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Vous expliquez mal cette frayeur, repartit Donna Theodora: la perte de l'un ou de de l'autre de ces cavaliers me toucheroit fans doute, & je me la reprocherois fans ceffe, quoique je n'en fuffe que la cause innocente; mais fi je vous ai paru allarmée, fçachez que le péril qui menace ma réputation a fait toute ma crainte.

Don Alvaro Ponce, qui étoit naturellement brutal, perdit enfin patience: c'en est trop, dit-il, d'un ton brufque, puifque Madame refufe de terminer la chofe à l'amiable, le fort des armes en va donc décider. En parlant de cette forte, il fe mit en devoir de pouffer Don Fadrique, qui de fon côté fe difpofa à le bien

recevoir.

Alors la Dame plus effrayée par cette action, que déterminée par fon panchant, s'écria toute éperduë: Arrêtez, Seigneurs cavaliers, je vais vous fatisfaire. S'il n'y a pas d'autre moyen d'empêcher un combat qui intereffe mon honneur, je déclare que c'eft à Don Fadrique de Mendoce que je donne la préférence.

Elle n'eut pas achevé ces paroles, que le difgracié Ponce, fans dire un feul mot, courut délier fon cheval, qu'il avoit attaché à un ar bre, & difparut en jettant des regards furieux fur fon rival & fur fa maîtreffe. L'heureux Mendoce au contraire, étoit au comble de fa joie. Tantôt il fe mettoit à genoux devant Donna Theodora, tantôt il embraffoit le Tolédan, & ne pouvoit trouver d'expreffions affez

vives pour leur marquer toute la reconnoiffance dont il fe fentoit pénétré.

Cependant la Dame devenue plus tranquille, après l'éloignement de Don Alvar, fongeoit avec quelque douleur, qu'elle venoit de s'enà fouffrir les foins d'un amant, dont à ggager la verité elle eftimoit le mérite, mais pour qui fon cœur n'étoit point prévenu.

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Seigneur, Don Fadrique, lui dit-elle, j'efpère que vous n'abuferez pas de la préférence. que je vous ai donnée; vous la devez à la né. ceffité où je me fuis trouvée de prononcer entre vous & Don Alvar; ce n'eft pas que je n'aye toûjours fait beaucoup plus de cas de vous que de lui. Je fçai bien qu'il n'a pas toutes les bonnes qualités que vous avez. Vous êtes de cavalier de Valence le plus parfait; c'eft une juftice que je vous rends. Je dirai même que la recherche d'un homme, tel que vous, peut flater la vanité d'une femme; mais quelque glorieufe qu'elle foit pour moi, je, 3 vous avouerai que je la vois avec fi peu de goût, que vous êtes à plaindre de m'aimer auffi tendrement que vous le faites paroître. Je ne veux pourtant pas vous ôter toute efpérance de toucher mon cœur. Mon indifference n'eft peut-être qu'un effet de la douleur qui me refte encore de la pertè que j'ai fait depuis un an, de Don André de Cifuentes, mon mari. Quoique nous n'ayions pas été long-temps enfemble, & qu'il fut dans un âge avancé, lorfque mes parens éblouis de fes richeffes m'ob

ligèrent à l'époufer, j'ai été fort affligée de fa mort. Je le regrette encore tous les jours.

Eh! n'eft-il pas digne de mes regrets, ajoûta-t-elle? il ne reffembloit nullement à ces vieillards chagrins & jaloux, qui ne pouvant fe perfuader qu'une jeune femme foit affez fage pour leur pardonner leur foibleffe, font. eux-mêmes des témoins affidus de tous fes pas, ou la font obferver par une Duégne dévouée à leur tyrannie. Hélas! il avoit en ma vertu, une confiance dont un jeune mari adoré feroit à peine capable. D'ailleurs, fa complaifance étoit infinie, & j'ofe dire, qu'il faifoit fon unique étude d'aller au-devant de tout ce que je paroiffois fouhaiter. Tel étoit Don André de Cifuentes. Vous jugez bien, Mendoce, que l'on n'oublie pas aifément un homme d'un caractere fi aimable. Il eft toûjours prefent à ma penfée, & cela ne contribue pas peu, fans doute, à détourner mon attention de tout ce que l'on fait pour me plaire.

Don Fadrique ne put s'empêcher d'interrompre, en cet endroit, Donna Theodora: Ah Madame, s'écria-t-il, que j'ai de joie d'apprendre de votre propre bouche, que ce n'eft pas par averfion pour ma perfonne que vous avez méprifé mes foins. J'efpere que vous vous rendrez un jour à ma conftance. Il ner tiendra point à moi que cela n'arrive, reprit la Dame, puifque je vous permets de me venir voir & de me parler quelquefois de votre amour. Tâchez de me donner du goût pour

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evos galanteries; faites enforte que je vous ai me. Je ne vous cacherai point les fentimens favorables que j'aurai pris pour vous; mais fi malgré tous vos efforts vous n'en pouvez venir à bout, fouvenez-vous, Mendoce, que vous ne ferez pas en droit de me faire des repro

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Don Fadrique voulut repliquer; mais il n'en eut pas le temps, parce que la Dame prit la main du Tolédan, & tourna brufquement fes pas du côté de fon équipage. Il alla dé tacher fon cheval qui étoit attaché à un arbre, & le tirant après lui par la bride, il fuivit Donna Theodora, qui monta dans fon caroffe avec autant d'agitation qu'elle en étoit defcendue. La caufe toutefois en étoit bien differente. Le Tolédan & lui l'accompagnèrent à cheval jufqu'aux portes de Valence, où ils fe féparèrent. Elle prit le chemin de fa maison, & Don Fadrique emmena dans la fienne le Tolédan.

Il le fit repofer, & après l'avoir bien regalé, il lui demanda en particulier ce qui l'amenoit à Valence, & s'il fe propofoit d'y faire un long féjour. J'y ferai le moins de temps qu'il me fera poffible, lui répondit le Tolédan. J'y paffe feulement pour aller gagner la mer & m'embarquer dans le premier vaiffeau qui s'éloignera des côtes d'Efpagne; car je me mets peu en peine dans quel lieu du monde j'acheverai le cours d'une vie infortunée, pourvû que cei foit loin de ces funeftes climats.

Tom. II.

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Que dites-vous, repliqua Don Fadrique avec furprife? Qui peut vous revolter contre votre Patrie, & vous faire haïr ce que tous les hommes aiment naturellement? Après ce qui m'eft arrivé, repartit le Tolédan, mon pays m'eft odieux, & je n'afpire qu'à le quitter pour jamais. Ah! Seigneur cavalier, s'écria Mendoce, attendri de compaffion, que j'ai d'impatience de fçavoir vos malheurs: Si je ne puis foulager vos peines, je fuis du moins difpofé à les partager. Votre phifionomie m'a d'abord prévenu pour vous; vos manières me charment, & je fens que je m'intéresse déja vivement à votre fort.

C'eft la plus grande confolation que je puiffe recevoir, Seigneur Don Fadrique, répondit le Tolédan; & pour reconnoître en quelque forte les bontés que vous me témoignez, je vous dirai auffi qu'en vous voyant tantôt avec Alvaro Ponce, j'ai panché de votre côté. Un moment d'inclination, que je n'ai jamais fenti à la première vûë de perfonne, me fit craindre que Donna Théodora ne vous préférât votre rival, & j'eus de la joie, lorfqu'elle fe fut déterminée en votre faveur. Vous avez depuis fi bien fortifié cette première impression, qu'au lieu de vouloir vous cacher mes ennuis, je cherche à m'épancher & trouve une douceur fecrète à vous découvrir mon ame. Apprenez donc mes malheurs.sk

Tolède m'a vû naître, & Don Juan de Zarate eft mon nom. J'ai perdu, prefque dès

mon

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