Depuis que la Poëfie a été connue en France, il y a eu des femmes qui l'ont cultivée; mais lės Mules n'ont été bien favo rables,qu'à celles de ce dernier fiecle. Mademoiselle de Chaf tillon, fille du Maréchal de ce nom, avoit l'esprit vif, & beau coup de talent pour les Vers: elle fut mariée fort jeune au Comte d'Adinchron, Ecoffois, qui ne vécut pas long-tems. Elle époufa en fecondes nôces le Comte de la Suze,de la Maison des Comtes de Champagne, & c'eft fous ce nom qu'elle fe rendit celebre. Aucun de nos Poëtes n'a autant cultivé qu'elle, la Poëfie tendre: dans fes Elegies, qui font au deffus de fes autres Ouvrages, elle faifoit toûjours

combattre la raifon & le penchant, & jamais la raison n'étoit victorieuse. Voici quelquesuns de ces Vers:

Foible & fiere Raison, qui par de vains combats,

Choque les paffions,& ne les détruis pas,

Ne me tourmente plus, tes forces font bornées,

Et l'on ne change pas l'ordre des deftinées, &c.

Et

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Qu'un mal,qu'on trouve doux, met de trouble dans l'ame, d'un feu qui plaît,aisément on s'enflâme, &c.

que

La grande application, qu'avoit cette Dame à la Poëfie

lui faifoit regarder avec indifference fes affaires les plus férieufes deux de fes amis la preffoient un jour, fur le midi, d'aller folliciter fes Juges, pour un procés de confequence: Je prendrois mal mon tems, ditelle, je les trouverois; j'irai ce foir me faire écrire chez eux. Elle fut éveillée un matin, par un grand bruit, qu'on faifoit dans fon antichambre; un Laquais lui dit, que c'étoit des Huiffiers, qui faifissoient sa tapifferie; priez-les de ma part, répondit-elle, d'attendre encore deux heures, & fe rendor, mit paisiblement dés qu'elle fut levée elle remercia les Huiffiers de leur honnêteté: Je fors, leur dit-elle, faites chez

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moi ce que vous jugerez à propos. Son mari étoit fort jaloux; fa jaloufie caufa bien-tôt le divorce entr'eux : ils étoient tous deux Calviniftes; mais elle fit abjuration. La Comteffe de la Suze, dit la Reine de Suede ne s'est faite Catholique, que pour ne plus voir fon époux, ni en ce monde, ni en l'autre. Mademoiselle de Scudery avoit un rare talent pour la Profe & pour les Vers: cette quantité d'agréables Ouvrages de Poëfie, qu'elle a fait fur differentes matieres, lui ont merité le nom de Sapho, qu'on lui a donné pendant fa vie, mais on pouvoit encore trouver en elle, de plus beaux fujets de louanges : le plaifir qu'elle fe faifoit de for

mer ses amis au bon goût, & la moderation, avec laquelle on l'entendoit parler des Ouvrages des autres, l'ont élevée au-deffus de fon fexe, & de la plupart des Poëtes: elle penfoit noblement, lors qu'il s'agiffoit de louer la valeur & le merite: elle fit ces Vers pour celebrer les glorieufes conquêtes du Roi, qui malgré les rigueurs de l'hiver, prit toute la FrancheComté en un mois ;

Les Heros de l'antiquité N'étoient, que des Heres d'Eté, Qui cherchoient le Printemps, comme les Hirondelles;

La Victoire, en Hyver, pour eux n'avoit point d'ailes :

Mais malgré les frimats, les neiges, les glaçons,