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CHAPITRE

Hiftoire de Saturne.

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III

UOIQUE nous ayons déja parlé de Saturne, comme nous n'en avons raconté que ce qui avoit rapport à Jupiter, je dois ici achever fon hiftoire fans repeter ce que nous avons déja dit. Comme il étoit de l'illuftre race des Titans qui fournit tant de Dieux à la Grece, avant que de la commencer, il eft bon d'observer, 1°. que les Orientaux en connoissoient de deux fortes, & que les Grecs en admettoient de trois efpeces. Les Titans connus par les premiers, étoient d'abord ces premiers Architectes dont parle Sanchoniathon, dans la huitiéme génération d'avant le Déluge. Voici ce qu'en dit cet ancien Auteur, en parlant des perfonnages qui s'y rendirent illuftres: « L'un, dit-il, eft appellé Agros, l'autre Agrotes. Quelle en eft la différence, ajoute-t-il? Pour la Religion, l'image du dernier est ref pectée dans la Phenicie : il a dans Byblos un Temple trèsmagnifique, & il y eft nommé le plus grand des Dieux. En» fin pour les Arts, ces deux freres ornent les maifons, y » font des portiques, &c. & les hommes de cette ville font • nommés Agrotai, ou Coureurs de campagne, & les autres xuntos, Chasseurs avec chiens. On les appelle aufli Aletai & » Titanes ». Voilà fans doute les premiers Titans. Les feconds étoient les enfans de Tith, ou Titæa, qui firent la guerre aux Dieux, & qui par conféquent vivoient du temps de Chronos ou Saturne, & de Zeus, ou Jupiter.

Les Grecs en ont admis de trois fortes; les Titans enfans de la Terre; c'eft-à-dire, les preiniers hommes. Les Titans qui firent la guerre aux Dieux, & les Titans Architectes, aufquels ils attribuent la conftruction de plufieurs Villes. comme Tyrinthe, Troye, &c. Ces trois efpeces de Titans n'en font réellement que deux, puifque ce furent les

enfans de la Terre qui firent la guerre aux Dieux; & ces deux efpeces qui reftent, font vifiblement les mêmes que ceux dont parle Sanchoniathon, la tradition qu'il avoit fuivie ayant été apportée dans la Grece par les Pheniciens, & copiée par Heliode, Homere, & les autres Poëtes Grecs.

Ces Titans ayant bâti des Villes & des Fortereffes, il n'eft pas étonnant qu'ils ayent fait des conquêtes & fubjugué plufieurs peuples, qui faute de retraite & d'afyle contre la force, étoient aifés à réduire; de-là fans doute le vafte Empire dont les Grecs ont fait mention.

Il faut obferver en fecond lieu que Diodore de Sicile, qui dans le Livre troifiéme de fon Hiftoire avoit rapporté au fujet des Titans, la tradition des Peuples des extrémités occidentales de l'Afrique, comme nous l'avons dit en parlant de la Theogonie des Atlantides (1), revient au Livre (1) T..L.. cinquième à celle des Cretois, qui eft fans doute la plus P.92. autorifée; car fi les Titans furent connus en Afrique, ce ne fut qu'après l'avoir conquife, puifque véritablement ils étoient fortis de l'Afie, d'où ils s'étoient repandus dans plusieurs pays, & en particulier dans l'Ifle de Crete.

Suivant les Atlantides, Titée avoit eu d'Uranus fon mari dix-huit enfans, qui du nom de leur mere furent appellés Titans: fuivant la tradition des Cretois, cette famille n'étoit compofée que de fix garçons & de cinq filles ; & pour faire voir qu'il s'agit dans l'une & dans l'autre tradition des mêmes perfonnes, les Cretois donnoient à ces enfans le même pere & la même mere, le Ciel & la Terre ; c'eft-à-dire, Uranus & Titée. Les fix garçons furent, Saturne, Hyperion, Cœus, Japet, Crius, & Oceanus; & les cinq filles, Rhea, Themis, Mnemofyne, Phoebé & Tethys. Ils firent tous prefent aux hommes de quelque découverte; ce qui leur attira de leur part une memoire & une récompenfe éternelle, comme nous le dirons dans la fuite.

Pour venir maintenant à Saturne, Diodore de Sicile (2) (2) Liv. 32 dit « que ce Prince étant devenu Roi, après avoir donné » des mœurs & de la politeffe à fes Sujets qui menoient au» paravant une vie fauvage, il porta fa réputation & fa gloire

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en differens lieux de la terre. Il établit par tout la juffice & l'équité, & les hommes qui ont vécu fous fon Empire paffent pour avoir été doux, bienfaisants, & par conféquent très-heureux. Il a regné fur-tout dans les pays Occidentaux, où fa memoire eft encore en vénération. En effet, » les Romains, les Carthaginois lorsque leur Ville fubfiftoit & tous les Peuples de ces cantons, ont inftitué des fêtes » & des facrifices en fon honneur, & plufieurs lieux lui font confacrés par leur nom même. La fageffe de fon gouver » nement avoit en quelque forte banni les crimes, & faifoit goûter un Empire d'innocence, de douceur & de félicité ». Le Poëre Hefiode en fait la description en ces

termes.

Dans le temps que Saturne au ciel tenoit fa cour
La Terre même étoit un céleste féjour.

L'homme n'éprouvoit point la longue incertitude
Des fruits qu'on ne doit plus qu'au travail le plus rude.
La Nature en bienfaits furpassant les defirs,
Prevenoit les befoins, prodiguoit les plaifirs:
On n'adoroit les Dieux qu'avec rejouissance.
Après avoir enfin veilli dans l'innocence,
Sans perdre par les ans la force ou le fommeil,
On paffoit à celui qui n'a plus de reveil.

Tous les Auteurs Latins conviennent unanimement que Saturne regna en Italie après Janus, qui l'avoit reçu dans Les Etats, lorfque Jupiter le détrôna, comme nous le dirons dans le Chapitre fuivant. Il gouverna ce nouvel Etat avec tant de juftice & d'équité, qu'il fe fit adorer de fes sujets, & qu'on regarda comme le fiécle d'or le temps de fon regne. En effet, ce Prince rétablissant l'égalité des conditions, aucun n'étoit au service d'un autre ; perfonne ne poffedoit rien en propre; tout étoit commun, comme s'il n'y eût eu qu'un feul patrimoine. C'eft fur cet article fur-tout qu'Ovide a fait briller le talent qu'il avoit pour faire des vers.

Pour rappeller le fouvenir de cet heureux temps, dans les
Saturnales

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Saturnales qu'on célébroit en fon honneur au mois de Decembre comme nous l'avons dit à l'article des fêtes des Grecs, les Serviteurs fe mettoient à table avec les Maîtres, ou, fuivant d'autres Auteurs, les Maîtres les fervoient euxmêmes. La montagne qu'on appella depuis le mont Capitolin, étoit anciennement appellée le mont Saturnin; & fi nous en croyons Denys d'Halicarnaffe & Juftin, l'Italie entiere fe nommoit Saturnie; monument plus sûr pour les Antiquités, que le témoignage même des Auteurs, qui n'étant pas contemporains à des faits fi anciens, n'ont pas tant d'autorités que ces noms impofés dans le temps même.

Ciceron qui dans les Livres de la nature des Dieux fait parler deux Philosophes, femble n'avoir confideré l'histoire de Saturne, que du côté de la Phyfique, lorfqu'un de ces Interlocuteurs dit que c'étoit ce Dieu qui gouvernoit le cours du temps & des faifons; ce que fignifie fon nom en Grec : car Chronos, qui eft le nom que les Grecs donnoient à Sa turne, eft le même avec l'afpiration que Chronos qui veut dire le temps. Ainfi felon Ciceron, lorfqu'on a dit que Saturne dévoroit fes enfans, c'eft une allegorie vifible au temps qui dévore & qui confume toutes chofes : Tempus edax rerum, comme dit Horace. De même le nom de Saturne, que les Latins lui avoient donné, fignifioit, felon cet Auteur, celui qui eft raffafié d'années : quod faturetur annis. D'autres Philofophes n'ont eu égard qu'à la Planete qui porte le nom de Saturne, & qui eft la plus grande & la plus élevée de toutes. Ces mêmes Philofophes tiroient auffi plufieurs allégories de la Planete de Saturne; & felon eux, ce que les Poëtes difent de la prifon de Saturne enchaîné par Jupiter, fignifie feulement que les influences malignes qu'envoyoit la Planete de Saturne, étoient corrigées par des influences plus douces qui émanoient de celle de Jupiter. Ils croyoient de même que Saturne, en tant que Planete, étant sec & froid , présidoit aux mélancholiques & aux bilieux. Pour les faifons de l'année, cette même Planete préfidoit à l'Automne, & dans la Semaine au feptiéme jour. Les Platoniciens même, au rapport de Lucien (1), s'imaginoient que Saturne, (1) De Astrol. Tome II.

N

(1) De Idol. 1.1.

comme le plus proche du Ciel, c'eft-à-dire, le plus éloigné de nous, préfidoit à la contemplation. Mais laiffons ces vaines fubtilités pour venir à quelque chofe de plus folide.

Gerard Voffius (1) distingue avec raison plusieurs Saturnes: on croit même, ainfi qu'on le trouve dans le Livre des Equivoques, que quelques Sçavans attribuent à Xenophon, que dans l'Antiquité la plus reculée la plupart des Rois prenoient ce nom; mais fans garantir ce fait qui ne se trouve que dans cet Ouvrage, dont l'Auteur eft incertain, le plus ancien Saturne, felon Voffius, eft Adam lui-même : le fecond eft Noé; le troifiéme eft celui dont parle Sanchoniathon, & qu'il nomme Il, qu'Eufebe croit n'être qu'un abregé du mot Ifraël, ou Jacob. Le quatriéme eft le Moloch dont nous avons parlé affez au long dans l'Hiftoire des Dieux de Syrie; & celui-là paroît être Abraham, fuivant les rapports que nous avons remarqués entre l'un & l'autre. Le cinquième eft le Prince Titan qui regna en Italie, que quelques-uns même ont confondu avec Janus dont nous allons parler, & qui lui donnent comme à lui deux vifages.

Virgile a raconté en de fi beaux vers l'hiftoire de ce dernier Saturne, que je ne fçaurois m'empêcher de les rappor ter ici.

Primus ab æthereo venit Saturnus Olympo
Arma Jovis fugiens & regnis exul ademptis.
genus indocile, & difperfum montibus altis
Compofuit, legefque dedit, Latiumque vocari
Maluit, his quoniam latuiffet tutus in oris:
Aureaque, ut perhibent, illo fub rege fuere
Sacula, fic placida populos in pace regebat.

Pour dire maintenant quelque chofe du culte de Saturne; il faut obferver d'abord, que ce culte ne fut ni auffi folemnel, ni auffi généralement répandu, que celui de Jupiter fon fils; & il paroît que la maniere cruelle dont il avoit traité fes enfans, lui avoit fait perdre cette fuperiorité qu'il auroit eue fans doute fur tous les autres Dieux; au lieu que Rhea

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