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CHAPITRE III.

De la Déeffe Nehalennia.

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ETTE Déeffe adorée dans le fond feptentrional de la Germanie, étoit tout-à-fait inconnue, lorsque le 5. de Janvier 1646. un vent d'Eft fouflant avec violence vers la Zelande, le rivage de la mer fe trouva à fec proche Doefbourg, dans l'ifle de Valchren, & on y apperçut des mafures que l'eau couvroit auparavant. Parmi ces mafures étoient des Autels, des Vafes, des Urnes & des Statues, & entre autres plufieurs qui représentoient la Déesse Nehalennia, avec des Infcriptions qui apprenoient fon nom. Ce tréfor d'Antiquités fut bien-tôt connu des Sçavans, & Urcé dans fon Hi(1) Tom. I. ftoire des Comtes de Flandres (1), a fait graver quatorze de ces ftatues, qui toutes portent le nom de cette Déesse, à l'exception d'une feule. Dom Bernard de Montfaucon neles a pas negligées, & on en trouve fept à la fin du second Tome de fon Antiquité expliquée par les figures.

pag. 51.

(2) Hift. de la Rel. des Gaulois, T.2. 4. 17.

Septentr.

Dom Jacques Martin (2) s'eft donné la peine de nous marquer toutes les attitudes qu'a cette Déeffe fur ces différentes statues, tantôt affife, tantôt debout; un air toujours jeune, & un habillement qui la couvre depuis les pieds jufqu'à la tête, la caractérisent par-tout: & les fymboles qui l'environnent, font ordinairement une corne d'abondance, des fruits qu'elle porte fur fon giron, un panier, un chien, &c.

Comme une découverte eft fouvent favorable pour en amener d'autres, M. Keifler (3) dit qu'en examinant avec foin les (3) Antiq. Idoles qu'on voit encore dans la Zelande, on en remarque quelques-unes qui avoient tour l'air de Nehalennia, quoiqu'on ne fe fût pas avifé auparavant de le foupçonner: du moins eft-il fûr que ce n'étoit pas dans cette Province seule (4) P. 89. qu'étoit connue & honorée cette Déeffe, puisque Gruter (4) rapporte une Inscription trouvée ailleurs qui eft confacrée à

2. I.

cette

cette Divinité par Eriattius fils de Jucundus: Dea Nehal. Eriattius Jucundi pro fe & fuis votum folvit libens merito; car il n'eft pas douteux que ce ne foit le nom de Nehalennia en abregé. Mais quand on voudroit n'en pas convenir, il est für du moins que cette Déeffe étoit honorée en Angleterre, puifqu'on y a trouvé une Inscription où fon nom est tout du long. On prétend même qu'une image en mofaïque déterrée à Nifmes la représente ; mais la chose n'est rien moins que certaine.

Les Auteurs que j'ai cités dans ce Chapitre font prefque tous d'accord que cette Déesse étoit la Lune, ou plutôt la nouvelle Lune; mais tout bien confideré & examiné, il me paroît que c'eft une de ces Déeffes Meres dont j'ai parlé à la fin du Livre précédent : les fruits, la corne d'abondance, le chien, en un mot, tous les fymboles qui l'accompagnent regardent bien plus une Déeffe champêtre, comme les Meres, que la Lune à laquelle ils n'ont certainement aucun rapport. On a trouvé des monumens de ces Déeffes en France, en Angleterre, en Italie & en Allemagne, il n'eft pas étonnant qu'on en ait trouvé dans la Zelande; car, comme je l'ai prouvé, leur culte étoit fort étendu.

J'avois oublié de dire que Neptune fe trouve trois fois joint aux figures de Nehalennia, ce qui donne lieu de croire que cette Déeffe étoit auffi invoquée pour la navigation; & cela eft confirmé par l'Infcription d'Angleterre dont j'ai parlé dans laquelle Secundus Sylvanus déclare qu'il a accompli le vœu qu'il avoit fait à cette Déeffe pour l'heureux fuccès du commerce de Craie qu'il faifoit,

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(1) De.orig. & progr. Idol.

:

Ifis, adorée chez les Sueves.

E toutes les Divinités du Paganisme, il n'y en eut peut-être aucune dont le culte ait été adopté plus généralement que celui d'ifis. Ce n'eft pas que les differens Peuples qui le reçûrent ayent toujours honoré cette Déesse fous ce nom, mais dans le fond c'étoit toujours la même, quoiqu'on la prît pour la Terre, pour Cybele, pour Diane ou pour la Lune, &c. De-là ces mille noms qu'on dit qu'elle portoit. Tacite, qui nous apprend que fon culte avoit pénétré jufque chez les Sueves, peuple diftingué parmi les anciens Germains, avoue qu'il ne comprend pas comment il étoit paffé dans un pays si éloigné (a); à quoi on peut ajouter, avec lequel on avoit fi peu de commerce.

Ce qui a paru difficile à l'Hiftorien Romain, doit nous le paroître auffi; mais de pareilles difficultés ne font qu'irriter la curiofité des Sçavans, & c'est dans ces fortes de fujets furtout que paroît la fagacité. En effet combien de conjectures n'ont-ils pas débitées fur la maniere dont ces Peuples éloignés ont pû connoître Ifis? Si cette Déeffe eft Eve, dit Voffius (1), comme elle l'eft en effet, dit-il, puifque fon nom vient de l'Hebreu Ifcha, qui veut dire femme par excellence, quel inconvénient qu'elle ait été honorée d'un culte religieux par tant de Nations qui avoient appris ce nom par tra dition? Pourquoi, au rapport de Cluvier, le culte d'Ifis connu dans toute l'Afie, n'auroit-il pas penétré dans le fond de la Germanie avec les Colonies qui y pénétrerent? Les Sueves, felon Dom Pezron, étant fortis d'Asie, ont reçû fans doute la Religion de ce Peuple. Si Ofiris, dans ces grands voyages que Diodore & les autres Anciens lui font entreprendre,

(a) Pars Suevorum & Ifidi facrificat: unde caufa & origo peregrino facro, parum come peri. De Morib. Germanor.

ftrat. p. 4.

pénétra jufqu'aux fources du Danube, comme l'a crû M. Huet (1), la reconnoiffance n'a-t-elle pas pû le faire recevoir (1) Demonau nombre des Dieux, lui & Ifis fon époufe, par les Peuples de cette contrée, qu'il avoit vifités, comme les autres qu'il avoit parcourus, d'où même fon culte s'étoit étendu dans toute la Germanie, les Gaules & l'Espagne? Il est vrai que le nom d'Ofiris a été inconnu aux Peuples que je viens de nommer ; mais ceux d'Apollon, de Belenus, de Soleil, qui étoient les mêmes que cet ancien Roy d'Egypte, ne l'étoient pas.

Quoiqu'aucune de ces conjectures ne manque pas de vraifemblance, car je ne rapporte pas celle d'Aventinus, qui dans fes Annales des Boïens avance contre l'autorité de tous les Anciens, qu'Ifis accompagna fon mari dans fes expeditions, & alla avec lui jufqu'en Allemagne pour y voir Suevus qui y regnoit alors; cependant je crois qu'il vaut mieux dire que le culte de cette Déeffe a pû paffer dans la Germanie par le moyen de Sefoftris, qui certainement pénétra non feulement dans la Colchide, où felon Herodote, il laiffa une colonie, mais même jufque dans la Thrace, où il en laiffa une autre fous la conduite de Maron, comme nous l'apprenons de Diodore; ou plutôt par le moyen des Gaulois qui envoyerent des colonies dans la Germanie, & qui avoient reçû eux-mêmes le culte de cette Déeffe; ou par les Pheniciens qui en allant jufqu'à Gadès, ou Cadis, s'étoient fouvent arrêtés fur les côtes des Gaules, fi même ils ne les peuplerent pas, comme le foutient Bochart; ou par les Carthaginois qui furent long-temps en commerce avec les Gaulois y porterent, come nous l'avons dit, le culte de Saturne & de quelques autres Divinités.

Ce dernier fentiment me paroît le plus vraisemblable, & la figure d'un vaiffeau fous laquelle ils honoroient cette Déeffe (a), prouve que c'étoit par mer que fon culte avoit été porté, d'abord immédiatement dans les Gaules, puis chez eux avec les colonies Gauloifes.

(a) Signum ipfum Ifidis in modum Liburne figuratum. Tacit. Ibid.

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Il ne faut pas être étonné, au refte, fi les Sueves représen toient cette Déeffe fous la figure d'un vaiffeau, puifque comme l'affûre Tacite, il étoit défendu aux anciens Germains de peindre leurs Dieux fous une figure humaine (b); cependant il leur étoit permis d'en avoir d'autres représentations, comme nous l'avons dit. Ils prirent le vaiffeau pour fymbole d'Ifis, pour marquer de quelle maniere fon culte avoit paffé dans l'Occident: car de dire avec quelques Auteurs que comme on croyoit que les Aftres, premiers Dieux de l'Univers, étoient portés dans leur vafte carriere par des vaiffeaux, & qu'lfis physiquement étant la même que la Lune, devoit avoir le fien, & foutenir fur ce principe que c'étoit la raison pour laquelle les Sueves la repréfentoient fous la figure d'un navire, c'eft une conjecture que je ne crois nullement probable. Les anciens Germains n'étoient pas fans doute affez inftruits de la Mythologie, pour donner dans ce raffinement. J'aimerois mieux croire que la Fable nous apprenant que cette Déeffe avoit non seulement donné des regles pour la navigation, & en avoit porté le progrès jufqu'à l'invention des voiles, les Navigateurs se mettoient fous fa protection, & lui confacroient au retour de leurs voyages de petits vaiffeaux qu'ils dépofoient dans fes Temples. Il eft für que les Egyptiens rendoient un refpect religieux au Navire d'Ifis, comme nous l'apprenons du Mythologue (b) Lactance; circonftances trop publiques pour avoir été ignorées de ceux qui reçûrent fon culte : j'aimerois mieux croire, dis-je, que ce fut ce qui engagea les Sueves à préferer pour le symbole de cerre Décffe la figure d'un navire, que toute autre, ne leur étant pas permis de la représenter fous une figure humaine.

Au refte comme on ne fçait pas quelle forte de culte les Sueves lui rendoient, & que Tacite dit feulement qu'ils lui offroient des facrifices, toutes les conjectures feroient ici fuperflues, & nous n'en fçavons pas plus là-deffus que l'Historien Romain.

(a) Cæterum nec cohiberi parietibus Deos, nec in ullam humani oris fpeciem affimilari ex magnitudine cæleftium, arbitrantur. Idem. Ibid.

(b) Ifidis navigium Egyptus colit. Lat. 1. 1. c. 2..

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