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que fituation qu'ils foient, & pour toutes les directions poffibles des puiffances ou des poids qui font appliquez.

y

Des vûës fi étenduës me furprirent ; & l'évidence avec laquelle le détail de tout cela me paroifsoit, indépendamment même du général, me confirma encore dans l'opinion où j'étois, qu'il faut entrer dans la génération de l'équilibre, pour y voir en foi, & pour y reconnoître les proprietez que tous les autres Principes ne prouvent tout au plus que par néceffité de confequence.

Il y a encore un avantage dans la route que je tiens, c'est qu'elle facilite extrêmement le calcul des forces, tant des poids que des puiffances, en ce que leurs rapports y font toûjours déterminez immédiatement par les finus des angles que font leurs lignes de direction avec celle de l'impreffion qui réfulte de leur concours d'action, & que cette méthode détermine pour le point où elles concourent. On y voit que lorfque deux puissances ou deux poids, ou bien une puiffance & un poids font équilibre, foit avec des cordes feulement, foit à l'aide de quelque Poulie, de quelque Surface, ou de quelque Levier que ce foit, ils font toûjours entr'eux en raifon réciproque des finus de ces mêmes angles.

J'avois deffein d'expliquer avec cette méthode les effets les plus furprenans & les plus difficiles des Machines compofées que l'on rencontre dans les arts & dans la nature, mais cela demandoit plus

de loifir, & même un plus grand nombre d'experiences que l'état de ma fortune ne me peut permettre : c'eft pour cela que je me fuis déterminé à ne donner préfentement que les Propositions fondamentales de la Mécanique. Peut-être que de plus habiles gens que moi, & qui feront plus en état de faire cette entreprife, voudront bien fe donner la peine d'en faire l'application à la Phyfique..

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Mais en attendant je ne laifferai pas d'amaffer tout ce que je pourrai d'experiences pour ce deffein: c'eft pourquoi je prie ceux qui n'auront pas en vûë d'y travailler, de vouloir bien me communiquer celles qu'ils croiront s'y pouvoir rapporter; & fur-tout de me faire part de tout ce qui leur viendra de difficultez ou de lumieres furles principes qu'on propose ici, leur promettant d'en user avec toute la docilité d'un homme qui i ne cherche que la verité.

P

ELOGE

DE M.
M. VAR IGNO N.

Terre Varignon nâquit à Caën en 1654. d'un Architecte Entrepreneur, dont la fortune étoit fort médiocre. Il avoit deux freres, qui fuivirent la profeffion du & il étudia pour être Ecclefiaftique.

pere,

Au milieu de cette éducation commune, qu'on donne aux jeunes gens dans les Colleges, tout ce qui peut les occuper un jour plus particulierement vient par differens hazards se presenter à leurs yeux; & s'ils ont quelque inclination naturelle bien déterminée, elle ne manque pas de faifir fon objet, dès qu'elle le rencontre. Comme les Architectes, & quelquefois les fimples Maçons, fçavent faire des Cadrans, M. Varignon en vit tracer de bonne heure, & ne le vit pas indifferemment. Il en apprit la pratique la plus groffiere, qui étoit tout ce qu'il pouvoit apprendre de fes Maîtres; mais il foupçonnoit que tout cela dépendoit de quelque Théorie générale, foupçon qui ne fervoit qu'à l'inquiéter, & à le tourmenter fans fruit. Un jour, pendant qu'il étoit en Philofophie aux Jefuites de Caën, feüilletant par amusement differens Livres dans la boutique d'un Libraire, il tomba fur un Euclide, & en lut les premieres pages, qui le charmerent non feulement par l'ordre & l'enchaînement des idées, mais encore par la facilité qu'il fe fentit à y entrer. Comment l'efprit humain n'aimeroit-il pas ce qui lui rend témoignage de fes talens? Il emporta l'Euclide chez lui, & en fut toûjours plus charmé par les mêmes raifons. L'incertitude éternelle, l'embarras Sophiftique, l'obscurité inutile, & quelquefois affectée de la Philofophie des Ecoles, aiderent encore à lui faire

goûter

goûter la clarté, la liaifon, la fùreté des veritez géomé triques. La Géométrie le conduit aux ouvrages de Delcartes, & il y fut frappé de cette nouvelle lumiere, qui de-là s'eft répandue dans tout le Monde penfant. Il prenoit fur les neceffitez abfoluës de la vie dequoi acheter des Livres de cette efpece, ou plutôt il les mettoit au nombre des neceifitez abfoluës; il falloit même,.& cela pouvoit encore irriter la paffion, qu'il ne les étudiât qu'en fecret; car fes parens qui s'appercevoient bien que ce n'étoient pas-là les Livres ordinaires dont les autres faifoient ufage, defapprouvoient beaucoup, & traverfoient de tout leur pouvoir l'application qu'il y donnoit. Il paffa en Théologie, & quoique l'importance des matieres, & la neceflité dont elles font pour un Ecclefiaftique, le fixaffent davantage, fa paffion dominante ne leur fut pas entierement facrinée.

Il alloit fouvent difputer à des Thefes dans les Claffes de Philofophie, & il brilloit fort par fa qualité de bon argumenteur, à laquelle concouroient & le caractere de fon efprit, & fa conftitution corporelle, beaucoup de force & de netteté de raifonnement d'un côté, & de l'autre une excellente poitrine, & une voix éclatante. Ce fut alors que M. l'Abbé de S. Pierre qui étu lioit en Philofophie dans le même College, le connut. Un goût commun pour les chofes de raifonnement, foit Phyfiques, foit Métaphyfiques, & des difputes continuelles, furent le lien de leur amitié. Ils avoient befoin l'un de l'autre pour approfondir, & pour s'affurer que tout étoit vu dans un fujet. Leurs caracteres differens faifoient un affortiment complet & heureux, l'un par une certaine vigueur d'ilées, par une vivacité féconde, par une fougue de raison; l'autre par une analyse fubtile, par une précifion fcrupuleufe, par une fage & ingenieufe lenteur à

difcuter tout.

M. l'Abbé de S. Pierre pour joüir plus à fon aife de M. Varignon, le logea avec lui; & enfin toûjours, plus touché de fon merite, il réfolut de lui faire une fortune, Tome I.

qui le mît en état de fuivre pleinement fes talens & fon génie. Cependant cet Abbé, cadet de Normandie, n'avoit que 1800 liv. de rente; il en détacha 300 qu'il donna par Contrat à M. Varignon. Ce peu qui étoit beaucoup par rapport au bien du Donateur, étoit beaucoup auffi par rapport aux befoins & aux defirs du Donataire. L'un fe trouva riche, & l'autre encore plus d'avoir enrichi fon ami.

L'Abbé perfuadé qu'il n'y avoit point de meilleur féjour que Paris pour des Philofophes raifonnables, vint en 1686. s'y établir avec M. Varignon dans une petite maison du Fauxbourg Saint Jacques. Là ils penfoient chacun de fon côté, car ils n'étoient plus tant en communauté de pensées; l'Abbé revenu des fubtilitez inutiles & fatigantes, s'étoit tourné principalement du côté des reflexions fur l'Homme, fur les mœurs & fur les principes. du gouvernement. M. Varignon s'étoit totalement enfoncé dans les Mathématiques. J'étois leur compatriote, & allois les voir affez fouvent, & quelquefois paffer deux ou trois jours avec eux ; il y avoit encore de la place pour un furvenant, & même pour un fecond forti de la même Province, aujourd'hui l'un des principaux Membres de l'Académie des Belles Lettres, & fameux par les. Hiftoires qui ont paru de lui. Nous nous raffemblions. avec un extrême plaifir, jeunes, pleins de la premiere ardeur de fçavoir, fort unis, &, ce que nous ne comptions peut-être pas alors pour un affez grand bien, peu connus. Nous parlions à nous quatre une bonne partie des differentes Langues de l'Empire des Lettres, & tous. les Sujets de cette petite focieté le font dispersez de-là. dans toutes les Académies.

M. Varignon, dont la conftitution étoit robufte, au moins dans fa jeuneffe, paffoit les journées entieres au travail : nul divertiffement, nulle récréation, tout au plus quelque promenade à laquelle fa raifon le forçoit dans les beaux jours. Je lui ai oui dire que travaillant après fouper felon fa coûtume, il étoit fouvent furpris par des

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