Imágenes de páginas
PDF
EPUB

les, dit-il, Jupiter ordonna à Mercure d'y inviter tous les Dieux, tous les hommes, & tous les animaux. Tout s'y rendit, excepté une Nymphe nommée Cheloné, qui fut affez dédaigneufe pour fe moquer de ce mariage, & chercher des prétextes pour n'y pas affifter. Mercure étant retourné dans Olympe, & ayant vû que Cheloné feule y manquoit, redefcendit en terre; & comme la maison de cette Nymphe étoit fur le bord d'un fleuve, il l'y précipita, & changea Cheloné en un animal de même nom (1), qui fut depuis ce (1) La Tor temps-là obligé de porter fa maison fur le dos; & pour la punir de fes railleries, la condamna à un filence éternel. Cet animal eft la Tortue, que les Grecs nomment Cheloné, & on voit bien que c'eft la reffemblance des noms qui a donné lieu à la fiction, & à la métamorphofe.

N'oublions pas de dire en paffant, que la Tortue fut depuis, & pour les Dieux & pour les Empereurs Romains fur les Médailles, le fymbole du filence. Sympofius a fait un joli vers, fur ce qu'on fe fervoit de l'écaille de cet animal, pour en faire des inftrumens de musique:

Viva nihil dixi, quæ fic modo mortua canto

Jupiter qui étoit un Prince fort adonné aux femmes, comme le nom même de Zan, qu'il portoit, le fignifie, eut felon la coutume de ce temps-là plufieurs maîtreffes, & Junon fe brouilla fouvent avec lui fur ce fujet. Voilà l'origine de ce mauvais ménage dont les Poëtes parlent fi fouvent.

23

Quoiqu'on ne puiffe pas regarder comme de véritables hiftoires ce qu'ils débitent à ce fujet, nous ne fçaurions nous difpenfer de le rapporter, puifque cela entre néceffairement dans une Mythologie. On fçait le manege qu'Homere & Virgile lui font jouer pendant le fiége de Troye, & j'en ai fuffifamment parlé dans les Réflexions fur la Théologie des Poëtes (2). Apollodore (3) dit qu'elle avoit envoyé deux dragons, pour dévorer Hercule au berceau; qu'elle l'avoit rendu furieux, qu'en un mot elle l'avoit perfecuté toute fa vie; qu'elle avoit pris la figure d'une Amazoné pour le

tue.

[blocks in formation]

1

(1) In Beot.

perfécuter; qu'elle avoit envoyé un taon aux boeufs de Geryon que ce Héros emmenoit, pour augmenter la peine qu'il avoit de les conduire ; enfin qu'elle avoit fait devenir Bacchus furieux. Nous parlons ailleurs des perfécutions qu'elle fit fouffrir à Io, à Califto, & à fes autres Rivales.

que

Junon, dit Paufanias (1), se fâcha un jour contre Jupiter, on ne fçait pas pourquoi, mais on affûre de dépit elle fe retira en Eubée. Jupiter n'ayant pu venir à bout de la fléchir, vint trouver Citheron, qui regnoit alors à Platée: Citheron étoit l'homme le plus fage de fon temps. Il confeilla à Jupiter de faire faire une ftatue de bois, de l'habiller en femme, de la mettre fur un chariot attelé d'une paire de boeufs que l'on traîneroit par la ville, & de répandre dans le public que c'étoit Platea, la fille d'Afopus, qu'il alloit époufer fon confeil fut fuivi. Auffi-tôt la nouvelle en vient à Junon, qui part dans le moment, fe rend à Platée, s'approche du chariot, & dans fa colere voulant déchirer les habits de la mariée, trouve que c'est une ftatue. Charmée de l'avanture, elle pardonna à Jupiter fa tromperie, & fe reconcilia de bonne foi avec lui. En memoire de cet événement ces Peuples célebrerent une certaine Fête, qu'ils nommerent les Dédales, parce qu'anciennement toutes les ftatues de bois étoient appellées des Dédales. Mais ce ne fut pas la feule fois que ces divins époux furent brouillés, & il falloit que cette Déeffe eût bien offenfé Jupiter, lorfque pour la punir il l'attacha entre le ciel & la terre, avec une chaîne d'or, & culbuta d'un coup de pied fon fils Vulcain, qui vouloit la dégager. Je fçai les explications phyfiques qu'on donne (2) Trad. de à cette fiction, & le fens que Me. Dacier lui prête (2). Mais on ne dit rien là-deffus de fatisfaifant. La mauvaise humeur de cette Déeffe contre Jupiter engagea Porphyre (3) à ne la placer que parmi les mauvais Génies: ces Génies malfaifans que cet Auteur peint avec des couleurs fi vives, que les Apologistes de la Religion Chrétienne n'en auroient pas fait des portraits plus hideux.

Tliade.
(3) De Abft.
Liv. 2.

Les Anciens ne font pas d'accord au fujet des enfans de (4) Theog Junon. Hésiode (4), après avoir dit qu'elle étoit la derniére

des

p.

des femmes que Jupiter avoit époufées, car effectivement il s'étoit marié auparavant avec Métis, avec Themis, &c. Cet Auteur lui donne quatre enfans, Hébé, Venus, Lucine & Vulcain; même ces quatre enfans, felon les Mythologues poftérieurs, n'ont pas tous Jupiter pour pere. Apollodore ne donne à cette Déeffe que trois enfans, Hébé, Illythyie, & Argé d'autres y joignent Mars & Typhon, comme nous l'avons dit dans le premier volume, fur l'autorité de l'Hymne attribuée à Homere (1) Encore paroît-il que ces Mytho- (1) T.I... logues ont allégorifé ces générations; puifqu'ils difent que 468. cette Déeffe étoit devenue mere d'Hébé, en mangeant des laitues, de Mars en touchant une fleur, & de Typhon en faifant fortir de terre des vapeurs qu'elle reçut dans fon fein; myftéres de Physique, qu'il feroit impoffible, & très-inutile d'approfondir. Les Mythologues débitent même que les emportemens de Jupiter contre elle n'étoient pas fans fondement, puifque fans parler de fa mauvaise humeur, on l'accufoit de quelque intrigue avec le Géant Eurymédon, & avec quelques autres.

Obfervons en paffant que les ftatues de Junon ne repréfentoient pas toujours une feule Déeffe, mais avoient rapport à plufieurs: elles tenoient en effet quelque chofe de celles de Pallas, de Venus, de Diane, de Nemefis, des Parques, & des autres Déefles; en forte qu'on pouvoit les regarder comme ces ftatues que nous avons nommées ailleurs Panthées: cependant la maniere la plus ordinaire de la représenter étoit fous la figure d'une femme affife fur un trône, tenant d'une main un fceptre, de l'autre un fuseau & ayant fur la tête une couronne radiale. Suivant quelques autres Anciens, c'étoit Iris qui environnoit fa tête, car Iris fille de Thaumas, étoit regardée comme fa meffagere; cir.conftance célébre dans les Poëtes, mais qu'on doit rapporter à Junon, en tant que Divinité phyfique, & regardée comme l'air, dont Iris, ou l'Arc-en-ciel, annonce la férénité.

Ciceron (2) nous apprend de quelle maniere on repré- (2) De Nat. fentoit la Junon de Lanuvium, différente de celle dont on Deor. liv. g

Tome II.

L

rinth.

[ocr errors]

la repréfentoit à Argos & à Rome. « Votre Junon, dit Cot» ta à Velleïus, ne fe préfente jamais à nous, pas même en fonge, qu'avec fa peau de chèvre, fa javeline, fon petit bouclier, & fes efcarpins recourbés en pointe fur le devant. D'où cet Auteur conclut, que l'idée qu'on fe formoit de Junon, devoit êtte différente pour ceux d'Argos, (1) In Co- pour ceux de Lanuvium, & pour les Romains. Paufanias (1) décrit ainfi la Junon d'Argos. En entrant dans le Temple, dit-il, on voit fur un trône la ftatue de cette Déeffe, d'une grandeur extraordinaire, toute d'or & d'yvoire. Elle a fur la tête une couronne, au-deffus de laquelle font les Graces & les Heures. Elle tient d'une main une grenade, de l'autre 'un fceptre, au bout duquel eft un coucou. J'ai déja parlé de cer oifeau pour la grenade, elle faifoit fans doute allufion à quelque myftére infame, fur lequel cet Auteur dit qu'il garde le filence. Autour du trône de la Déeffe étoient les trois Graces. Mais il faut obferver que cette ftatue de Junon étoit moderne; c'eft-à-dire du temps de Polycléte qui l'avoit faite. Cet Auteur dit que près de la ftatue d'Hébé, qui accompagne celle de Junon, il y en a une de cette Deeffe qui eft fortancienne, & qui eft fur une colomne; mais, ajoute-t-il, la plus ancienne de toutes, c'en eft une qui eft faite de bois de poirier fauvage. Elle eft de grandeur médiocre, & la Déeffe y eft représentée affife. Mais, n'en déplaise à cet Auteur, il y en avoit encore de plus anciennes, & Clé(2) Strom. ment d'Alexandrie (2), fur l'autorité des anciens Poëtes, dit que cette Déeffe étoit représentée à Argos par une fimple colomne. En effet, les premieres ftatues des Dieux n'étoient que des pierres informes, des pyramides ou des co(3) Liv. 3. lomnes, comme nous l'avons dit dans le premier volume(3).

liv. 1.

Comme on donnoit à chaque Dieu quelque attribut particulier, Junon avoit en partage les Royaumes, les Empires & les richeffes; c'eft auffi ce qu'elle offrit à Paris, s'il vouloit lui adjuger le prix de la beauté. On croyoit auffi qu'elle prenoit un foin particulier des parures & des ornemens des femmes; & c'eft pour cela que dans fes ftatues fes cheveux "paroiffoient élégamment ajuftés. On difoit, comme une

efpéce de proverbe, que les coëffeufes préfentoient le miroic à Junon. *:

[ocr errors]

Pour venir maintenant aux noms qu'on donnoit à cette Déeffe, outre ceux dont nous avons parlé, on la nommoit Sofpita, parce qu'elle veilloit à la falubrité de l'air, dont Pintempérie caufe les maladies. Cette Déeffe avoit trois Temples fous ce nom; l'un à Lanuvium, & les deux autres à Rome; & Ciceron nous apprend (1), que les Confuls, (1) Pro Mir avant que d'entrer en Charge, étoient obligés de lui offrir un rena. facrifice. La Reine, & la ftatue qu'elle avoit fous ce nom à Veies, fur tranfportée fous la Dictature de Camillus au mont Aventin, où elle fut confacrée par les Dames de la ville (a), Elle étoit fi refpectée qu'il n'y avoit que fon Prêtre qui pût la toucher. Quand elle préfidoit aux accouchemens, & qu'elle étoit confondue avec Diane, on la nommoit Lucine, & on la repréfentoit comme une Matrône qui tenoit une coupe de la main droite, & une lance de la gauche, avec cette inf cription, Junoni Lucine. Quelquefois elle étoit représentée affife fur une chaife, tenant de la main gauche un enfant em maillotté, & de la droite une fleur qui reffemble affez à un lys; ou bien un fouet & un fceptre, & ce fouet marqubit l'heureux accouchement. Auffi quand ceux qui célébroient les Lupercales couroient par la ville avec un fouet à la main, les femmes groffes fe préfentoient pour en être frappées, croyant par-là fe procurer une heureufe délivrance, comme on l'adit dans la defcription de cette Fête. D'autres dérivent ce nom vil (-) de Lucine, du bois facré, où elle avoit un Temple, comme Ovide nous l'apprend:

Gratia Lucina dedit hæc tibi nomina lucus,

Vel quia principium, tu Dea, lucis habes.

Nous avons remarqué en effet dans le premier Volume (2), (2) L. III. que ces bois facrés étoient appellés par les Latins luci, à luṛ cendo, ainfi que le dit Servius. Ce fut à l'occafion de ce nom,

au rapport de Lucius Pifo (3), que Servius Tullius ordonna (3) Annal. I.

(a) Voyez ce que nous avons dit du transport de cette Statue & de la Fable

qu'en publient Tite-Live & Plutarque,
dans le Livré III. du Tome I. S

« AnteriorContinuar »