffi que les Germains étoient perfuadés que les Dieux apparoiffoient quelquefois fous une figure humaine, & converfoient avec les hommes, fe mêloient de leurs affaires, & qu'ils n'avoient point de répugnance pour les mets qu'on leur prefentoit. Le même Auteur, fuivi en cela par Gregoire de Tours, dit que ces mêmes Peuples, pour honorer leurs Dieux, avoient des jours de fêtes marqués, pendant lefquels ils leur préparoient des feftins de tout ce qu'ils avoient de plus rare & de plus exquis; qu'on en partageoit les viandes, & qu'après en avoir laiffé une partie pour les Dieux, ceux qui étoient de la fête confumoient le refte, coutume qui reffemble beaucoup aux Lectifternes des Grecs & des Romains, dont il a été parlé dans l'article (1) Tom. I. des Sacrifices (1).

liv. 4.

Comme ils étoient auffi dans l'opinion, ainfi que les autres Payens, que les ames des morts, revêtues d'un corps léger, fe plaifoient ou dans les tombeaux, ou à errer autour, ils ne manquoient pas de leur fournir de quoi boire & manger; coutume que les Germains pouvoient bien avoir reçue des Scythes, qui la pratiquoient anciennement, au rapport d'Herodo(2) Liv. 7. te (2). De-là ces pots, ces vafes, ces couteaux, & tant d'autres uftenciles qu'on découvre tous les jours dans les anciens tombeaux des Germains, des Gaulois, & de quelques autres Peuples.

pour

Une coutume fuperftitieuse encore bien marquée,étoit celle que pratiquoient les anciens Germains dans les repas, où lier une amitié inviolable, ils se tiroient du fang, le verfoient (3) Athen. dans un vase, & en bûvoient tous les uns après les autres (3). h J. c. II. Je dois ajouter encore comme une fuperftition qui leur étoit

particuliere, que quand ils faifoient brûler leurs morts, ils jettoient dans le bûcher des Lettres qu'ils écrivoient à leurs parens en l'autre monde, coutume qui leur étoit commune avec les Gaulois.

Enfin une derniere fuperftition de ce peuple, fur laquelle

je dois encore m'arrêter un moment, étoit la Divination à
laquelle il étoit fort adonné. C'étoient les femmes qui s'en
mêloient, & il n'y avoit point de fortilege & de malefice
qu'elles ne miffent en ufage pour connoître l'avenir, qu'elles
faifoient profeffion publique de déclarer à ceux qui venoient
les confulter. L'opinion qu'on avoit que ce myfterieux ave-
nir leur étoit connu,étoit une des premieres caufes de ce grand
refpect & de cette confideration infinie, que nous avons dit
après Tacite, que les anciens Germains avoient pour leurs
femmes; & fi cet Hiftorien ajoute qu'on croyoit appercevoir
en elles quelque chofe de divin, c'étoit fans doute ce com-
merce qu'on s'imaginoit qu'elles avoient avec les Dieux,qui leur
revéloient l'avenir. La mort de ces femmes ne faifoit pas cef-
fer le refpect qu'on avoit pour elles; au contraire, elle l'au-
gmentoit, & à une vénération purement civile, en fuccé-
doit une religieufe: on les regardoit la plupart après leur mort
comme des Divinités, & on leur rendoit le même culte
qu'aux autres Dieux. Il eft vrai que Tacite ne nomme parmi ces
femmes déifiées que Velleda; mais il y en avoit fans doute
bien d'autres. Les Sçavans du pays font même perfuadés que
les Déeffes Meres, dont j'ai parlé dans le Livre précedent,
& dont on a découvert divers Monumens dans diffetens can-
tons de la Germanie, n'étoient que ces femmes devinereffes,
qui après leurs Apotheofes, étoient invoquées pour
la fanté
des particuliers, & pour celles même des Empereurs.

C

CHAPITRE II.

D'Irminful, Dieu des Saxons.

HARLEMAGNE, dans un des voyages qu'il fit en Saxe, ayant pris en 772. la fortereffe d'Eresbourg, fit détruire le Temple d'Irminful & l'Idole de ce Dieu. Les Sçavans, & en particulier M. l'Abbé Vertot (a), ont fait des Dif fertations au fujet de cette Divinité Saxone, dont Schoedius avoit déja parlé (1).

(a) Voyez la partie hiftorique du cinquiéme Volume des Mem. de l'Acad. des Belles-Lettres, pag. 188.

(1) De Diis

Germanor.
Synt. 3. c. I..

Saxones.

Dans cette partie de l'ancienne Germanie habitée par les Saxons Weftphaliens, près de la riviere Dimelie, s'élevoit une haute montagne, fur laquelle étoit le Temple de ce Dieu, au milieu de la citadelle que je viens de nommer. Cet (1) Antiq. édifice, au rapport de Meibonius (2), étoit également recommandable par la beauté de fon architecture, & par la vénération des Peuples qui l'avoient enrichi de leurs offrandes, dont Charlemagne fçut bien profiter, en ayant retiré une grande fomme d'or & d'argent. La ftatue de ce Dieu étoit placée fur une colomne d'un travail exquis, qui tenoit d'une main un étendart fur lequel étoit peinte une rofe, & de l'autre une balance. Le premier de ces deux fymboles marque combien eft peu durable la gloire qu'on acquiert dans les combats; le fecond, l'incertitude de la victoire qui dépend quelquefois d'un rien, comme il ne faut prefque rien pour faire pancher la balance qui eft en équilibre. La figure d'un ours qu'Irminful portoit fur fa poitrine, & celle d'un lion fur fon bouclier, apprenoient qu'il falloit de la force, du courage & de l'adreffe dans les grandes entreprises.

Telle eft la defcription que Kranfius fait de cette ftatue, & l'explication qu'il donne des fymboles qu'elle portoit, mais fans citer aucun garant; ce qui fait qu'on regarde cette defcription comme une chofe purement imaginée. Les anciens Germains, felon Tacite, n'avoient point de ftatues de leurs Dieux; c'eft donc, dit-on, fans fondement que l'Auteur Allemand parle de celle d'Irminful, que l'Abbé d'Efperh, qui vivoit dans le treizième siècle, dit n'avoir été qu'un fimple tronc d'arbre: mais ne pourroit-on pas excufer Kranfius, en difant que depuis Tacite jufqu'à Charlemagne la Religion des anciens Germains avoit reçû bien des changemens, & que ces Peuples une fois foumis, avoient reçû comme les autres, les ufages & les coutumes de leurs Vainqueurs ? Une preuve fans replique de ces changemens, a'eft que Tacite dit auffi que les Germains n'avoient d'autres Temples que les bois; cependant on voit par l'Hiftoire que du temps de Charlemagne Irminful avoit fur le haut d'une colline un Temple que cet Empereur fit détruire.

guerre, comme

Paterc.

Quoiqu'il en foit, les Sçavans font partagés au fujet de ce Dieu. Selon quelques-uns c'étoit Mercure, ou Hermès, comme fon nom femble même l'infinuer. Eresbourg, suivant d'autres, étant auffi nommé Marfpurg, qui veut dire le Fort de Mars, on peut fort bien croire que les anciens Saxons peuples belliqueux, adoroient le Dieu de la les Scythes & les autres Peuples du Nord. Wernerus Rofevincius prenoit cette idole pour une figure Panthée, qui représentoit en même temps Mars, Mercure, Apollon & Hercule. Il y a des Auteurs qui croyent que ce Dieu eft le même qu'Arminius, Général des Cherufques, qui après avoir défait trois Legions de Varus, & obligé ce Général à se paffer fon épée au travers du corps (1), fut regardé comme le (1) Velleius liberateur de fa patrie, & en devint le Dieu tutelaire. Tel eft le fentiment de Schoedius, que M. l'Abbé de Vertot a suivi, Irminful avoit fes Prêtres & fes Prêtreffes, & leurs fonЯtions n'étoient pas les mêmes. Dans les fêtes qu'on célebroit en fon honneur, la Nobleffe du pays s'y trouvoit à cheval (2) (2) Aventiarmée de toutes pieces; & après une cavalcade qu'on faifoit nus, Ann. autour de la colomne qui portoit l'Idole, on mettoit pied à terre, on fe mettoit à genoux, & on faifoit des prefens aux Prêtres, qui felon Meibonius, étoient choisis parmi les plus confidérables de la Nation. C'étoit en cette occafion qu'on examinoit la conduite de ceux qui avoient fervi dans la derniere guerre, & les Prêtres puniffoient à coups de verges ceux qui n'avoient pas fait leur devoir. On pouffoit même la rigueur jufqu'à punir de mort les Chefs qui avoient perdu la bataille par leur faute.

Charlemagne, maître d'Erefbourg, fit démolir le Temple de ce faux Dieu, fit conftruire fur les ruines une Chapelle, & enterra la ftatue & la colomne qui la portoit. Déterrée dans la fuite par les foins de Louis le Debonnaire, elle fut tranfportée à Hildesheim, où l'on célebra depuis tous les ans, la veille du Dimanche Latare, la memoire de la destruction de cette Idole.

Boior.

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